
Rien qu’à moins de 60 kilomètres de la ville de Toliara, la famine frappe sauvagement des villages longeant la RN7. Des drames s’y jouent parce que le ciel est loin d’être clément pour plusieurs milliers de citoyens.
La mère de Franckie préfère sortir de la place du village d’Anjahamposa pour parler de son fils. « Il est mort là–bas », indique-t-elle en pointant du doigt sa petite case. La voix est fébrile. Le sourire, sûrement absent pour des décennies. Il y a presque un mois, elle a enterré Franckie, son garçon de dix ans. Une mort tragique, dont la dernière photo prise au mois de juillet par le père Jean Chrysostome Ravelomahitasoa, montre un gamin accablé. Le corps aussi mince qu’un cadre de vélo.
Bienvenu à environ une quarantaine de kilomètres de Toliara, la plus grande cité urbaine du sud de Madagascar, où deux communes voisines, Andranohinaly et Andranovory, traversées par la RN7 servent de première vitrine de la famine. Nul besoin d’aller dans les enclaves improbables des régions Androy et Atsimo-Andrefana pour être confronté à ce fléau. Par la route goudronnée menant vers Antananarivo, des victimes se comptent. Onze depuis le mois de juin, à Betsinefo, Ampamata et Analamitsivala, enfants et personnes âgées, pour la plupart. « Une personne vient de mourir chez nous », a signalé au téléphone Germain, le fils du maire d’Andranohinaly, ce 24 octobre.
Cette année, le kere serait arrivé plus tôt que prévu. « En principe, cela devrait être au mois d’octobre qu’il débute. Cette fois, cela a commencé dès le mois d’avril », fait savoir Jean Chrysostome Ravelomahitasoa. L’homme d’église a créé une association Sakaizan’ny Olona Sahirana. Depuis 2018, elle réalise des actions dans des villages au bord de la RN7. Néanmoins, lors de son passage avec son équipe à Anjahamposa, le 17 octobre, le village a été quelque peu déserté. « La moitié des habitants est partie vers la rivière Fiherena pour chercher des tubercules de la forêt, ils reviennent en fin de journée. C’est comme cela qu’il cherche à manger », explique la mère de Franckie.
Ce point d’eau se trouve à environ 19 kilomètres. Dès les premières lueurs du jour, ils et elles sont une trentaine d’individus à se déplacer. Unique objectif : trouver à manger, ensuite revenir au village le soir. « Il s’agit là de leur seul repas du jour », se désole Germain. Dans des villages comme Betsinefo ou Ankororoka, quand la fatigue ne permet plus de faire de longs trajets à pied, les habitants préfèrent rester, se laisser bercer par le soleil de plomb et la faim. « Des fois, les villageois ne mangent pas pendant deux semaines », continue-t-il.
Business d’eau. Mais l’eau reste vitale. Du coup, des camions citernes venus de Fianarantsoa assurent au quotidien l’approvisionnement des deux communes. Ils partent d’Andranovory, après avoir rempli leurs citernes dans la rivière Fiherena. Et s’arrêtent de village en village. Pas de place pour les sentiments, le cours du bidon jaune varie selon la distance du trajet. Plus les véhicules s’éloignent de leur lieu de départ, plus le prix augmente. Alors, il se situe entre 700 ariary le bidon (soit le prix du « kapoaka » de riz à Toliara) et 1 000 ariary.
« Pour trouver mille ariary, il faut une journée pour une famille. Les plus aptes partent dans les bois dès six heures du matin et reviennent vers midi. Ils ramènent du bois de chauffe, qu’ils vendent à mille ariary. Et avec l’argent, ils achètent de l’eau. Inutile de penser à la nourriture », décrit le père Jean Chrysostome Ravelomahitasoa. Un système qui rappelle également un aspect du problème environnemental de cette région. Velondraza est chef fokontany à Sambaindevo, un hameau situé à l’intérieur des terres. Avant les années 2000, la forêt se trouvait à peine à cent mètres de son fief. « Maintenant, elle est à environ douze kilomètres d’ici », révèle-t-il.
