Le festival de danse contemporaine et urbaine, « Temps fort danse » a défouraillé tous les doutes sur l’art tananarivien. Cette discipline a réussi à dompter le marasme de la Covid–19 et la tendance à s’auto contempler des artistes de tous les genres actuels.
C’est à regret que beaucoup se sont trompés, la danse contemporaine malgache intègre dans toute sa dimension : psychologique, physique, technique… la dynamique « contemporaine ». C’est aussi à regret qu’assister samedi en début d’après-midi à l’IFM Analakely au dernier jour du festival « Temps fort danse » a été de l’irrespect à cette discipline. A l’heure où l’art contemporain, qui se devait d’être avec son temps, la musique vivante et urbaine tananarivienne, se transforme en sorte d’art « développement personnel ». Plutôt bavard ou mal affranchi. Pas étonnant que ces disciplines semblent souvent se féliciter elles-mêmes. Sans tentative d’élargir l’enclos d’expression, tout autant l’horizon. Dans cette société de l’humain devenu une sorte de zombie flou, sans relief, harassé dans ses tréfonds par la pauvreté extrême ambiante… il y a enfin une expression artistique qui tente de recentrer ses semblables dans ses douleurs, ses joies, ses peurs, ses « corvées », haro sur toute piste de fuite en avant ni sur tout déni de la réalité.
C’est à regret alors qu’il a fallu s’obliger à assister au dernier jour de « Temps fort danse » pour s’en rendre compte. Sans vouloir reléguer les autres disciplines au rang de faire-valoir. Cependant, la jeunesse, le dynamisme, l’implication, le « focus », le niveau professionnel des chorégraphes malgaches présents à l’IFM incitent à la comparaison. Depuis que les danses traditionnelles du « sud global » ont été détachées du folklorisme raciste, héritage de la colonisation. La danse contemporaine s’est enrichie de la forme cérémonielle de l’expression des mouvements, ce courant se retrouve dans le tatouage. L’histoire de cette discipline a toujours été la démystification de l’immobilité dans la diversification des gestuelles, la domination de l’espace, symétrique au début, l’asymétrie suivait ensuite. Tandis que le silence s’offre en meuble imperturbable et incontournable. Elle a aussi fait sienne la politique et ses grandes idées. Prendre position par le corps, une évolution que Madagascar a su retravailler à sa manière.
Pour samedi, « Temps fort danse » a programmé deux représentations pour la carte blanche du danseur Falihery Ratovonirina. Le premier a été la restitution du spectacle itinérant réalisé dans la matinée, impliquant la compagnie Lovatiana, Théâtre Kala, Projet Dihy, Anjorombala, Up the Rap, Moustik Crew et Rianala. Les chorégraphies proposées s’articulaient sur la poésie de Randza Zanamihoatra, « Malagasy mankany », dont le rythme narratif épouse un des versants de la danse contemporaine. Fable communautaire frappée par l’occidentalisation, le hip-hop sur fond de musique en « valiha » d’Up the Rap travaille sur la synchronisation et les assauts de figure. Tandis que dans son tableau final, la chorégraphie de la compagnie Rianala s’effondre sur une sorte d’engourdissement collectif. Les sept troupes ont mis en avant ce caractère actuel de la poésie d’un des plus grands de la poésie malgache, sorte de Nostradamus des vers.
La seconde représentation a été « Ô » de Théâtre Kala. « Si vous avez remarqué, j’ai répété plusieurs fois ‘’mody hoe”, ou faire semblant au tout début. Les dirigeants font semblant », épingle Falihery Ratovonirina, chef de file de la compagnie. Interprétée par de très jeunes femmes, la chorégraphie alerte sur le problème de l’eau à Madagascar, en écho à ce qui se prépare dans le monde. D’actualité, contemporain, restait à vérifier la manière dont le danseur et les six danseuses allaient tendre vers ce fléau social. Sans décor, l’emprise du manque d’eau gravitait sur un personnage principal et un seau métallique. La fulgurance des gestes, envolées, projections des membres, individualisations techniques, ensuite le semblant de calme, définissait la tension sociale. Sur une musique schizophrène entêtant, « Ô » est littéralement un cri dans le désert, parce que les responsables font semblant.
Parfois la chorégraphie se fait sans musique. C’est là que le niveau technique de cette nouvelle génération de chorégraphes resplendit. A leur âge, ces jeunes femmes rivalisent avec la précision et l’intensité expressive des meilleurs, Lovatiana, Ariry Randriamoratsiresy entre autres, à leur « prime ». Le dernier spectacle du fetsival « Temps fort danse » a été celui du Projet Dihy, « Betro Elektriky ».
Maminirina Rado