
La place de Madagascar dans la SADC demeure en suspens. Le sommet d’Antananarivo pourrait être un tournant, à condition qu’il ne soit pas qu’un simple exercice protocolaire. Le pays dispose d’atouts réels : position stratégique, ressources naturelles abondantes, capital humain, et stabilité politique relative. Mais ces atouts doivent s’incarner dans une vision claire d’intégration régionale.
S’affirmer dans la SADC, ce n’est pas renoncer à sa souveraineté. C’est au contraire renforcer sa capacité à peser dans les négociations, à coopérer pour mieux se protéger, et à élargir ses horizons de développement. Madagascar est à la croisée des chemins : soit elle choisit de s’ancrer pleinement dans son espace régional, soit elle continue de l’observer de loin, au risque de s’enfermer dans une périphérie stratégique.
Une dynamique régionale en mutation
Alors que Madagascar s’apprête à accueillir le prochain sommet de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), les regards se tournent vers le rôle que la grande île entend jouer dans cet espace régional en recomposition. L’enjeu dépasse largement la simple organisation logistique d’un événement diplomatique, si les dirigeants actuels entendent réellement saisir l’occasion pour s’affirmer sur la scène régionale. Il renvoie à une interrogation de fond : Madagascar, isolée à la périphérie géographique de la SADC, peut-elle trouver sa place dans les enjeux politiques, économiques et stratégiques dans cette organisation ? Et dans quelles conditions ?
Depuis son adhésion en 2005, la Grande Île n’a cessé d’osciller entre engagement formel et faible implication opérationnelle. La chute du régime Ravalomanana en 2009 a freiné l’élan pour une intégration régionale affirmée au sein de l’organisation. Si le pays participe régulièrement aux sommets et bénéficie de certains programmes régionaux, son poids décisionnel reste modeste. La tenue du sommet à Antananarivo offre, en effet, l’opportunité d’ancrer la nouvelle position de Madagascar, dans les équilibres géopolitiques de l’Afrique australe.
Les attentes autour du sommet, plus qu’une vitrine diplomatique
Le Sommet de la SADC à Antananarivo, annoncé pour le mois d’août prochain, constitue un événement de premier plan dans le calendrier diplomatique malgache. Il s’agit du premier rendez-vous régional d’envergure organisé par le pays depuis plus d’une décennie. Depuis quelques semaines, le gouvernement déploie toute son énergie pour le compte de ce prochain rendez-vous. Si la logistique s’annonce rigoureuse, avec la mobilisation des forces de sécurité et l’implication directe des ministères, les enjeux politiques sont encore plus décisifs.
Le sommet intervient dans un contexte marqué par une période post-électorale à Madagascar, une inflation régionale croissante, des tensions sécuritaires au niveau de certains pays membres et un besoin pressant de relance économique globale. Dès lors, l’événement pourrait cristalliser des initiatives de coopération renforcée, en particulier dans les domaines maritime, énergétique et sécuritaire. Mais il pourrait également révéler les limites structurelles de l’intégration régionale si aucune volonté politique claire ne se manifeste du côté malgache.

Un positionnement encore ambiguë dans la diplomatie régionale
Madagascar semble toujours tiraillée entre plusieurs logiques d’insertion régionale. D’une part, elle est membre de la SADC, avec laquelle elle partage des objectifs communs de développement durable, d’intégration économique et de stabilité politique. D’autre part, la grande île entretient des relations bilatérales très denses avec des puissances extérieures comme la Chine, les États-Unis ou la France, qui façonnent souvent ses choix géopolitiques plus que les solidarités africaines.
Cette ambivalence est visible dans la faible appropriation des instruments de la SADC, qu’il s’agisse de la Zone de libre-échange, des mécanismes de prévention des conflits ou des projets d’infrastructures régionales. Madagascar participe, mais peine à avoir son mot à dire. Pour inverser cette tendance, le pays devrait investir davantage dans la diplomatie régionale, nommer des représentants de haut niveau dans les institutions de la SADC et aligner ses politiques nationales avec les objectifs régionaux. Cela suppose une réforme de l’architecture institutionnelle malgache en matière d’intégration, mais aussi un sursaut stratégique des élites politiques. La présidence malgache de l’organisation régionale jusqu’en 2026 pourrait constituer un véritable levier pour atteindre ces objectifs.
