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jeudi, novembre 21, 2024
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Insécurité : Marotsipoy, les jours d’après

L’entrée du village et ses maisons élevées en terre.

La commune rurale Marotsipoy serait restée inconnue des Malgaches sans l’assassinat à la fin du mois d’août des fameux cinq otages, dont quatre de ses habitants. Le sang versé de trop, malgré le fait que le kidnapping gangrène cet ancien village paisible depuis au moins trois ans, situé au Nord de la région Analamanga. Rencontre avec des villageois et villageoises traumatisés, en ces jours de pré-saison culturale.

Entre Amboasary et la commune rurale de Marotsipoy, l’étendue infinie des monts et des collines apporte une majesté hors du temps à cette contrée. Les taxi-moto évitent comme la peste ce trajet. Sauf si le client propose un gros paquet. En cas de départ d’Anjozorobe, le tarif peut doubler, même tripler jusqu’à 150 000 ariary. Et ce n’est pas gagné d’avance. Puis après 15h, même le plus imbécile des motards n’oserait s’y risquer. Depuis début septembre pourtant, le va-et-vient des « 4×4 » des forces de l’ordre ferait presque mentir les plus sceptiques. Mais rien n’y fait. Anjozorobe-Marotsipoy continue de terrifier les deux roues, sauf les plus chevronnés, voire les suicidaires. Jeannot Fidimalala, enseignant au collège d’enseignement général (CEG) de Marotsipoy et conducteur de taxi-moto est de ceux-là. Le faciès jovial en sus. Si la plupart de ses collègues s’arrêtent à Amboasary, lui propose 100 000 ariary jusqu’à Marotsipoy à condition de partir d’Anjozorobe au plus tard à midi.

La commune rurale de Marotsipoy est cernée par les monts et collines.

Derrière son guidon, il sort son côté pédagogue sur la piste en latérite. Les 90 km les plus redoutés de Madagascar actuellement. « Voici à notre droite le lac ‘’Farihin’Andriambehivavy’’ ». Et de poursuivre: « C’est la source de la rivière Mahajamba », avec le ton satisfait du guide touristique. Paysage unique, vent effleurant le visage avec un léger sifflement en fond de casque. Des pêcheurs, points sombres nonchalants au milieu du lac sous un ciel immaculé. Des montagnes aux couleurs sobres, géants endormis en arrière-plan. Ce décor mi-E.D Andriamalalalien, mi-tolkien a une autre signification tragique pour lui. « C’est moi en personne qui ai empaqueté la somme exigée par les kidnappeurs pour mon beau-frère », rappelle-t-il. Le mari de sa sœur n’est autre que le directeur du CEG où le jovial Jeannot Fidimalala officie. La rançon a ensuite été déposée sur un lieu très élevé indiqué au téléphone par les malfaiteurs, aux abords du « Farihin’Andriambehivavy ».

A une dizaine de kilomètres de l’entrée de Marotsipoy, le motard réduit son allure. Il pointe avec son doigt une ligne de crête surmontée d’un pylône de télécommunication, « c’est non loin de ce lieu que les bandits ont emmené les cinq otages tués ». Sa moto avance de quelques mètres. « Ils ont pris du bois avec un camion au niveau de cette petite forêt là-bas, une trentaine d’hommes auraient effectué l’assaut sur eux », poursuit-t-il avant de déguerpir. Trop s’y attarder expose aux regards, dont nul ne sait s’ils sont amicaux ou avides. Vingt minutes après, le pilote s’exclame sans retenue, « nous sommes arrivés, vraiment sur le point d’arrivée ». Sa moto après trois heures et quelques poussières de route, longe le terrain de foot local. La commune rurale est enfin là. La grâce et la prestance des demeures en terre frappent dès le premier regard.

Le pasteur Léon Mamy Rabeharivololona et sa femme avec la photo de leur défunt fils.

