60 ans de relations diplomatiques entre le Japon et Madagascar. Le Pays du Soleil levant est l’un des partenaires majeurs de la Grande île dans de nombreux projets de développement. L’ambassadeur du Japon, Higuchi Yoshihiro, qui va quitter le pays dans les semaines à venir, nous a accordé une interview exclusive sur les bilans de la coopération entre les deux pays depuis 1962. Interview.
Midi Madagasikara (Midi) : 60 ans de relations entre Madagascar et le Japon, comment évaluez-vous la relation entre les deux pays?
Higuchi Yoshihiro (H.Y) : « Le Japon et Madagascar n’ont cessé de promouvoir l’amitié et la coopération au cours de ces 60 dernières années au niveau diplomatique, au niveau du commerce, du business et de l’investissement privé, et au niveau des échanges entre les peuples, notamment entre jeunes dans le domaine de l’éducation, de la culture, du sport et du tourisme, etc. Le Japon est l’un des principaux bailleurs de fonds pour Madagascar, aux côtés des États-Unis, de l’Union européenne, de la France et de la Banque mondiale, le FMI, et fournit beaucoup de coopérations au développement en faveur de Madagascar. En termes d’échanges commerciaux et d’investissements, le projet Ambatovy, dont l’actionnaire principal actuel est la société japonaise Sumitomo Corporation, est la plus grande entreprise privée de Madagascar et contribue considérablement à l’économie malgache. En ce qui concerne les échanges culturels, éducatifs et sportifs, je me réjouis de constater que de plus en plus de personnes se familiarisent avec la culture japonaise. Environ 2 500 personnes apprennent la langue japonaise en 2018. Nombre de Malgaches pratiquent aussi les arts martiaux d’origine japonaise tels que le karaté, le judo et l’aïkido ».
Midi Madagasikara (Midi) : Le Japon est l’un des partenaires majeurs de Madagascar, avez vous une estimation de la taille des échanges commerciaux entre les deux pays? Son évolution en 60 ans ?
H.Y: « Les échanges commerciaux bilatéraux (2020) sont marqués par un large excédent en faveur de Madagascar, les exportations de Madagascar vers le Japon sont estimées à 12,7 milliards de yens, alors que les exportations du Japon vers Madagascar sont de 940 millions de yens. En termes de commerce bilatéral, cela signifie que le Japon est un très bon client pour les produits malgaches. Après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1962, l’arrangement sur le commerce a été signé en 1963. Depuis les années 1980, le secteur de la pêche, comme les crevettes et les thons, était très actif et les entreprises japonaises ont beaucoup investi dans ce secteur. Actuellement, le secteur des ressources minérales est devenu le business phare entre les deux pays comme en témoigne le projet Ambatovy. Les produits de vanille et de raphia de Madagascar attirent également l’attention du marché japonais ».
Midi : Le projet Ambatovy est l’un des plus grands projets miniers à Madagascar où le Japon est un grand acteur. Est-il possible de voir d’autres groupes japonais investir à Madagascar ?
H.Y : «Comme vous l’avez évoqué, Ambatovy est le plus grand et le plus important investissement du Japon à Madagascar. Le nickel et le cobalt de haute pureté, extraits et raffinés à Madagascar sont expédiés aux fabricants de véhicules électriques et de batteries du monde entier. Les devises étrangères gagnées par l’exportation des produits d’Ambatovy représentent environ 30% des recettes en devises étrangères de Madagascar. De plus, il crée jusqu’à 10 000 emplois locaux et apporte une contribution importante en termes de recettes fiscales et contribue globalement de manière significative au développement de l’économie malgache. Il existe bien sûr un potentiel pour de nouveaux investissements des entreprises japonaises. Cependant, afin d’attirer de nouveaux investissements, il est important que les projets d’investissements existants, notamment Ambatovy, se déroulent de manière stable et génèrent des bénéfices fiables tant pour les investisseurs que pour Madagascar. Les investisseurs japonais et du monde entier prêtent attention à l’évolution du projet Ambatovy. Ambatovy est une « vitrine » des investissements étrangers qui peut éventuellement attirer les nouveaux investissements à Madagascar. Si Ambatovy est reconnu comme un succès à Madagascar, le potentiel de nouveaux investissements à venir augmentera. Pour cette raison, il est important de faire du projet Ambatovy un succès, avec la coopération active du gouvernement de Madagascar. Nous, l’ambassade du Japon n’épargnerons aucun effort pour fournir le soutien nécessaire à cette fin.
