
Dans son livre Africa and the Blues (1999), Gerhard Kubik démontre comment l’héritage musical de Madagascar a forgé l’identité profonde du blues américain. Ce « détective musical » prouve que, de l’exil à Richmond jusqu’au Mississippi, la mémoire des doigts a survécu pour donner naissance aux plus grands riffs de l’histoire.
Entre le « jejy voatavo » et le « Piedmont blues », il y a « Africa and the blues » (1999, presse universitaire du Mississipi) écrit par Gerhard Kubik, qualifié de détective musical. Jusqu’ici l’ouvrage le plus abouti sur le lien culturel qui relie l’Afrique de l’est, dont il fait beaucoup mention de Madagascar, et le blues américain. De 1670 à 1720, les pirates vendaient des captifs malgaches aux propriétaires terriens de la Caroline du Sud, État de la côte Atlantique des Etats-Unis. Au XVIIIè siècle, les célèbres navires battant pavillon britannique Prince Eugène, Beulah… débarquaient des centaines de Malgaches à Richmond dans l’État de Virginie. XIXè siècle, l’esclavage domestique ramène aussi des centaines de Malgaches à la Nouvelle–Orléans en Louisiane. Ces trois périodes échelonnent l’expansion de l’influence malgache et de l’Afrique de l’est dans le blues. Ainsi naquit le « blue note », adaptation de la structure équi-heptatonique, largement utilisée dans la musique traditionnelle Antandroy aux instruments occidentaux. « Bien que les statistiques montrent une majorité de captifs venant de la côte ouest-africaine, une composante significative originaire du canal du Mozambique et de Madagascar a été introduite en Virginie et dans les Carolines au XVIIIe siècle. Ces groupes ont apporté des traditions instrumentales solitaires qui préfiguraient l’ethos du blues », souligne Gerhard Kubik. Cette phrase issue d’« Africa and the blues » est lourde de sens venant de l’anthropologue et ethnomusicologue le plus influent du XXè siècle. Né à Vienne en Autriche en 1934, sa compréhension du blues et ses relations africaines a balayé toutes les théories romanesques et racistes – dans les deux sens, en utilisant la science exacte. Grâce à ce livre, chaque région, voire chaque village a été honoré. « Ce motif spécifique vient précisément de telle région du Nigeria, et cette façon de chanter vient de telle culture de Madagascar/Mozambique », précise-t-il. Des exemples, cet ouvrage n’en manque pas. Il spécifie dans « Africa and the blues », le groupe Vaovy. A bien y voir, avec la chanson « Salakao », la présence des notes flottantes, le « call and response », le sentiment musical ou la « vibe » selon l’expression actuelle à travers une douleur personnelle… lui donnent raison. D’ailleurs, Jean Gabin Fanovona, le fondateur du groupe Vaovy a toujours mentionné et théorisé, recherche à l’appui, la relation du « beko » avec le blues. Tout comme la ville de Richmond en Virginie, à partir de laquelle les premiers arrivants malgaches ont été emmenés avec leur savoir-faire musical. Des musiciens émérites se trouvaient sur le bateau. Le banjo primitif et la guitare étaient des instruments populaires. Le style fusionnel de ces Malgaches a traversé les contrées vers l’ouest et le sud : le blues se révèle au monde. L’esclavage n’a pas tué la mémoire des doigts devant un instrument. Gerhard Kubik prend également l’exemple du « Travis picking », inspiré du country man Merle Travis (1917–1983). Lui, l’a hérité d’Arnold Schultz, un fils d’ancien esclave, sans doute des Malgaches. Puisque le « fingerpicking » descend de la manière de jouer du marovany. Le « bottleneck », le « cipendani » l’ancêtre de l’effet wah–wah avec Jimmy Hendrix comme maître absolu, les Eric Clapton, Slash, Tom Morello, etc, le lien du « bilo » dans le sud malgache avec la polyrythmie du blues « Fife and drum bands ». Ce dernier, avec les styles Piedmont blues et blues du Delta, rassemblait la zone d’influence des Malgaches et des Africains de l’est.
Maminirina Rado



