- Publicité -
mardi, novembre 25, 2025
- Publicité -
AccueilDossiersLes albinos de Madagascar : Une traque barbare dans l'ombre des superstitions

Les albinos de Madagascar : Une traque barbare dans l’ombre des superstitions

À Mananjary, sur la côte est de Madagascar, la nuit du 5 au 6 août 2025 a basculé dans l’horreur. Une fillette albinos de quatre ans est arrachée à son sommeil par des ravisseurs masqués. Pendant trois jours, le village retient son souffle, craignant le pire : un enlèvement rituel, comme tant d’autres avant lui. Heureusement, l’enfant est sauvée lors d’une opération policière massive, et huit suspects sont écroués. Ce cas n’est pas isolé. 

Il s’inscrit dans une litanie macabre qui hante les personnes atteintes d’albinisme sur la Grande Île : kidnappings, agressions, mutilations, vols d’organes. Depuis des années, ces individus, touchés par une condition génétique bénigne mais stigmatisée, vivent sous la menace constante d’une violence primitive, alimentée par des croyances ancestrales et une pauvreté endémique. Ce dossier explore le calvaire quotidien de cette minorité invisible, à travers des statistiques glaçantes, des témoignages poignants et les rares lueurs d’espoir. 

Superstitions et misère

 L’albinisme, qui affecte environ une personne sur 17 000 à Madagascar – un taux bien plus élevé qu’ailleurs en Afrique subsaharienne –, n’est pas une maladie, mais une absence de mélanine dans la peau, les cheveux et les yeux. Pourtant, dans les recoins les plus isolés de l’île, ces caractéristiques physiques sont perçues comme un signe du diable ou, pire, comme une source de richesse magique. Les os, la peau ou les yeux d’un albinos seraient dotés de pouvoirs surnaturels : talismans pour la pêche abondante, potions pour la réussite commerciale, ou ingrédients dans des rituels vaudous pour attirer la fortune.

Cette sorcellerie, exacerbée par la pauvreté extrême – plus de 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté –, transforme les albinos en proies. « Les ravisseurs croient que les yeux d’un enfant albinos vierge peuvent rendre riche du jour au lendemain », témoigne un habitant de Betroka, dans le sud, où les cas pullulent. Le trafic d’organes, souvent lié à des réseaux transnationaux vers la Tanzanie voisine, prospère sur cette ignorance. En 2023, l’Association Albinos Madagascar (AAM) a documenté des cas où des « acheteurs » étaient appréhendés avec des yeux humains fraîchement prélevés, vendus jusqu’à 50 millions d’ariary (environ 10 000 euros). 

Les statistiques récentes

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et ils sont accablants. Selon un rapport de l’ONU de 2022, entre janvier et août de cette année-là, plus de 20 enlèvements de personnes albinos ont été recensés par les autorités malgaches. Depuis 2020, on dénombre au moins une douzaine d’attaques mortelles, incluant des décapitations et des amputations. L’UNICEF, alarmé, a condamné en mars 2022 une vague d’enlèvements et de meurtres d’enfants albinos à travers le pays. La tendance s’aggrave. En 2024, une hausse alarmante des rapts et tortures est observée dans le sud-est, avec au moins 17 enlèvements et 9 morts en seulement quatre mois, entre juillet et octobre. L’AAM rapporte sept cas rien qu’au premier trimestre 2023. Et 2025 n’échappe pas à la règle : en janvier, un « acheteur » est arrêté à Fianarantsoa avec deux yeux d’albinos dans son sac. En février, un enfant est kidnappé à Vohipeno, dans son sommeil, semant la panique dans le village de Foroforo. Avril voit un albinos adulte maltraité à Betroka, au point de perdre la mémoire. Août apporte deux menaces d’enlèvement à Ambovombe. Ces chiffres, sous-estimés selon les ONG, masquent une réalité plus sombre : beaucoup de cas ne sont pas signalés par peur de représailles. Le sud-est de l’île, région de Mananjary et Ikongo, est l’épicentre de cette barbarie. En août 2022, un enlèvement à Ikongo dégénère en émeute : la foule lynche des suspects présumés, et la gendarmerie ouvre le feu, tuant 18 à 19 personnes. Un bilan tragique qui illustre la frustration d’une population impuissante face à l’inaction des autorités.

Des voix étouffées par la peur

 Derrière les stats, des vies brisées. Fagniria, une jeune albinos de 12 ans originaire d’Antsiranana, incarne l’espoir malgré tout. Enlevée à cinq ans lors d’une veillée funéraire, elle est retenue cinq jours avant d’être libérée. « J’avais si peur, mais aujourd’hui, je veux aider les autres enfants comme moi », confie-t-elle dans un conte UNICEF inspiré de son histoire. À l’inverse, Chinsisi, 14 ans du sud, décrit un calvaire scolaire : « Avant, j’avais très peur sur le chemin de l’école. Les insultes, les menaces… J’avais du mal à me concentrer. » Fulgence, vice-président de l’AAM, porte la voix des oubliés. Atteint d’albinisme lui-même, il milite depuis des années : « On nous voit comme des zombies ou des trésors. Mais nous sommes des humains, vulnérables au cancer de la peau à cause du soleil impitoyable de Madagascar. » Les femmes et les enfants sont les plus touchés. Les vierges albinos, en particulier, sont ciblées pour des rituels présumés « plus puissants ». Un rapport de 2023 de l’International Women’s Media Foundation détaille comment, dans le sud, les meurtres et vols d’organes sont « monnaie courante », avec 23 morts et 46 blessés lors d’une seule émeute en 2022. « Ma fille ne sort plus seule. Chaque nuit, je vérifie les serrures », murmure une mère de Mananjary, anonyme par crainte.

Les combats pour la protection

 Face à ce fléau, des initiatives émergent. L’AAM, fondée en 2023, coordonne avec l’ONU pour sensibiliser les villages et former les forces de l’ordre. En avril 2024, l’UNICEF nomme Gilardy Totozandry, Défenseur des droits de l’enfant, pour plaider la « différence » et combattre les mythes. Un projet APPASAAS, lancé en 2023 par la Fondation Pierre Fabre, vise à éduquer 18 mois durant sur l’albinisme en Afrique, avec un atelier à Antananarivo en mai 2025. L’experte ONU Ikponwosa Ero appelait en 2022 à « combattre les mythes néfastes et la pauvreté » pour enrayer les attaques. Le gouvernement malgache a renforcé les peines – jusqu’à la perpétuité pour trafic d’organes – mais l’application reste sporadique. Le Rapport sur les droits humains 2023 du Département d’État américain pointe des « meurtres arbitraires » et une impunité persistante.

Un appel à l’éveil collectif

 À Madagascar, être albinos, c’est porter une malédiction invisible dans un pays où la lumière tropicale ronge la peau et où l’obscurantisme ronge l’âme. Les cas de 2025 – de la fillette sauvée à l’acheteur aux yeux sanglants – rappellent que le combat est loin d’être gagné. Pourtant, des voix comme celle de Fagniria ou Fulgence allument une flamme. Il est temps que la Grande Île, fière de sa biodiversité, protège sa diversité humaine. Sensibiliser, éduquer, punir : seul un sursaut collectif pourra briser cette chaîne de violence. Car derrière chaque statistique, un enfant rêve encore d’un demain sans peur. 

Sources consultées incluent rapports ONU, UNICEF, AAM

- Publicité -
- Publicité -
- Publicité -
Suivez nous
419,278FansJ'aime
14,461SuiveursSuivre
5,417SuiveursSuivre
1,920AbonnésS'abonner
Articles qui pourraient vous intéresser

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici