
Un peu partout à Madagascar, le constat est presque le même : la saleté s’installe. Pire encore, les Malgaches semblent trouver normal le fait que des ordures s’entassent partout. Que les canaux d’évacuation des eaux usées servent de poubelles et ne remplissent plus leur fonction. Une mauvaise habitude condamnable et condamnée, ne serait-ce que par le risque élevé d’apparition d’épidémie qui en est une conséquence.
Incivilité
Si dans les autres pays il est formellement et complètement inacceptable de jeter ces ordures partout, à Madagascar, c’est monnaie courante. C’est normal et faire le contraire relèverait d’un geste incompris et anormal. Comme l’a fait savoir Tiasoa, logeuse : « au niveau de la société, on paie cher une tentative tendant à remettre les gens sur le droit chemin. Je m’explique, si tu leur dis que jeter les ordures partout est mauvais et qu’il faut arrêter de le faire, on te répond directement que tu te prends pour un ‘vazaha’ (un étranger) ». Si l’on suit la logique, faire comme les « vazaha » dans le bon sens du terme est inacceptable. Mieux encore, une telle approche pourrait valoir à la personne qui l’a initiée le pire des jugements, voire une marginalisation au sein de la communauté dans laquelle elle vit. Le degré d’incivilité est tel que le Malgache – sûrement submergé par ses problèmes quotidiens et espérant trouver ce qu’il va consommer le lendemain – que les notions de savoir- vivre, de savoir-être et de savoir-faire lui sont étrangères. Il est en effet déconseiller d’essayer de raisonner un Malgache lambda que la commune et l’Etat ont mis à sa disposition des endroits spécifiques pour jeter ses ordures. Des endroits dont la proximité avec la population n’est pas toujours évidente mais qui existent. C’est déjà un acquis ! Revenant au fait de copier les « vazaha », que dire des Malgaches roulant dans leurs voitures 4×4 et qui jettent leur carton de pizza sur la chaussée ? Ou encore ceux qui ne parlent pas en malgache – juste pour paraître comme des « vazaha »… et ce pour bon nombre de Malgaches – et qui jettent sans sourciller leurs mégots de cigarettes partout où ils vont ?
Antananarivo et ses ordures
La Ville des Mille est connue pour beaucoup de choses positives. Elle figure toutefois parmi les villes les plus sales du monde. Le dernier classement effectué par Afrikmag.com a, en effet, placé la capitale malgache au premier rang des villes les plus sales d’Afrique et au troisième rang mondial. Une classification qui nuit grandement à l’image de la capitale du pays. Mais également à celle de sa population étant donné que le critère premier est l’éparpillement des ordures partout. Outre l’incivilité de la population, le manque d’infrastructures de dépôts d’ordures se dresse en première ligne des causes et origines de l’éparpillement des ordures. Pour la capitale malgache par exemple, l’on compterait à peu près deux cents bacs à ordures communaux éparpillés à travers la ville. Un nombre qui apparaît d’emblée insuffisant compte tenu du nombre de Tananariviens qui croît de jour en jour. Si l’on ne prend que le nombre de « fokontany » ou d’arrondissements, le gap est d’autant plus significatif. Outre la capacité d’accueil des bacs, leur insuffisance constitue également une excuse pour continuer la mauvaise pratique. Comme l’a fait remarqué avec aisance Henintsoa R, habitante d’Andohanimandroseza : « Il n’y a pas de bacs à ordures près de chez moi, où voulez-vous que je jette mes ordures ?… Parfois, seulement quand je le veux, je vais au point de dépôt des ordures, mais dans la majeure partie du temps, je les jette là où je vois un espace libre ». Des « fokontany » disposent toutefois de points de dépôts et de collectes d’ordures. Beaucoup d’entre eux disposent même de services de ramassage d’ordures qui vont de porte en porte. Des services qui, en plus de limiter l’éparpillement des déchets, allègent l’agenda des ménages.