Presque tous les villages formant Andranovory et Andranohinaly souffrent de l’éloignement de la forêt, seule ressource énergétique, également source d’argent par la vente des bois de chauffe ou pour le charbon. A part cela, dans certains villages, des toits arrivent à posséder une ou quelques têtes de boucs. « C’est une richesse, bien sûr, c’est surtout parce que ces bêtes grandissent vite et mettent bas plus vite que les gens les préfèrent au zébu. Donc, en deux ou trois mois, ils peuvent déjà vendre l’animal ou le manger », explique Germain. La pression économique est telle que toute perspective d’« investissement » de plus de trois mois est impensable. Cette année 2020 a pourtant été l’une des plus sèches. « Cela fait trois ans que la pluie a boudé. Plus rien, on ne pouvait plus planter du riz, du haricot, du pois de bambara. Si vous plantez du maïs, dès que la pluie manque, les nuisibles mangent les récoltes et les détruisent. Même le cours d’eau de Vineta, passant tout près de chez nous, est asséché », relate Velondraza, le chef du fokontany de Sambaindevo.
Manque d’eau, entraînant le manque de nourriture. Les images circulant sur les réseaux sociaux, de pauvres gens, la peau sur les os et sales, ne sont que la partie émergée du « kere » dans le sud. D’abord, il y a le facteur météorologique. Jean Chrysostome Ravelomahitasoa témoigne des aléas du ciel qui, parfois, fait preuve d’humour très sombre. « Si la pluie le permet, si elle est suffisante, il n’y aura plus de famine. Des fois, il y en a, les populations en profitent pour semer et planter. Au bout de quelques jours ou semaines, elle s’arrête. Les plants n’ont pas eu assez d’eau et ils fanent ». Sinon, une pluviométrie à 400 mm/an sape tout moral dans les communes Andranovory et Andranohinaly.

A la dure. Des forages ont été effectués dans plusieurs villages par l’association Sakaizan’ny Olona Sahirana, seul Sambaindevo a pu être équipé de puits. Dans les autres sites, pas le moindre espoir. « Nous avons creusé jusqu’à vingt-cinq mètres, mais rien. Il y a des moments où nous arrivons à deux cents mètres, mais encore rien », fait savoir le prêtre. Rien que pour équiper un village de telles infrastructures, il faut compter pas moins de 10 millions d’ariary au bas mot. Il suffit de faire le calcul, pour toute la région Androy et les autres affectées par la sécheresse. Par exemple, la commune d’Andranovory compte 9 fokotany. Y installer 9 puits n’est pas à la portée d’une petite association ou d’une administration villageoise avec son propre budget.
Et dans ses trous oubliés, des scènes insoutenables et des vies en lambeaux font partie du lot. D’autres aspects du « kere », loin des clichés habituels, surenchéris par des gestes d’un sauveur juste bon à amadouer les électeurs. Les jeunes filles de quatorze ou quinze ans, portant leur bébé de six ou sept mois, faisant la moitié de leur poids normal, s’accumulent de plus en plus dans ces villages. « Les pères les quittent après leur avoir fait un enfant », regrette Germain. Les hommes préfèrent déserter ces terres désolées où même le diable n’oserait s’aventurer. Ou encore, « Maska », une mère seule dont la fille de 26 ans possède la carrure d’une gamine de 7 ans, « elle a ses règles ». Les problèmes de grossesses, dus à la malnutrition chronique, engendrent des personnes vulnérables à foison.
Alors, quand des vivres arrivent comme ce 17 octobre. Tout le village accourt, des grands bols à la main. «Tout le monde a droit à sa ration de poudre de maïs et de sucre, qu’il faudra encore cuire », prévient le prêtre. Comble du comble, les petits, affamés, dès qu’ils reçoivent leur part, se cachent et avalent cette manne sans attendre. Allumer un feu et attendre la cuisson demande sans doute trop de temps. Difficile de leur donner tort, tant la faim les pousse à des gestes extrêmes. Les deux communes d’Andranovory et Andranohinaly constitue une pièce du grand puzzle de la famine à Madagascar. Que ce soit à Betsinefo, Ampamata, Sambaindevo, etc. Le seul slogan est « Donnez-nous de l’eau et il n’y aura plus de famine par ici ».
Maminirina Rado