
C’est à Musset qu’elle emprunte son titre (« Ah ! Frappe-toi le coeur, c’est là qu’est le génie » est un de ses vers), mais, pour le reste, Amélie Nothomb fait confiance à ses armes propres pour mener à bien ce roman – son vingt-cinquième en… vingt-cinq ans -, à ranger parmi ses meilleurs crus. Ses armes ? La concision, la précision, une acuité telle qu’on pourrait la prendre pour de la cruauté. Ce sont des femmes entre elles que Nothomb met en scène ici : Diane et sa mère, la jalouse Marie ; Diane et son amie, la douce Elisabeth ; Diane et son mentor, l’égoïste Olivia ; Diane et sa soeur, la trop aimée Célia… Mais ce qu’elle met au jour n’a que faire des genres : c’est la part de violence qui irrigue en secret les relations humaines, les rivalités, les manipulations et les enjeux de pouvoir qui les sous-tendent. On en sort avisé et glacé.
Subtil. À travers l’histoire de Diane, c’est à une exploration de la maternité, et plus encore de la relation mère-fille, qu’Amélie Nothomb nous convie. Dans Frappe-toi le cœur, les pères sont des hommes faibles, effacés, qui laissent toute latitude à leurs épouses. Lesquelles se révèlent des mères cruelles, envahissantes, destructrices. Des monstres.
Pendants sombres de leurs filles, parées quant à elles des plus nobles qualités – et qui ne semblent pas vouées à devenir mères un jour. Fine lectrice des contes de fées, l’auteure nous offrirait-elle, avec Frappe-toi le cœur, une variation sur Cendrillon ou Blanche-neige ? Pas vraiment : les méchantes ne sont pas ici les marâtres, mais les mères – scénario plus simple et surtout plus cruel, que la romancière cisèle avec finesse et subtilité. Quant aux filles, elles n’attendent pas passivement la délivrance venue d’un hypothétique Prince Charmant. Elles se libèrent elles-mêmes de l’emprise maternelle, par des moyens plus ou moins radicaux. De cette lutte contre le joug des mères naît entre les filles un sentiment jusqu’ici quasi absent de l’univers nothombien : la solidarité.
« Ah ! Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », écrivait Alfred de Musset. Pourtant, à la lecture du roman auquel Nothomb a associé ce vers, c’est une impression d’humilité qui prévaut. L’écriture est ici dépouillée de tous les signes extérieurs de richesse qui étaient l’une des marques stylistiques de l’auteure – et un angle d’attaque commode pour ses détracteurs.
L’auteur. Fille de l’ambassadeur et écrivain belge Patrick Nothomb, Amélie Nothomb est née au Japon, dans la ville de Kobé, le 13 août 1967. Profondément imprégnée par la culture nippone, celle-ci peut en effet se vanter d’être parfaitement bilingue dès l’âge de cinq ans. La jeune fille passe son enfance à suivre son père, de la Chine à la Birmanie en passant par New York ; une destinée d’expatriée et un sentiment de solitude qui l’incitent, petit à petit, à se replier sur elle-même.
Véritable phénomène littéraire, Amélie Nothomb enchaîne les publications à raison d’un livre par an, qui connaissent tous une impressionnante carrière commerciale. Le public apprécie le style romanesque et décalé de la jeune femme, toujours accompagné d’un humour subtil, mais qui le place directement face à ses pulsions intérieures. Parfois autobiographiques (Métaphysique des tubes) ou purement fictionnels (Les Catilinaires), ses romans sont nourris d’expériences personnelles mais qui pourraient être partagées par tous.
Mahetsaka