Le SAMVA, il fait quoi?
La Ville des Mille dispose toutefois d’un service de maintenance appelé SAMVA ou Service Autonome de Maintenance de la Ville d’Antananarivo. Anciennement sous la tutelle de la Commune Urbaine d’Antananarivo (CUA), ledit service est chargé de la collecte des ordures de la capitale. Actuellement sous l’égide du gouvernement, le service peine à bien faire son travail. Les ordures sont partout comme c’est le cas actuellement. Et lorsque l’on interroge les responsables auprès du SAMVA, ces derniers avancent dans la majeure partie des cas des arguments tendant à expliquer le pourquoi de la situation. Pour le cas actuel, le SAMVA a fait savoir que les camions, récemment réceptionnés, ne sont pas encore en règle sur le plan administratif. Ce qui n’aurait pas pu permettre au service de mener à bien ses missions. La cérémonie de réception desdits camions a pourtant été faite en grande pompe et juste avant le début de la campagne officielle. Les discours prononcés ce jour-là faisaient miroiter la fin des montagnes d’ordures dans la Ville des Mille. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Les ordures sont toujours là, aucun des camions réceptionnés n’a fait ce à quoi il est amené à faire. Bref, la capitale croule toujours sous les ordures. Des observateurs expliquent que la façon de travailler du SAMVA est liée à son affiliation au gouvernement. Comme l’a fait Didier, docker d’Ambodivona : « lorsqu’un organe se trouve entre les mains du gouvernement, il ne remplit plus complètement ses fonctions. Vous savez plus que moi comment les fonctionnaires travaillent. Ne relevant plus du droit, les services publics sont de vrais supplices pour la population. »

Qui dit insalubrité dit maladies
Nul besoin d’être scientifique pour reconnaître qu’insalubrité rime avec maladies. Les faits observés un peu partout dans le pays et dans le monde le confirment. Pour le cas de Madagascar, et d’Antananarivo en particulier, l’épidémie récente de peste a fait savoir que les ordures ont favorisé la prolifération de la maladie. Il ne faut plus revenir à cet épisode sombre de notre pays, les saletés engendrent les maladies diarrhéiques. Lesdites maladies faisant partie du quotidien de nombreux quartiers du pays. Dans la commune rurale d’Amboangibe-Sambava par exemple, les maladies diarrhéiques – en plus de la malaria – sont les plus répandues chez les enfants. Interrogé sur la question, le Dr Edinho, directeur régional de la Population qui a travaillé en tant que médecin-chef dans ladite commune, explique que « les maladies diarrhéiques se contractent surtout par l’intermédiaire d’eau infestée ». Puisée pour beaucoup de ménages, l’eau serait contaminée aussi bien par la pratique de la défécation à l’air libre que par les ordures ménagères qui s’éparpillent un peu partout.
L’insalubrité constitue une problématique majeure pour le pays. La gouvernance des villes – aménagement, gestion durable des ressources, gestion des ordures, gestion de la population et de la circulation, gestion financière et technique… – n’étant pas encore pas automatique chez les Malgaches, surtout pour la classe dirigeante, la situation actuelle s’explique. Il est toutefois consternant d’observer à quel point les gestes qualifiés d’anodins ne constituent pas encore des acquis pour les nationaux. Les mettre dans le même panier relève toutefois d’un manque cruel de considération. Beaucoup de nos concitoyens s’efforcent à adopter les bonnes pratiques en matière d’hygiène. Peu nombreux, ils sont toutefois noyés dans la banalité quotidienne des autres si bien qu’au lieu d’être des modèles, ils passent pour des incompris, voire des haïs même dans certains contextes. Pour un peuple qui espère tant le développement, il serait temps de commencer par changer de manière de voir les choses. Adopter les bonnes pratiques en termes de savoir-vivre et de savoir-être en constitue le premier pas.
Dossier réalisé par José Belalahy