Certes, les intellectuels ont occupé l’administration vers la fin des années 1950. Leurs cursus scolaires, voire universitaires, leur ont permis de siéger à la tribune. La tâche n’était pas facile. La démagogie, l’éloquence, les relations tissées, bref, une stratégie pour arriver au stade supérieur… Mais pour arriver au sommet, il faut avoir un coup de pouce, être épaulé, ou “se hisser sur des dos”, souvent, ceux des sympathisants, des partisans fanatiques…
En fait, les raconteurs de l’histoire ont tendance à parler des grands personnages, les hommes forts d’une localité, les hauts dignitaires bien habillés. Pourtant, pour la plupart d’entre eux, des personnes qui connaissent réellement le terrain chuchotent à leur oreille. Ça s’est toujours passé ainsi. Depuis des lustres, les illustres élites ont non seulement leur bras droit, mais aussi des bras longs grâce à des petits messieurs héritant des métiers de leurs ascendants pendant la colonisation, les plantons. À l’origine, ce sont des soldats qui sont de service auprès d’un officier, pour porter ses ordres, à une porte pour renseigner, pour surveiller. Au fil du temps, cette fonction est attribuée aux hommes appartenant à la classe ouvrière durant la colonisation. Après l’indépendance, cette habitude est devenue une profession à part. Entre espions et collecteurs d’informations dans les territoires plus ou moins éloignés, ces « missionnaires des politiciens » ne sont pas intégrés dans le service de renseignement, mais restent des « irakiraka ». Donc, chaque haut dignitaire a ses petits messieurs qu’il a déployés dans les zones lointaines. Du temps de la Première République, les conseillers provinciaux, avant la session ordinaire, payent leurs « irakiraka » pour effectuer des enquêtes au fin fond de la campagne. Pareil pour la période des élections, ces marathoniens se fondent dans la masse afin d’écouter les propos du peuple. Cette petite profession attire de plus en plus de personnes vers la moitié des années 1970. Voulant asseoir leur pouvoir, les dirigeants de l’époque recrutent officieusement des jeunes. « Ils se mélangent avec les citoyens. Ils peuvent être des marchands ambulants, des dockers. Ils prennent leur temps pour discuter de tout et de rien. Souvent ils prêchent le faux pour avoir le vrai », a témoigné Marco Ilaivao, un contemporain de l’époque.
Sans conteste, ces espions de bas étage constituent la base du fondement des régimes. Bien qu’ils soient confrontés à des difficultés, leurs patrons demeurent indifférents, voire ingrats. Cette besogne est toutefois attrayante puisqu’au début des années 1990, la période durant laquelle la crise post-électorale marquait la chute du socialisant Didier Ignace Ratsiraka, les « irakiraka » jouaient un rôle prépondérant. Ces surveillants certifient les « on-dit » et les ouï-dire susurrés par la population. Suite logique, les opposants s’en servent pour accélérer le renversement du « dictateur doux ».
Iss Heridiny