
Madagascar peut toujours ambitionner d’atteindre l’émergence, malgré les impacts de la crise sanitaire et le contexte économique mondiale, d’après Patrick Randriamisata, économiste spécialisé en gouvernance. Interview exclusive.
Midi Madagasikara (MM). Le concept de l’émergence de Madagascar a créé beaucoup d’espoir. Les économistes y croient, si l’on se réfère aux propos relayés par les médias. Trois ans sont passés. Quelle évaluation pouvez-vous avancer, en tant qu’expert en gouvernance ?
Patrick Randriamisata (PR). Il faut noter que l’esprit de l’émergence évoqué concerne le développement socioéconomique de Madagascar. Un pays qui devrait briller sur le plan international. Cela nécessite des investissements permettant d’accroître la production et de renforcer le savoir-faire, en vue d’améliorer la qualité de vie de la population. Quand on parle d’émergence, le développement doit être inclusif. Chaque citoyen doit participer au processus pour que chacun puisse bénéficier du développement attendu. De ce fait, la population de base doit être consultée pour bien définir les besoins réels permettant à chaque individu d’avoir des activités prospères et contribuer ainsi aux activités productives de l’économie.
En second lieu, Madagascar devrait être visible sur le plan international, grâce à ses produits si l’on ne cite que l’exemple des produits de rente, des pierres et métaux précieux, etc. qui devraient être exportés après transformation. Avant la crise sanitaire, les investissements directs étrangers tournaient aux alentours de 400 millions USD par an. Mais nous savons que la situation est exceptionnelle à cause de la crise de la Covid, qui a réduit le volume des investissements étrangers. Bref, les signes de l’émergence ne sont pas encore visibles. Les industries naissantes ne sont pas apparues. Le sous-emploi persiste. La qualité de vie ne s’est pas améliorée. Les investissements restent faibles. Notre économie est toujours fragile et dépend de l’extérieur, ce qui est l’opposé d’une économie émergente. Le concept ODOF (One district, one factory) est envisagé, mais sa concrétisation n’est pas effective.
- Donc selon vous, nous sommes à la traîne. Quelles pourraient être les raisons ?
- Le choix des investissements ayant des impacts palpables sur la vie du peuple pourrait être un facteur déterminant. En outre, il faut souligner que le contexte actuel n’a rien à voir avec celui d’il y a deux ou trois ans. La crise sanitaire a transformé les activités économiques mondiales. Des changements sont constatés au niveau de la production et de la consommation. Chaque pays a tendance à produire ce dont il a besoin. Cela a réduit les échanges internationaux, et a abouti à la crise des containers, que nous connaissons bien. Malheureusement, Madagascar n’a pas suivi cette tendance, car nous importons davantage. Or, ce changement de contexte nécessite une compréhension de la dynamique mondiale de l’économie et une bonne réactivité des dirigeants. Le contexte de la Covid peut être considéré comme une opportunité à saisir, mais il faut prendre les bonnes décisions qui pourront nous orienter vers le vrai développement.
- Selon vous, quels sont les bons choix d’investissement ?
- Il est certain, c’est que l’émergence nécessite un grand volume d’investissement que l’Etat doit trouver. Pour développer un pays, il faut investir pour que chaque individu ait l’opportunité de s’épanouir, notamment au niveau socio-économique. Cela concerne par exemple, les routes, les infrastructures agricoles, l’électricité qui permet de propulser les activités productives, les services sociaux de base qui ont des impacts directs sur la qualité de vie de la population, etc. Les secteurs stratégiques et l’énergie peuvent également transformer l’économie. Rien que la phase de recherche permet déjà d’attirer des capitaux importants. Par ailleurs, les paramètres de sécurité publique, la lutte anticorruption, l’Etat de droit et l’environnement politique paisible sont des éléments déterminants, pour la réussite des objectifs de l’émergence.
Recueillis par Antsa R.