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jeudi, mai 15, 2025
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Interview : Ribio Nzeza Bunketi Buse – enseignant chercheur congolais

Le professeur Ribio Nzeza Bunketi Buse, auteur de « Culture au futur. Perspectives pour le développement du secteur culturel et créatif congolais »

« Culture au futur. Perspectives pour le développement du secteur culturel et créatif congolais » est le titre de l’ouvrage publié ce 24 janvier par le professeur Ribio Nzeza Bunketi Buse, à l’occasion de la toute première journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante, et du quinzième anniversaire de l’adoption de la Charte de la Renaissance culturelle africaine. Il a décidé, dans cette interview, de parler de son livre, mais surtout, d’une compréhension de la culture à une dimension continentale.  

Midi Madagasikara : Votre livre « Culture au futur » vient de sortir, pouvez-vous nous en parler un peu ? 

Ribio Nzeza Bunketi Buse : C’est un livre qui vient à la suite d’un précédent contenant une étude sur l’impact économique de la COVID-19 sur le secteur culturel et créatif en République Démocratique du Congo. J’ai essayé de montrer, à l’aide des chiffres, comment le secteur a été touché par la pandémie avec ses conséquences sociales et économiques non seulement pour les artistes et les créateurs, mais également pour l’économie nationale en général. En effet, dans les catégories d’impact économique, il y a l’effet induit et le multiplicateur qui indiquent que ce qui se passe dans la culture influence d’autres secteurs : tourisme, restauration, sous-traitance, etc.

Ainsi, il m’a paru utile de ne pas continuer à insister sur les effets négatifs de la pandémie sur l’économie culturelle puisque la situation est appelée à prendre fin un jour. Dans une démarche prospective, j’ai entrepris d’épingler les conditions de développement du secteur culturel et créatif congolais pour que ce dernier joue pleinement son rôle dans le sens du bien-être social et de la prospérité économique. C’est grâce à des outils d’analyse comme PESTEL, environnement externe, et l’analyse morphologique, environnement interne, que des propositions de politiques et d’actions ont été proposées à la fin du livre.

MM : Culture et histoire, deux concepts que le continent africain arrive difficilement à combiner dans le grand concert des nations. Pour vous, est-ce que c’est vrai ou les choses ont déjà évolué depuis longtemps ?  

RNBB : Le liens entre les deux sont indéniables. Les différentes façons de faire, de penser, d’agir, les coutumes et les caractéristiques d’un peuple évoluent dans l’histoire. Sans celle-ci, il est difficile de situer les productions culturelles dans leurs contextes pour mieux les comprendre. De même, l’histoire se matérialise par les traces laissées par l’homme. On peut même dire que l’histoire ne peut correctement rendre compte du passé sans étudier le patrimoine culturel qu’il soit matériel ou immatériel. C’est pour cela que les musées où sont conservées des collections d’œuvres aident à raconter l’histoire.

Le défi pour l’Afrique maintenant est d’être à mesure de rassembler son patrimoine, à le conserver, à continuer des fouilles pour avoir les matériaux nécessaires pour raconter son histoire et la transmettre à des futures générations selon ses propres « horizons d’attente ». C’est là qu’intervient l’éducation. Ainsi, on peut dire qu’il y a une triade Culture-Histoire-Education. Ce défi est important. Achille Mbembe, historien et politologue camerounais dont j’emprunte un extrait de son livre « Sortir de la grande nuit » (2013) pour en faire une épigraphie, a écrit ceci : « Il faut donc passer à autre chose si l’on veut ranimer la vie de l’esprit en Afrique et, ce faisant, les possibilités d’un art, d’une philosophie, d’une esthétique qui puissent dire quelque chose de nouveau et de signifiant au monde en général ». Une autre façon de raconter, Africa new narrative, la culture pour une appréhension différente du monde de sorte que l’Afrique trouve les moyens de mieux tenir sa place.

MM : Rarement, en Afrique, un Africain parle avec le prisme des outils intellectuels, en prenant en compte toutes les dimensions (politiques, économiques, sociales, etc), de la culture, de sa culture. Pourquoi êtes-vous motivé à le faire ? 

RNBB :C’est parce qu’on vit une situation où la culture est souvent considérée comme un simple objet de divertissement. Il n’y a qu’à voir la place accordée au ministère de la Culture dans les budgets nationaux et dans la planification du développement. C’est pour cela que le premier chapitre du livre est intitulé « De la célébration à la valorisation : le paradigm shift ». Je recommande un changement de paradigme lorsqu’on parle de la culture dans les débats publics. Du divertissement, de la célébration, des festivals… la culture est bien plus que cela. Elle est un des rares secteurs qui procurent à la fois une satisfaction symbolique, immatérielle et une satisfaction matérielle : emploi, revenus et richesse économique. C’est pour cette raison également que j’ai appliqué des outils de management et de prospective à l’analyse du secteur culturel et créatif comme on le ferait pour n’importe quel secteur. C’est cela le paradigme de la valorisation que je recommande.  Ainsi, on voit que la culture est liée à la politique, à l’économie, à la technologie, au social, à l’environnement et au cadre légal. En plus, j’ai employé un langage de gestion des projets. Par exemple, il est rare d’entendre parler d’indicateurs lorsqu’on traite des questions culturelles.

