Image et réseaux sociaux. Hery Rason, de l’ONG « Safidy », a accepté d’évoquer la relation entre ces deux concepts, désormais enracinés dans la culture politique d’aujourd’hui. Et cela, sans langue de bois.
Midi Madagasikara : L’exercice politique actuel est dans le creux de la vague des nouvelles technologies, que ce soit à Madagascar ou ailleurs, la culture de l’image a alors vite pris le dessus dans la politique. Est-ce que nous pouvons dire que la culture politique verse maintenant dans la culture du paraître ?
Hery Rason : Effectivement, en ce moment, les choses sont plus centrées sur la forme que sur le fond. Sur la personne qui le dit, non pas sur le contenu. Peut-être qu’effectivement il y a des choses assez bonnes qui peuvent être faites, mais si une personne est déjà étiquetée par une image. J’imagine qu’en politique, l’image compte énormément quand on véhicule quelque chose, un message. Il faut essayer de coller à ce message la bonne personne qui puisse le communiquer. Et c’est, je pense, devenu le centre de toute communication : l’image de la personne qu’elle renvoie. Donc, « qui » d’abord, avant de dire « quoi » ou « comment ». Et c’est là le souci, je pense. Ce genre de chose est la résultante assez logique, du pays, du monde entier actuellement. Je dirai quelques mots, nous avons les leaders que nous méritons. Donc la culture politique maintenant, c’est quelque part une culture de l’image.
MM : Où vont alors les idées et le discours politique ? Est-ce devenu seulement une culture de l’image ?
HR : Le paraître, il devient de plus en plus important, surtout, maintenant que 2023 approche. Et nous voyons cela de part et d’autre, de l’opposition, du pouvoir. C’est une question qui devient de plus en plus importante pour pouvoir acquérir ces électeurs, qui au final, personne n’ose le dire, n’ont pas forcément la capacité d’analyser les informations aussi techniques, aussi profondes qu’auparavant. Si nous avons vu le débat entre feu Didier Ratsiraka et feu Albert Zafy, un débat télévisé centré, par exemple, sur la relance économique. Les deux candidats, en ce temps-là, pouvaient parler en toute quiétude sans se dire que les autres ne comprendraient pas. Ils ont parlé du taux de croissance économique, comment le relever, etc. Vous parlez de cela aujourd’hui, les gens ne vous écouteront plus. En ce moment, le discours serait plutôt dans la motivation, dans ce que j’ai pu faire. Et non pas trop dans le contenu : comment améliorer les choses ? C’est assez normal parce que l’électorat, en ce moment, et prochainement, sera encore pire qu’auparavant. Premièrement, les jeunes seront les plus grands absents. Pour charmer ceux qui seront encore là, il s’agira plutôt de faire rêver. Faire miroiter quelque chose. Le revers de la médaille, à un certain moment les gens vont se réveiller. Il y a une limite à vendre cette image.
MM : Comment se présenterait cette limite de la culture de l’image qui intègre désormais la culture politique ?
HR : Je dirai plutôt les symptômes. Les symptômes de cette limite seraient les descentes dans les rues, qui seront causées par l’inflation, les pillages. Je ne voudrais pas que nous arrivions à ce stade-là. Jusqu’à ce jour, nous avons l’avantage d’avoir les réseaux sociaux où les gens se plaignent. Parce que les pouvoirs à travers le monde se basent essentiellement sur ce qui se dit sur les réseaux sociaux pour évaluer les choses. Mais le jour, où les gens ne se suffiront plus à Facebook, principalement pour Madagascar, le problème sera effectif.
MM : Même avec 7 % de taux de pénétration dans le pays… Est-ce que cela est représentatif de plus de 10 millions d’électeurs si on prend le cas de Madagascar ?
HR : Ça pourrait être cela Facebook, mais rappelez-vous quand même une chose. Selon le « Recensement général de la population humaine », le taux de pénétration de la téléphonie mobile est à 45 %. Les gens qui ont un téléphone mobile sont aux alentours de 45 % de la population adulte à Madagascar. C’est assez conséquent je trouve. Il ne faut plus essayer de se dire que Facebook c’est Facebook. Non. C’est aussi une limite dans la mesure où, c’est la tendance sur Internet : l’algorithme de Facebook. Internet en soi, fait que les gens commencent à se mettre dans une bulle. Les réseaux sociaux tendent à mettre en relation les gens qui ont les mêmes idées et à travers cela la diversité des idées. Personne n’a plus ce recul de se dire que : « ce que je dis va être faux, mais ce que je dis est totalement vrai parce que d’autres sont d’accord avec moi ». Du coup, on vit dans une bulle et le risque, je pense, ce n’est pas trop la représentativité, mais c’est qu’on devient extrémiste chacun dans nos idées. Alors, on commence à adhérer dans une logique de vie : « je vis dans une bulle ».
MM : Est-ce que cela n’annonce pas la fin des grands discours à la « Ratsiraka », les grands débats d’idées politiques ? Où, seront-ils réservés à une certaine tranche de la population ?
HR : J’aimerai dire que c’est fini, oui, c’est que ce n’est pas le cas. Mais le discours politique se calque avec les réalités du pays. Je pense qu’il est temps d’inverser la tendance. Les rares personnes qui arrivent à atteindre le milieu universitaire n’ont plus la même qualification que celles d’antan. Le BAC tel qu’il est donné actuellement n’a plus le même niveau. C’est le même diplôme, mais ce n’est plus le même niveau. Ce qui montre que le pays régresse. Une chose est sûre, la génération d’aujourd’hui même si elle a les mêmes diplômes est moins instruite que celle d’avant. Et c’est là le plus alarmant dans ce pays. Le souci, je pense, c’est que cet électorat s’abêtit.
MM : Donc, il n’y a plus d’autres alternatives que cette culture de l’image en politique ?
Nous sommes arrivés à un point où beaucoup d’entre nous ne sont plus convaincus du discours politique. Si nous parlons réellement de « comment », cela endort les gens. Ce qui réveille les gens, c’est l’image. C’est une culture de la communication un peu occidentale, centrée sur la personne. Le candidat qui parlera des vrais problèmes, contre le candidat qui prendra une image de riche aura plus tendance à gagner parce que cela « charmera » un peu plus l’électorat.
MM : Cela a commencé en 2001, avec Marc Ravalomanana, jeune, self made man et riche, opposé à Didier Ratsiraka, un candidat au parcours intellectuel, un pur produit de l’institution républicaine. Est-ce que ce n’était pas la genèse de la guerre d’image en politique à Madagascar ?
HR : C’était déjà une guerre d’image, effectivement. Cette lassitude aussi, face au débat, les discours politiques qui n’aboutissent à rien, pourtant on dépasse tant d’argent. Au final, les gens vont aspirer à un « Messie » politique. Le président Ravalomanana, avec son succès, a démontré cela. C’est ce qui est arrivé avec Andry Rajoelina, on aspire toujours à un « Messie » politique. Du coup, ce qui explique en grande partie cette volonté de valoriser l’image, le succès qu’il a apporté dans sa vie personnelle, mais pas vraiment dans ce qu’il peut apporter au final. Ce qui se passe, c’est que beaucoup se sont préparés à gagner, mais pas à diriger.
Recueillis par Maminirina Rado