Après quelques minutes, Marotsipoy se révèle en une localité prospère. Après une demi-journée, la confirmation est faite. Sans doute le record national du nombre d’enclos à bœufs au mètre carré, de porcelets vadrouillant dans le village, des poules, des oies, des canards… à chaque recoin. « Nous sommes des grands travailleurs », assure le maire septuagénaire, Elison Raharinosy. Avant d’ajouter, « nous produisons notamment du riz, des haricots également. Je peux attester que les gens d’ici sont auto-suffisants, ils sont capables de vivre par eux-mêmes ». Le rendement rizicole pourvoit à cette sécurité alimentaire et financière. Alors un certain bon vivre y plane, sourires faciles des locaux, le goût sans levure du « mofo gasy » en riz rouge, la démarche légère et matinale des « gars » avec leurs bêches pour aller aux rizières…

« Bon-vivre » ambiant

Le silence enchanté entre la matinée et l’après-midi quand les travailleurs des champs rentrent au village. Les femmes taquines qui sont agglutinées aux trois ou quatre bornes fontaines. La saveur de la soupe « akoho gasy », à maudire le guide Michelin. Le bistrot et son ambiance bon enfant éclairés au smartphone ou à la bougie, titulaire d’un des meilleurs rhums artisanaux à l’arrière bouche fruitée. « Moi-même je cherche à trouver la véritable histoire de ce village. En fait, ici ce n’était pas Marotsipoy au tout début, ce lieu s’appelait Ambohimiarina. Marotsipoy se trouvait plus à l’est », expose le premier magistrat de la ville, Elison Raharinosy. Les légendes s’entremêlent entre le site pour garder les zébus d’Andrianampoinimerina et le lieu pour sécher le riz et chasser les « tsipoy » envahissants. Les « tsipoy » appartiennent à la famille des perdrix. En l’espace de quelques années, « juste avant ou après le Covid-19 » tente de se remémorer le maire, ce bon vivre se décompose.

À l’intérieur de Marotsipoy, la ruralité au quotidien.

Les gens des villages alentours commençaient à s’abriter dans la commune. Le phénomène de kidnapping amorçait ses débuts. « Je n’auraais jamais pensé que cela arriverait un jour ici, chez nous ». Le mal a atteint un tel point que chez quelques autochtones, les références temporelles révèlent un traumatisme profond. Un match de foot, la date de sortie d’une chanson, des événements politiques… sont souvent référencés à la période du rapt de la cousine d’untel, du neveu d’un autre. Le tout premier kidnappé de Marotsipoy a été un employé de la mairie, tout un symbole. Au milieu du village, à dix mètres au bord de la voie en latérite de l’allée des mangues, se trouve la maison de Léon Mamy Rabeharivololona. Pasteur retraité de la paroisse protestante, père accablé d’un des cinq hommes tués. Leurs tortionnaires ont remis les dépouilles aux familles le 29 août 2024 après plus de deux semaines de détention.

« Mon âme est exténuée, mon cœur est dans l’affliction à chaque fois qu’on me demande de revenir sur ce qui nous était arrivé », lance-t-il de sa voix qui peine parfois à sortir quand des larmes humectent son regard avant de se raviser. Cependant, continuer de vivre, peu d’humains oseraient se mettre à sa place. Son récit est ponctué de silences glaçants. Sa femme est présente, attentionnée à chaque mot, comme pour le rassurer. Il a été présent lors du rapt. Des séquences de souvenirs lui reviennent, « ils étaient en treillis comme ceux des forces de l’ordre, il y avait des armes à feu, c’est ce dont je me souviens. Tout est allé si vite. Nos assaillants ont démontré des gestes calmes, mais des voix agressives ». Une trentaine d’hommes encagoulés encerclent les deux motos et un camion. Les individus les intiment de s’allonger face contre terre. Après avoir choisi les cinq otages, ils ont voulu abattre le reste du groupe, dont le pasteur. Celui-ci tente des négociations en vain. « Je me suis alors mis à prier à voix haute, celui qui allait nous abattre a finalement laissé tomber ».

L’une des bornes fontaine du village, point de rendez-vous des femmes.

