
La direction de la Jirama assure mener une offensive contre les vols, les fraudes et les impayés, avec l’ambition de récupérer plus de 300 milliards d’ariary. Mais ces mesures bousculent des intérêts établis et s’accompagnent d’un bras de fer interne.
Sécurité, gouvernance et crédibilité budgétaire de l’État s’entremêlent à cause des pertes inexpliquées qui handicapent la Jirama depuis de nombreuses années. Hier, les responsables de la société d’État ont décrit un climat tendu. Selon eux, des menaces visent le directeur général Ron Weiss, accusé par certains collègues de mauvaise gestion. Mais en réalité, selon ces dirigeants de la Jirama, le DG est détesté par certains, car il remet en cause les pratiques courantes qui minent l’entreprise : vol de carburant, détournements, corruption, branchements illicites et fraudes diverses. La direction affirme que l’assainissement en cours cible ces dérives chroniques qui expliquent en partie des « pertes inexpliquées » et des années d’exploitation déficitaire. À noter que l’État avait déjà annoncé un objectif de plus de 300 milliards d’ariary à récupérer grâce à la réduction des vols, à la lutte contre la fraude et au recouvrement des factures.
Extrémistes
Cette promesse de redressement n’éteint pas la contestation. D’après la Jirama, certains des perturbateurs identifiés ont été licenciés et tenteraient de revenir, tandis que d’autres sont en procédure de départ. La société évoque une radicalisation des manifestations, « de plus en plus violentes et agressives », allant « jusqu’à forcer le portail du siège de la Jirama à Ambohijatovo », hier dans la matinée. Elle dit s’appuyer sur la protection des forces de l’ordre et rappelle appliquer les directives de la PRRM (Présidence de la Refondation de la République de Madagascar) pour la reprise des activités, appelant « à l’apaisement » et au respect des attributions quotidiennes. L’épisode du siège d’Ambohijatovo illustre la cristallisation. La direction met en cause l’administrateur Anael Ramanantsoa, opposé au nouveau statut de la Jirama et signataire d’un appel au départ du DG. Selon la Direction générale, cet administrateur a forcé l’entrée en compagnie de journalistes malgré une régulation d’accès ordonnée, selon elle, par les forces de l’ordre. De son côté, l’intéressé conteste la légitimité du directeur général. Ce duel de récits met en évidence le fait que la réforme de gouvernance touche désormais des points névralgiques. Par ailleurs, il faut noter que le recrutement de Ron Weiss a été validé avec les partenaires techniques et financiers, très exposés sur le dossier Jirama. En effet, année après année, le déficit de la société appelle des subventions « astronomiques », jusqu’à 475 milliards d’ariary inscrits au budget de l’État. Pour ces partenaires, l’eau et l’électricité conditionnent le développement du pays ; mais la charge des subventions ne peut vampiriser des ressources déjà rares, quand d’autres priorités publiques exigent des moyens.
Équilibre
Le pari de l’assainissement est donc double. Sur le plan opérationnel, il s’agit d’assécher les fuites – vols de carburant, branchements illicites, fraudes, impayés – et de reconstituer une culture de paiement et de contrôle. Sur le plan institutionnel, il faut sécuriser la trajectoire de réforme face à des résistances parfois enracinées, sans déstabiliser la continuité du service. Le message de la direction – fermeté, légalité des procédures disciplinaires, appel au calme – vise à tenir les deux bouts. Cependant, la transparence s’impose également comme une condition de crédibilité. Pour convaincre l’opinion, les agents et les bailleurs, la Jirama devra documenter ses résultats (montants recouvrés, pertes évitées, procédures engagées), garantir les droits des personnels dans les contentieux, et clarifier le calendrier et le contenu du « nouveau statut ». À ce prix, la réforme sortira du discours pour se mesurer à ses effets, et la Jirama pourra regagner pas à pas sa crédibilité.
Antsa R.