MM : Est-ce que le cas du Congo en matière culturelle, tendant vers le secteur artistique, est semblable à ce qui se passe dans toute l’Afrique, incluant Madagascar ?

RNBB : L’Afrique a des réalités quasi identiques, surtout au sud du Sahara. Mais le continent est pluriel dans le rapport à la culture au niveau des pays. Il m’est difficile de donner une idée précise sur le cas de Madagascar. Sinon, en général, je catégorise – travail encore à titre expérimental – les  pays en trois groupes en prenant pour indicateur le degré d’importance accordée au secteur culturel sur le plan légal, administratif et opérationnel.

Le premier groupe est celui où la culture est intégrée dans la politique de développement du pays et où des mécanismes sont mis en place à cet effet. C’est le cas de l’Afrique du Sud avec son South African. Cultural Observatory suit sur le plan de la recherche et des statistiques l’économie culturelle. Ainsi, elle est à mesure de quantifier sa contribution au PIB, environ 1,7%. Et, ce n’est pas le seul point à mentionner.  Il y a aussi le Ghana qui possède une chambre spécialisée pour les affaires culturelles et artistiques à la Cour suprême, une loi sur l’économie culturelle et une agence de promotion des investissements dans la culture.

Le deuxième groupe est celui des pays où des politiques culturelles existent. Ces derniers fournissent des efforts et sont sur la bonne voie. C’est globalement les pays de la CEDEAO qui ont notamment une politique culturelle régionale, des positions communes sur des questions précises – la restitution des œuvres d’art – et même des postes de hauts fonctionnaires sur la culture.  Les pays de l’Afrique de l’Est dont le Kenya en font partie.

Le dernier groupe est constitué des pays soit ne disposant pas encore de politique culturelle soit en train de les mettre en place. La prise en compte du culturel dans le maillage institutionnel, économique et politique est encore faible. Bon nombre de pays d’Afrique centrale se trouvent dans ce groupe. Une situation non moins anodine indique qu’aucun créateur de contenus ayant une chaîne YouTube enregistrée dans un pays de la région ne peut légalement monétiser ses vidéos. La raison est que sur les treize pays africains où le Programme des Partenaires de YouTube est disponible, aucun d’entre eux n’est de l’Afrique centrale. Or, avec les problèmes liés à la gestion collective des droits d’auteur pénalisant les créateurs, ce programme est une opportunité de source alternative de revenus.

MM : Avec les nouvelles technologies de la communication, la culture ne tend–elle pas à devenir un simple artefact des culturalistes, un concept creux ? 

RNBB : C’est ce qu’on peut penser particulièrement en cette période de pandémie où le virtuel est présenté comme un eldorado. Il est vrai qu’il faut utiliser la technologie car le monde évolue et que celle-ci nous offre des possibilités inouïes à exploiter. Par exemple, la Francophonie et Wallonie Bruxelles International ont soutenu l’édition d’un document sur les applications de l’intelligence artificielle dans les arts et la culture. Sans Internet et les plateformes numériques, beaucoup de créateurs indépendants n’auraient pas émergé.  En ce temps de pandémie, il aurait été impossible d’envisager générer des revenus par des activités en ligne du moment que les rassemblements ont été interdits ou restreints.

Par contre, le contact physique reste le canal le mieux adapté pour certaines activités de consommation culturelle telles que la visite d’un musée, la participation à un concert de musique live, l’achat d’une toile auprès d’un artiste dans une galerie d’art, etc. La technologie, même avec la 4D, ne rendra pas ces expériences identiques au contact physique dans ce qu’il a de particulier. Cela rejoint la notion d’ « aura » développé par Walter Benjamin, école de Francfort.

MM : Pour le cas de Madagascar, la culture peut-elle se conjuguer au futur en intégrant le facteur « pauvreté » ?

RNBB : Bien sûr que oui ! Les pays en quête de développement doivent conjuguer la culture au futur.  Mais la question la plus importante est celle de recourir à la culture, dans sa valeur symbolique et dans sa valeur économique, pour combattre la pauvreté. La réflexion devrait commencer et se poursuivre par des actions.

Biographie : 

Docteur en Communications Sociales à l’université catholique du Congo (2016), détenteur d’un Master en gestion des Industries Culturelles à l’université Senghor d’Alexandrie en Egypte (2009) et d’un certificat en Business, International relations and the Political Economy à la London School of Economics and Political Science (2018). Il est Professeur à l’Université Catholique du Congo et à l’Université de Kinshasa ; et est également invité pour des enseignements à l’Université Senghor/Campus de Saint-Louis du Sénégal et au Département de Sociologie de l’Université Laval au Canada. Ribio Nzeza Bunketi Buse est président honoraire (2013-2016) de la fondation panafricaine Music in Africa basée en Afrique du Sud, il s’intéresse particulièrement aux politiques culturelles et au management des industries culturelles et créatives, domaines dans lesquels il est enseignant-chercheur, conférencier, consultant et auteur.

Recueillis par Maminirina Rado

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