Argent et bestialité

Le contact entre la famille et les ravisseurs se fait par téléphone, des jours, des semaines… « Ils ont exigé deux cent millions d’ariary, comment aurions-nous pu avoir cette somme ? », regrette-t-il. La faucheuse est intraitable, les cinq hommes sont tués à bout portant. Les assassins ont l’amabilité morbide d’appeler leurs proches pour récupérer les dépouilles. « Quand les corps ont été ramenés ici chez eux, ces tueurs ont osé appeler les parents éplorés et demander comment est la liesse dans notre village. Est-ce encore des hommes ? », questionne un riverain souhaitant taire son nom. Elison Raharinosy est sans équivoque, « Marotsipoy n’a jamais vécu un tel malheur, ce qui est arrivé est notre malheur à tous ». Les propos de Léon Mamy Rabeharivololona décrivent toute son amertume. « Je me demande ce que j’ai fait pour qu’en échange de l’amour que j’ai toujours cherché à partager, on me réponde par le mal ? », puis il se tait. Difficile pour lui de continuer son témoignage, il a perdu un fils qui vient d’avoir la mention « très bien » au baccalauréat.

Suite à ce jour du 29 août 2024, des régiments de forces de l’ordre ont rejoint la localité. Policiers, gendarmes, militaires, forces spéciales y apportent une sécurité salutaire. « L’idée que quand ces forces nous quitteront, que va-t-il se passer, ça me travaille nuit et jour », se lamente le maire tout en se tenant la tête, le visage crispé. Un poste avancé de la gendarmerie tenu par des hommes de terrain aguerris et habitués aux zones rouges y a été placé depuis plus de quatre mois. Loin de rassurer une partie de la population, puisque le 14 septembre 2024 aux premières heures, la nouvelle a circulé de maison en maison. « Un kidnapping a eu lieu à Mamavo » dans la région de Betsiboka, annonce un notable respecté. Son constat est amer avec une once de colère, « ils savent que Marotsipoy et les environs sont encadrés alors ils s’orientent ailleurs, vers Tsaratanàna ». Au Nord, à plus d’une quinzaine de kilomètres se trouve la région de Betsiboka. A l’Est, la région Alaotra.

Le directeur du CEG, …………………., enlevé et libéré après rançon.

Si les kidnappeurs paraissent si malins, c’est en partie grâce à ce territoire indompté dont ils ont l’art de maîtriser chaque parcelle. L’enclavement y couvre des centaines d’hectares cristallisés par des zones de non-droit comme Ankarongana et Sarotramalina. Dès que les gangsters y posent leurs pieds, aucune chance de les retrouver. A travers des dédales montagneux, de la broussaille à perte de vue parsemée de bois, des bosquets… « Il faudrait plusieurs hélicoptères » pour traquer les malfaiteurs, soutient le notable, il a l’air d’être l’érudit du coin. Sa version de ce phénomène mérite d’être entendue. Au début, les vols de zébus et petits larcins écumaient la localité et ses environs. Pas de quoi crier à l’aide. Un surnom « Zandry Gasy » circule et se fait de plus en plus entendre. Neutralisé, le calme est revenu dans les étables. Puis arrive un certain Dely Kely. « Il a fait des ravages à Tsaratanàna », complète-t-il. Assassinats, rapts… le bonhomme est devenu le visage du grand banditisme local.

Commune rejetée

« Puis un jour, il a été forcé de rejoindre l’Est du pays pour se soigner. Des gens l’ont empoisonné, son ventre a gonflé, seuls des guérisseurs pouvaient le soigner. Il s’est fait facilement appréhender et a fini par mourir ». Après ce gangster notoire, le calme est revenu de nouveau. Jusqu’à ce que des bandes pillent les villages et cherchent des calibres. « Comme les gens se sont armés pour se défendre contre les vols de bovidés, les razzias ciblaient alors les hameaux où se trouvaient des armes. Les bandits ont voulu constituer un arsenal ». Le vol de zébu est devenu de moins en moins attractif. Le rapt d’être humain a pris le dessus. Etant donné que les paysans-producteurs s’empressent de protéger leurs gains dans les banques ou en « mobile banking ». Le notable est sans appel, « que ce soit œil pour œil ». Si la peur s’installe, la colère gravite en sourdine. Même le pasteur Léon Mamy Rabeharivololona semble avoir perdu la foi aux vertus du pardon, « s’il est bien avéré qui sont vraiment les criminels, alors œil pour œil, dent pour dent ».