Coopération sécuritaire à renforcer
L’une des zones les plus sensibles aujourd’hui est sans conteste la question sécuritaire. Le canal du Mozambique est devenu un théâtre de tensions multiples : trafic de drogue, piraterie, braconnage maritime, mais aussi présence de groupes armés dans la région de Cabo Delgado, au nord du Mozambique. Face à ces menaces transfrontalières, la SADC a mis en place des mécanismes d’intervention collective, notamment la SAMIM (SADC Mission in Mozambique).
Madagascar, du fait de sa position stratégique, pourrait jouer un rôle important dans la sécurité maritime régionale. Mais ceux-ci demandent encore un déploiement important d’équipement au niveau des forces armées et une doctrine de défense suffisamment articulée autour des enjeux maritimes. Le sommet de la SADC représente, à cet effet, une opportunité pour poser les bases d’une coopération sécuritaire, fondée sur la formation, le renseignement, la surveillance conjointe et la coordination opérationnelle.
Mais cette coopération peut se heurter à une sensibilité historique autour de la souveraineté nationale. Certains cercles au sein de l’appareil sécuritaire du pays risquent d’afficher leur réticence à toute mutualisation, redoutant une perte de contrôle sur des territoires déjà fragilisés. Il appartient donc au leadership politique de rassurer, d’expliquer et d’encadrer juridiquement toute collaboration afin de garantir qu’elle renforce l’État plutôt qu’elle ne le dilue.
L’économie régionale, un levier encore sous-exploité
En matière économique, Madagascar n’est pas un poids lourd en matière d’échanges commerciaux intra-SADC. Une situation qui pourrait s’expliquer autant par les barrières logistiques que par le faible niveau de transformation industrielle du pays. Pourtant, l’intégration régionale offre de réelles opportunités, notamment dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire, de l’énergie et du tourisme. L’intégration régionale constitue l’un des piliers fondateurs de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). À travers la mise en place de la Zone de libre-échange (ZLE) dès 2008, puis des projets d’interconnexion énergétique, d’harmonisation des politiques industrielles et de développement des corridors de transport, la SADC ambitionne de bâtir un marché commun compétitif et résilient. Pourtant, pour Madagascar, les retombées concrètes de cette ambition restent modestes, voire marginales. Encore faut-il que le pays adopte une politique commerciale cohérente, améliore son climat des affaires et investisse dans ses infrastructures. Aussi, L’insularité de Madagascar et la faiblesse de ses infrastructures portuaires et routières limitent sa connectivité régionale. L’absence de lignes maritimes régulières avec les autres pays de la SADC, hormis l’Afrique du Sud, freine les échanges commerciaux et renchérit les coûts de transport. Cette barrière logistique entrave la fluidité des flux de marchandises et marginalise le pays des grands corridors économiques terrestres du continent. Par ailleurs, l’économie du pays repose encore largement sur des secteurs peu industrialisés : agriculture vivrière, textile à faible valeur ajoutée, exportation de matières premières brutes. Cette spécialisation limite sa capacité à s’insérer dans les chaînes de valeur régionales, qui exigent des niveaux de transformation plus avancés, une certification des produits, et une capacité d’adaptation rapide aux normes du marché. Les industries agroalimentaires, par exemple, peinent à conquérir les marchés voisins faute de compétitivité et de standardisation.
L’avenir de Madagascar dans la SADC ne se jouera pas uniquement sur les tribunes diplomatiques, mais dans sa capacité à transformer les accords régionaux en retombées concrètes. Et les marges de progression sont considérables. Des secteurs stratégiques comme les matériaux de construction, les produits artisanaux à forte valeur culturelle, ou encore les services numériques peuvent permettre à Madagascar d’amplifier sa présence dans les marchés régionaux, à condition d’investir dans la transformation locale, la certification des produits, et l’intelligence commerciale. De même, les énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité et le solaire, pourraient positionner Madagascar comme un futur hub énergétique.
Dossier réalisé par Rija R.