La formation de l’Etat malagasy postcolonial est ici étudiée dans une période transversale par rapport à la création de la République suivie de la proclamation de l’indépendance. Attentif à la chronologie et à la singularité des situations, l’ouvrage s’attache moins à décrire des événements qu’à étudier les enjeux et les ressorts d’un champ de pouvoir paradoxal, caractérisé à la fois par une grande instabilité des institutions et par un processus effectif de nationalisation des carrières et des identifications politiques.Le caractère massif de la pauvreté et la multiplicité des crises politiques (1972, 1991, 2002) ne dénotent aucun effacement de l’Etat, mais plutôt l’acuité des conflits polarisés par les ressources matérielles et symboliques, auxquelles celui-ci permet d’accéder. Considérées dans l’emboîtement d’un temps beaucoup plus long, les fluctuations de la vie politique malagasy s’expliquent aussi par une profonde crise de légitimité. La greffe d’un État directement inspiré de la modernité politique européenne est attestée par le caractère majoritaire de l’idéal républicain et par la capacité de mobilisation démocratique des Églises rassemblées dans une structure œcuménique de concertation. Cette extraversion constitue cependant une violence symbolique exercée sur la mémoire collective des monarchies sacrées de la Grande Ile : solidarité cosmique de l’ordre des hommes et de celui des choses, rôle protecteur et fécondant des souverains, inégalités statutaires affectant le droit à la parole et le droit au sol. A la congruence des aspirations démocratiques et de la fidélité aux héritages, la figure de l’homme providentiel est la signature ambivalente de ce profond désarroi collectif. Historien et docteur en ethnologie, Didier Galibert est chercheur associé à l’Université de La Réunion (CRESOI) et à l’Université Paris Diderot – Paris 7 (SEDET). Il a vécu et enseigné à Madagascar de 1990 à 1996.
Recueillis par Maminirina Rado