L’augmentation des investissements étrangers à Madagascar, y compris ceux du Japon, est souhaitable pour la revitalisation économique de Madagascar. À cette fin, il est nécessaire que la partie malgache développe activement un environnement des affaires qui facilite les activités des entreprises étrangères. Malheureusement, les investissements japonais sont plus faibles qu’il y a une vingtaine d’années. De nombreux investissements se sont retirés en raison, entre autres, de la crise politique et de l’instabilité institutionnelle. Cette situation doit être inversée. Pour le développement du business, il est de la plus haute importance d’améliorer l’environnement juridique, administratif et infrastructurel afin de faciliter les activités du secteur privé et de créer un environnement transparent et stable. Le développement d’infrastructures économiques de base, telles qu’un approvisionnement stable en électricité, en eau et en routes, est d’une importance capitale. Avant tout, la stabilité politique est essentielle. Ces conditions sont d’une importance capitale pour la promotion de toutes les activités économiques à Madagascar, aussi bien pour les investissements étrangers que les entreprises locales. On attend du gouvernement qu’il soit plus proactif dans l’amélioration du climat des affaires ».
Midi: Sur les nombreuses interventions dans le pays, quels sont les secteurs chers au Japon ?
H.Y « Dans les secteurs économiques de Madagascar, comme nous l’avons vu précédemment, le secteur minier, avec ses ressources abondantes telles que représentées par Ambatovy, et le secteur de la pêche, avec ses zones de pêche riches et étendues, sont attractifs pour le Japon. Le mois dernier, le 20 juillet, un nouveau protocole d’accord de deux ans sur la pêche au thon par les bateaux japonais a été signé entre le ministre malgache de la Pêche et de l’Économie bleue et la Japan Tuna. Le Japon pêche chaque poisson à la palangre et le manipule avec beaucoup de soin, car chez nous, le thon congelé est consommé cru. Il convient de noter que la pêche à la palangre est une méthode de pêche plus durable par rapport au chalutage de fond ou autre, dans la mesure où elle ne capture que les poissons dont elle a besoin et évite ainsi la surpêche. La nouvelle redevance de la pêche sous ce contrat sera considérablement augmentée, ce qui rapportera environ 1,17 million d’USD au gouvernement malgache comme redevance.
L’agro-industrie et le tourisme sont également des domaines potentiels. En janvier prochain, un navire de croisière de luxe transportant plusieurs centaines de passagers en provenance du Japon fera escale au port de Toamasina ».
Midi : Quelle est la place de Madagascar dans la nouvelle politique diplomatique japonaise en Afrique?
