» Comprendrait-elle la déraison, le Grandiose destructeur que j’avais vécu et qui m’avait changée à jamais ? » Une femme aux portes de la mort. Un homme incapable d’en finir avec la vie. Leurs deux voix s’élèvent tour à tour pour nous confier leur histoire, leurs maux, leurs démons, et plus que tout l’amour fou. Un amour qui inspire, réunit et sauve autant qu’il a pu détruire et séparer. Ce roman d’Agnès Martin-Lugand met à nu la puissance des sentiments.
Lorsque l’on cherche la définition du mot “déraison”, on trouve “manque de jugement, de raison”. On y trouve aussi une citation qui, je trouve, résume assez bien le choix du titre de ce roman, écrite par Robert Mallet : “J’ai toutes les raisons de t’aimer. Il me manque la déraison.”
La déraison de ce roman c’est l’histoire d’une femme, condamnée (on le sait dès le deuxième chapitre), aux portes de la mort. Alternativement, c’est aussi l’histoire d’un homme, qui s’accroche à la vie malgré son envie de la quitter. Ils nous confient, tour à tour, leurs émotions, leurs espoirs et leurs regrets. Alors, qui des deux fait preuve de déraison ?
Le thème de la mort est omniprésent dans ce roman. Et pourtant, et c’était tout le paradoxe qui m’agitait, pour qu’elle puisse reprendre sa vie, il fallait que tout s’arrête. Je ne voulais pas que ce temps étrange et suspendu que nous vivions lui donne de faux espoirs, lui fasse imaginer un impossible… Je lui avais fait une promesse qui n’avait aucune valeur. Avant de mourir, on peut tout promettre, la lune, monts et merveilles, cela n’engage à rien. On peut se bafouer, piétiner ses serments, on n’en paiera jamais les conséquences. En revanche, et comme le mentionne si bien l’autrice, la mort est abordée de façon douce, et au même titre que l’amour, également présent tout au long du roman. Un amour entre une mère et sa fille, entre une femme et un homme, et un père et son fils. « Sophie disait de cet instant que cela avait été mon premier sourire. A la minute où mes mains, mes doigts, mon corps, mon être avaient créé ces notes, j’avais su quelle était ma place. L’endroit où je devrais être, l’endroit que je ne devrais jamais quitter. » La déraison, c’est un tourbillon d’émotions qui mènent, en tout cas pour moi, à une certaine réflexion sur la vie. « Pour la sauvage que j’étais, me retrouver propulsée au milieu de tous ces gens, ces inconnus qui travaillaient avec fougue, étaient en couple pour certains, le choc avait été rude, tant j’étais en décalage avec eux. Vasco était arrivé après tout le monde. Il avait fait sa ronde de bises, moi comprise, il m’avait dit « ravi de te rencontrer, Madeleine » et avait enchaîné sur la personne suivante. J’avais passé l’apéritif assise sur un coin de canapé, sans ouvrir la bouche, me contentant de les observer – lui particulièrement. Poétique et mélodieux, La déraison vous emporte dans la profondeur des sentiments. L’autrice nous livre un roman extrêmement sobre, beau, douloureux et immersif. Écrit avec encore plus de finesse qu’ en accoutumé, elle y aborde la fin de vie, le deuil, l’attente, l’amour, le pardon, la folie, l’espoir. L’émotion malmène votre cœur du début à la fin, provoquant en vous un sentiment indescriptible.
Zo Toniaina