La nation malgache : L’étrange destinée !

Les dirigeants veulent rattraper le retard de Madagascar, pour démentir l’adage : « Le temps perdu ne se rattrape jamais. » Il se trouve pourtant que le régime conjugue le verbe développer au passé antérieur.

Les citoyens ont l’impression de vivre à la deuxième moitié du XVIIIᵉ siècle, une période durant laquelle la famine et la disette étaient à leur apogée. Personne n’ose parler, sinon une sanction exemplaire est appliquée sur-le-champ. « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.  » Cependant, au sommet, le potentat, avec son œil myope, ne voit qu’un énorme brouillard qui l’empêche de discerner la réalité. De surcroît, ses conseillers, au lieu de lui ouvrir les yeux, orientent son regard vers l’endroit le plus calme :
— « Vous voyez, Votre Majesté, tout est tranquille. Sentez-vous ce vent qui caresse nos visages ? »
Alors que de l’autre côté, la population crie au secours !
Et quand Sa Majesté demande :
— « J’entends du bruit de l’autre côté »,
ses affidés s’empressent de répondre :
— « Ce ne sont que des sauvages qui hurlent. Ils sont contre la modernité que nous souhaitons mettre en place. Il faut les enfermer dans un cachot, le temps qu’ils reviennent à la raison. »
Nul ne peut contester la décision du souverain. Tout ce qu’il fait, c’est pour le bien de son peuple bien-aimé.

La Grande Île est un continent à part. Ses reliefs, ses cours d’eau et sa végétation dessinent des frontières naturelles d’une région à l’autre. Sur la carte, elle est bel et bien une île. Toutefois, sur le terrain, Madagascar ressemble à un archipel. En 2022, l’IDH de ce merveilleux pays n’atteignait pas la moyenne : 0,487. Les Malgaches tracent encore leur chemin de la même manière que leurs ancêtres des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Traverser la largeur d’un fleuve en barque, grimper une montagne culminant entre 900 et 2 000 mètres d’altitude, remplir son récipient dans un ruisseau situé à 40 km de chez soi… voilà ce qui rythme leur quotidien. Pas étonnant si le World Happiness Report attribue à Madagascar un indice de bonheur de 4,228/10. Apparemment, les aïeux étaient plus heureux que leurs descendants. Les vestiges qu’ils ont laissés en témoignent !

Pour détendre un peu la tension, Sa Magnificence enivre ses sujets en organisant un bal populaire, une stratégie qui consiste à épater la galerie. Ce dérivatif s’avère efficace, car pendant trois mois, le vahoaka en parle. Après la bombance, retour à la case départ. Rien ne change.

Bref, cette nation en forme de pied gauche incliné n’a pas avancé d’un seul pas pendant deux siècles. L’histoire se répète inlassablement. Ô combien de générations ont enterré leur rêve ! Autant de patience que de regrets. À force de tempérer sa peine dans la poitrine, on finit par en tomber malade. Ceux qui disent « Nous n’attendons rien de l’État » se heurtent également à des difficultés.

Iss Heridiny