H.Y « Si l’on examine la position géopolitique de Madagascar et du Japon, on constate des points communs : le Japon est un pays insulaire situé dans l’Océan Pacifique, à la limite du continent asiatique, tandis que Madagascar est un pays insulaire situé dans l’Océan Indien, à la limite du continent africain. Les deux pays confirment qu’ils travailleront en étroite collaboration en tant qu’États maritimes reliant les océans Pacifique et Indien, l’Asie et l’Afrique, dans l’optique de l’Indo-Pacifique libre et ouvert ». La vision de l’Indo-Pacifique libre et ouvert » est, en résumé, que par l’instauration de l’ordre maritime libre et ouvert dans la région Indo-Pacifique, fondé sur l’État de droit, cette région deviendra un « bien public international » qui apportera stabilité et prospérité à tous les pays. Pour ce faire, il est primordial d’avoir des infrastructures « de qualité », d’améliorer la sécurité maritime et développer l’économie bleue. Le projet d’extension du port de Toamasina, dont la cérémonie de lancement de la deuxième phase a eu lieu en décembre 2021 et qui devrait être achevé en 2026, est un projet exemplaire qui vise à renforcer la connectivité régionale dans le cadre plus large de la vision « Indo-Pacifique libre et ouvert ». Le projet d’extension du port de Toamasina, qui triplera la capacité de manutention des conteneurs de ce port, le plus grand port commercial du pays, est le plus grand projet japonais de coopération au développement réalisé à Madagascar depuis son indépendance, avec un coût total de 411 millions USD (1 697 milliards d’ariary). Cela devrait aider le port à se développer de manière significative en tant que port pivot dans la région de l’océan Indien. Le Japon a également décidé de fournir au gouvernement malgache cinq bateaux patrouilleurs à grande vitesse pour lutter contre les opérations illégales au large de ses côtes, ce qui constitue une coopération significative dans la perspective du renforcement de la sécurité maritime ».
Midi : Comment entrevoyez-vous les perspectives de coopération ?
H.Y : « Le Japon a soutenu activement le développement durable de Madagascar dans divers domaines. Depuis 1962, l’aide japonaise à Madagascar s’élève à 5 000 milliards d’Ariary. Les principaux domaines de coopération actuels sont l’agriculture et le développement rural, les projets d’infrastructures, le développement du secteur social, le soutien aux processus électoraux et la sécurité maritime. Tous ces domaines sont des domaines de coopération importants que le Japon met en œuvre à la demande du gouvernement malgache ».
Midi : La TICAD 8 se déroulera les 27 et 28 août en Tunisie, la Grande île sera de la partie. Où en sommes-nous dans la concrétisation des acquis du dernier TICAD ? Combien Madagascar en a tiré comme profit ? Cette année, quel sera le message que le Japon aimerait faire passer en Tunisie?
H.Y : « Nous sommes très heureux que le président de Madagascar, Andry Rajoelina participe à cette 8e édition de la TICAD (TICAD8) comme la dernière fois à la TICAD7. Les trois piliers de la Déclaration de Yokohama 2019, adoptée lors de la dernière TICAD 7 en 2019 ont été axés sur l’accélération de la transformation économique et l’amélioration de l’environnement des affaires par l’innovation et la participation du secteur privé, la consolidation d’une société durable et résiliente et le renforcement de la paix et de la stabilité. En ce qui concerne Madagascar, le président Rajoelina a insisté sur l’importance de la sécurité maritime dans l’Océan Indien occidental et sur la nécessité de s’unir pour lutter contre la pêche illégale lorsqu’il a rencontré le Premier ministre de l’époque, M. Abe, à l’occasion de la TICAD 7. La deuxième phase de l’expansion du port de Toamasina, la décision de fournir des bateaux de garde à grande vitesse et la réhabilitation de deux ponts sur la route nationale 2 pour améliorer la connectivité se concrétisent maintenant comme les fruits de la TICAD 7. Dans d’autres domaines, par exemple, dans le domaine de la « Consolidation d’une société durable et résiliente », un échange de note a été signé le 15 juin pour la fourniture du « Projet d’amélioration des équipements de gestion des déchets solides pour la ville propre à Antananarivo » et du » Programme de Développement Économique et Social 2022 (projet de provision de l’équipement mobile pour le forage de puits) « . Lors de la TICAD 8 de cette année, il est prévu que les Nations unies, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque mondiale et l’Union africaine participent en tant que co-organisateurs, en plus des chefs d’État ou de gouvernement du Japon et des pays africains. Les trois piliers de la TICAD 8 sont l’économie, la société, la paix et la stabilité. Il est à espérer que le partenariat gagnant-gagnant entre Madagascar et le Japon sera encore renforcé par cette TICAD 8 »
Propos recueilli par Tanjona Devaux Harijaona