Les cinq otages tués venaient de prendre du bois dans cette petite forêt en arrière-plan.

Le directeur du Collège d’enseignement général (CEG), Hobisoa Andrianantenaina le rejoint sur ce point. Le chef d’établissement est particulièrement remonté depuis le mois d’août 2021, année de son enlèvement. « Je peux aider à réaliser le portrait-robot d’un de mes ravisseurs. Ils avaient des kalachnikovs et des Mas 36… C’est la même voix qui a parlé au téléphone à la famille du pasteur et à la mienne ». A admettre sa théorie, une seule bande accomplit ces séries d’enlèvements. Bref, Marotsipoy exige la justice primitive : la vengeance. « Aujourd’hui, nous sommes mal vus. J’ai un fils qui est parti chercher du travail au Nord. Personne n’a voulu l’embaucher quand il a dit qu’il vient d’ici », évoque une grand-mère derrière son étal de beignets et de boissons chaudes. « Il y a toute sorte de visiteurs ces derniers temps, certains préfèrent le café sans sucre, d’autres avec beaucoup de cuillerées ». Jusqu’à Anjozorobe, louer une maison deviendrait petit à petit un parcours de combattant. Pourtant, après le collège il faudrait bien quitter la commune rurale pour le lycée. « Nos compatriotes nous rejettent », renchérit la dame. Cela cause une frustration légitime qui retombe sur les forces de l’ordre.»

D’abord chaque jour, une personne mandatée crie et rappelle à travers Marotsipoy le pot, ou « kapoaka » en malgache, de riz par toit pour la ration des hommes en treillis. Une sorte de « participation à l’effort de guerre » si c’était du temps de la colonisation. Après, il y a le « décalage » des décisions sur le terrain et les hautes instances de commandement à Tananarive, la capitale. D’où résulte l’impatience de retrouver la paix civile perdue. « En 2021, j’ai commencé à demander l’installation d’un centre spécial d’aguerrissement opérationnel, quitte à sacrifier le terrain de foot », rappelle Elison Raharinosy. Depuis, plus de nouvelles. Les promesses de 100 militaires et plus stationnés en permanence le remplissent pourtant d’espoir. « J’aimerais voir cela se réaliser avant que mes yeux se ferment à jamais », conclut-il. Sauf si sa bourgade se vide de ses habitants. L’aspiration fait son chemin.

Un forte population de bovidés démarque cette commune.

Haja, l’employé de la commune, premier kidnappé, est parti sans demander son reste. Un enseignant de matière scientifique a réussi à avoir une affectation inespérée. En aparté, chacun semble élaborer un plan pour quitter à jamais ce village meurtri. Même le Tout Puissant regarde ailleurs. Le nouveau pasteur tergiverserait, dès lors pas d’église le dimanche. « Les dahalo pensent que c’est nous qui avons appelé les militaires, les autres villages pensent que c’est nous tous qui sommes des dahalo, tout comme les militaires », regrette le notable. Jeannot Fidimalala résume, « nous sommes entre le marteau et l’enclume ». Et il y a aussi cette peur de se confier, au risque d’être pris pour un complice ou un malfaiteur. Les suspicions entre villageois, une fracture dans la fracture, prennent de l’ampleur. Quelques jours depuis le début de l’opération des forces de l’ordre, un bandit notoire laisserait entendre à qui veut « qu’il va disséquer un à un » les habitants de Marotsipoy dès que les forces de l’ordre seront parties.

Maminirina Rado

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