L’histoire n’est pas seulement une science des dates. Son but est de comprendre les personnages du passé. La plupart du temps, la jeune génération compare sa vie avec celle que leurs aïeux ont vécue. Pourtant, ces suivants avaient leur propre vision correspondant à leur époque. Croyant bien faire les choses, les ancêtres ont pris des décisions qui leur semblaient juste.
Sans conteste, la colonisation était douloureuse. Mais, il faut également dire, sans se voiler la face, que cette période était un moment opportun pour certaines familles. Ayant provoqué leur chance, des groupes de personnes avaient le vent en poupe.
L’exemple de Bakary d’Ampondrahazo. Chance ou trahison, les opinions varient selon la position de chacun, les progénitures héritiers des efforts fournis par leurs arrières grands-parents ont su entretenir leur patrimoine. Sans parler des acteurs incontournables dans l’économie, les noms de famille des ex-pauvres pendant la période coloniale ne sont pas gravés dans les annales. En vérité, les précurseurs n’étaient pas toujours des bourgeois de souche. D’autres ont gravi les échelons. Ils étaient chefs du village, coursiers, femmes de ménage, menuisiers, plantons, petits planteurs dans les concessions des colons, ouvriers dans les usines. Ils voulaient quitter coûte que coûte la précarité pour avoir de l’envergure. Puisqu’ils ont étroitement collaboré avec des Français, ils avaient la volonté d’apprendre la langue de leur employeur. Nourdine Khadafi, un fils d’un chef de village à Mahavanona (district Diego II) raconte que son père Bakary a pris pour la première fois une plume entre les doigts quand il avait 20 ans. « Il était loyal, sincère envers les vazaha. De plus, il était très éloquent. Les colonisateurs étaient convaincus qu’il ferait un bon allié. Il était souvent aux côtés des colons depuis ses 15 ans. Cinq ans après, il commençait à travailler son accent. Il s’exprimait comme les Français. Il a appris à écrire. Il était par la suite interprète, c’est lui qui traduit en malgache les discours… Je me souviens qu’il me faisait lire des livres que les vazaha lui ont offerts », a rapporté le fils. Né d’une famille cultivatrice, Bakary est devenu un homme influent de son village. En guise de reconnaissance, les colons lui ont donné une centaine d’hectares de terrain et un important cheptel. Cette richesse inestimable lui a permis de financer les études de ses enfants. Entre l’âge d’or des colons en 1920 et la belle époque des années 1950, des milliers de Bakary ont pu améliorer leur condition de vie.
Qualifiés de pleutre. De leur côté, les nationalistes anticoloniaux accusent ces « chanceux » de traîtres, voire des lèche-bottes des colonisateurs… De nos jours, les descendants de ces petits hommes oubliés, issus des familles modestes qui se sont adaptés aux situations se présentant à eux de sorte à en tirer bénéfice, se font tirer la langue dans le dos. Mais, ce qui est surprenant, la réaction n’est guère la même pour les nobles et les ampanjaka quoique ces hauts dignitaires malgaches aient été des fidèles conseillers de l’autorité coloniale. Les soi-disant passionnés d’histoire n’y voyaient aucun inconvénient ! L’ascension des pauvres est condamnable, le succès des riches, par contre, est le fruit de leur travail. Cette mentalité persiste encore dans l’esprit des Malgaches de nos jours…
Iss Heridiny