Depuis la crise, l’Etat a imposé l’état d’urgence pour endiguer la propagation de la pandémie dans le pays. Cette mesure a beaucoup impacté la vie politique. Juvence Ramasy, politiste et maître de conférence à l’Université de Toamasina, répond aux questions de Midi Madagasikara.
Midi Madagasikara : La crise est sanitaire, le débat est plus politique. Qu’en pensez-vous ?
Le débat déborde en effet dans la sphère politique comme dans de nombreux pays. Nous sommes dans une situation particulière à l’échelle planétaire et Madagascar n’échappe donc pas à la règle, une situation d’urgence sanitaire a ainsi été déclarée. Nous voyons par ailleurs que le Président de la République a pris cette situation à bras-le-corps avec le risque d’apparaître comme le seul maître à bord, et laissant sur le côté ses proches collaborateurs, notamment le Premier ministre et surtout le ministre de la Santé. Cela est dû à la personnalité du Président mais également à une personnalisation de la fonction présidentielle perceptible sous les différents régimes. Mais dans une telle situation, la gestion de la pandémie doit avant tout répondre aux enjeux sanitaires, et, dans ce cas, les avis d’un conseil scientifique s’avère plus qu’important.
Midi Madagasikara : A votre avis, quel rôle doit jouer un parti politique dans une telle crise ?
Dans une telle situation, il s’avère crucial qu’une union sacrée se mettent en place afin que nous puissions venir à une situation proche d’avant la pandémie. Les partis politiques pourraient apporter leurs contributions en matière de propositions notamment au sein des institutions prévues à cet effet, en l’occurrence le Parlement. Pour ce faire, il faut également que le pouvoir fasse preuve d’ouverture. L’association des partis politiques et de l’ensemble des acteurs aux discussions sur la gestion de la crise permettrait de renforcer la confiance mutuelle et d’assurer une transparence. L’instauration d’un climat de confiance est primordiale pour la prise de décision et afin d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre.
Midi Madagasikara : La société civile réclame l’ouverture des chaînes nationales à un débat démocratique et pour la pluralité des idées durant la crise. Pensez-vous que la démocratie est réellement menacée durant cette crise ?
Nous pouvons voir que sur l’ensemble du globe, les périodes de crises, et dans ce cas, la pandémie débouche sous des mises sous tutelle de la démocratie. D’ailleurs, la démocratie était déjà mal en point avant la pandémie. Nous voyons actuellement s’affronter les tenants d’un pouvoir autoritaire qui serait le plus à même de prendre des mesures dites efficaces pour lutter contre la pandémie, et ceux d’un pouvoir démocratique qui peinerait dans cette lutte. Nous pouvons effectivement nous interroger si la pandémie constitue un terreau favorable à l’autoritarisme avec son lot de mesures liberticides, la multiplication des cas de corruption liée à la captation de l’aide, l’encadrement des libertés fondamentales, la mise en place d’un État « Big Brother » (notamment le projet « Loharano »), la délation, la censure, la traque des personnes sur les réseaux sociaux, l’arrêt des émissions de débat. Or, nous savons le rôle important de la presse en période normal au sein d’une démocratie et ce rôle est accru en période pandémique. Gardons à l’esprit que les journalistes sont là pour démentir les mensonges, rapporter les faits et promouvoir un débat public éclairé car la désinformation peut se propager plus rapidement qu’un virus.
Midi Madagasikara : Est-ce que le Président est sorti renforcé ou affaibli par cette crise ?
Je pense qu’il est trop tôt pour apporter une réponse. Pour l’ensemble de ces partisans, nous pouvons répondre par l’affirmative. Mais à trop vouloir s’exposer et à personnaliser la gestion de la pandémie, cela peut s’avérer à double tranchant. En effet comme nous l’avons précédemment évoqué, une ouverture, une consultation d’un ensemble d’acteurs (scientifiques, universitaires, intellectuels, partis politiques, société civile) pourrait contribuer à une meilleure adhésion aux décisions et un renforcement de la confiance.
Midi Madagasikara : L’Etat a lancé le “covid-organics” de sa propre initiative. Le gouvernement a vanté les mérites de cette tisane améliorée. Est-ce une opportunité pour le pays de briller à l’échelle continentale, voire mondiale ?
Cela constitue bien entendu une opportunité pour le pays de briller. La fierté nationale s’en trouvera renforcée. Cela est déjà perceptible et nous le voyons également à l’échelle continentale. Toutefois, sans être un scientifique des sciences dures, un ensemble de protocoles est à respecter, et les essais cliniques ainsi que les effets de cette tisane sur les personnes nous donneront un élément de réponses sur son efficacité. Car comme nous le voyons, l’Afrique et le monde nous regardent.
Recueillis par Rija R.