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dimanche, mai 25, 2025
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Jean Claude Vinson – Artiste engagé : « Une seule envie, être un Mikea »

Jean Claude Vinson, artiste, musicien et engagé dans la reconnaissance des Mikéas.

Les peuples premiers ont souffert de ces trois derniers siècles, des mains de la sacro-sainte « évolution » et l’emprise de l’industrialisation. Les forêts du Brésil à moitié décimées, fournisseurs non négligeable de bois de l’Amérique du Nord. Les « gardiens des forêts » sont chassés vers les agglomérations, éduqués à la mode occidentale, traditions et surtout langues très anciennes se perdent avec une jeunesse de plus en plus attirée par les lumières des villes. Le peuple Mikea dans le Sud-Ouest  malgache semble aussi voué à ce destin. De nomade, il est devenu semi-nomade, une partie commence à se sédentariser. Jean Claude Vinson l’a côtoyé depuis près de quatre décennies. Ce « Mikea » dans l’âme en parle. 

Midi Madagasikara : Y a-t-il encore des « Mikéas originels » actuellement ?

Jean Claude Vinson : Le dernier Mikéa nomade que j’ai vu est Kalania, une légende. Le dernier « lapihazo » vivant. Dans le langage Mikea cela veut dire en substance « invisible dans la forêt ». Il a été décapité par les « dahalo » en 2018 et jusqu’à aujourd’hui sa tête n’a jamais été retrouvée. C’était après l’attaque de l’école que j’ai construite, que j’ai nommée « Sekoly Anaïs Mikea » à Ankindranoke, commune Befandefa district de Morombe, inspirée du nom de ma fille. Depuis, ce peuple s’est petit à petit sédentarisé.

MM. : Pouvez-vous résumer comment ils vivent, ou vivaient peut-être, au quotidien ?

JCV : A la base, ce peuple utilise des sarbacanes, ou « porotsy » avec les flèches, en malgache « Idraotse ». Le « lefo » également, ou la sagaie. Des témoignages historiques ont été relayés, comme le roi du Portugal vers 1500 ou plus tôt, qui a mentionné que les Malgaches ont chassé les envahisseurs avec ces armes. Chez tous les groupes humains malgaches, la sagaie et la sarbacane ont toujours été utilisées. Vous trouverez encore des balafons sur jambes ou kilangay, instrument traditionnel Mikea aussi utilisé dans tout Madagascar. Les Mikéas dorment dans des cavités, parfois avec les serpents. A l’intérieur, ils aménagent le feu et un genre de cheminée. Vous savez, leur habitat est une forêt primaire sèche, alors il n’y a pas de source. Aujourd’hui, il y a des sédentarisés qui vont à l’école. Certains rejoignent les villages pour la nuit et le jour, ils retournent en forêt pour chercher à manger. On peut encore retrouver chez eux les restes d’une langue très ancienne, certes déjà mélangée au parler « Sakalava ». Mais il y a encore des mots qu’on retrouve.

Redata, un Mikea à l’allure guerrière, muni de sagaie et de sarbacane.

MM. : Vous mentionnez souvent que ce peuple premier est en danger, quelle est la situation actuelle ? 

JCV : Leur situation est fragile. D’abord, ils ne sont pas « reconnus » en tant que groupe humain, comme les Antandroy, Merina, Betsileo. A l’Unesco, ils ne sont pas reconnus comme peuple malgache, pourtant un haut responsable de cette institution m’a affirmé l’importance d’intégrer ce peuple dans le patrimoine mondial immatériel. Imaginez que l’un d’eux ait une copie et ce n’est pas son nom qui est dessus. Il a fallu lui trouver un nom plus citadin, un nom de la capitale. Ainsi, ils se sentent rejetés. 

MM. : Leur forêt est devenue un enjeu politique à cause du projet Base Toliara…

JCV  : Moi, je n’ai pas encore connaissance, jusqu’à maintenant qu’il y a un trou, même de la dimension de celui d’une souris, creusé par le projet Base Toliara dans la forêt des Mikea. Allez demander à l’un d’eux s’il connaît Base Toliara, il ne sait même pas que ça existe. Je ne suis ni contre ni pour, je tiens à préciser. Par contre, dans cette forêt il y a du bois précieux, du bois de rose, de la palissandre et entre autres essences précieuses. Le rétrécissement de la forêt des Mikea a commencé par le roi Andriantsoly. Pour pouvoir étendre son royaume, il a détruit beaucoup de surface avec le « tavy ». Ensuite, l’exploitation du bois a pris le relais.

MM. : Il y aura un événement majeur concernant la forêt des Mikéas la semaine prochaine, pouvez-vous nous en dire plus ?

JCV : Effectivement, le 26 mai, le ministère de l’environnement, avec des représentants de l’Unesco, de Madagascar National Park… vont officialiser la proposition d’inscription de la forêt des Mikea au Patrimoine mondial. Cela devrait se faire dans l’école que j’ai bâtie. Bizarrement, je n’ai pas encore reçu d’invitation ni été informé de leur part jusqu’à maintenant.

Fazé et des enfants du peuple premier prennent la pose, une élégance naturelle.

MM. : Vous défendez bec et ongles ce peuple, quitte à bousculer certaines entités, pourquoi ?

JCV : Il y a un livre qui est sorti récemment sur les Mikéas. Celui qui a écrit ce livre m’a contacté, puis il est venu à Madagascar. Je l’ai introduit partout, chez les Mikéas. Puis, ce qui m’a le plus choqué c’est quand ils ont pris la photo d’une gosse, à qui ils ont demandé d’enlever le « salaka » dans une classe de notre école. C’est de l’irrespect. Alors, j’ai commencé à manifester ma position par rapport à cela. L’auteur a mis la photo dans le premier jet du livre, il m’a envoyé ce premier jet après. J’ai été complètement choqué. La photo a été enlevée. Cela m’a valu d’attirer la foudre de certaines personnes, comme quoi je détesterais les « étrangers », que je déteste les Mikéas, et cetera. Le discours actuel devrait être, « comment préserver ce peuple premier ? ».

MM. : Personnellement, qu’est–ce qui vous est précieux de votre relation proche avec les Mikéas ?

JCV : Ce que je peux dire des Mikéas, c’est qu’une fois que vous vivez avec eux, dormez dans les trous, mangez ce qu’ils mangent, vivez leur vie. Vous n’avez qu’une seule envie, être un Mikéa. 

Recueillis par Maminirina Rado

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