Lorsque le terme « malnutrition à Madagascar » est évoqué, la région qui vient immédiatement en tête est souvent la région Androy, une terre supposée aride et triste. Mais ce n’est malheureusement pas la seule région touchée par ce fléau qui sévit parmi la population malgache, surtout les enfants de moins de 5 ans et les femmes en âge de procréer. La malnutrition est aussi virulente dans la région « Atsimo-Atsinanana ».
Une région riche en ressources naturelles.La Région Atsimo-Atsinanana, la partie Sud-Est de la Grande ile est d’un premier abord une région riche en ressources naturelles au paysage luxuriant de forêts à perte de vue.
Cette région est la deuxième région productrice de girofle de Madagascar. La récolte a d’ailleurs été plutôt bonne cette année et son prix a vu une très nette amélioration par rapport à la précédente campagne. Dès le début de la campagne de cette année, le kilo avait déjà atteint les 20 000 ariary et a connu un pic de 25 000 ariary.
La région cultive également du riz, du manioc ou de la patate douce. Les forêts d’arbres fruitiers, notamment de litchis ou de mangues font également sa particularité sans oublier le jaquier qui produit l’ « ampalibe » et le fruit à pain communément appelé « soanambo », qui servent d’aliment de substitution à la population locale, durant les périodes de soudure annuelles ou quand le riz vient à manquer.
La population locale est majoritairement cultivatrice. Mais une autre grande partie de la communauté locale vit de la pêche. Là encore, la région a été bénie puisqu’elle dispose de 10 fleuves et d’une large zone maritime. Que ce soit en eau douce ou en mer, la région regorge de produits halieutiques de qualité en quantité : poissons, crevettes et autres fruits de mer… « Nos langoustes sont réputées être les meilleures et sont destinées à l’exportation », selon Tombovelo Sylvestre Rafamatanantsoa, chef de service régional de la pêche et aquaculture de la région Atsimo-Atsinanana qui est également inspecteur et officier de police judiciaire spécialisé en pêche dans la région.
Taux de malnutrition élevée.Malgré tout cela, la sécurité alimentaire dans cette région est très faible. Selon Dr Justin Mahafaky gouverneur de la région, « le taux de malnutrition de cette région avoisinait déjà les 48.5% alors que le taux national était de 47%, bien avant les dégâts et préjudices causés par les deux derniers cyclones Batsirai et Emnati ». La situation a empiré après le passage de ces deux cyclones ravageurs. Ce taux a considérablement augmenté, franchissant les 50%. La malnutrition chronique touchant les enfants de moins de 5 ans est devenue très fréquente.
Mais pourquoi la malnutrition sévit-elle donc si violemment dans cette région apparemment riche en ressources naturelles et productive ?
Culture exacerbée par les aléas climatiques.La région Sud-Est est chaque année affectée par les conséquences des aléas climatiques, étant une zone d’entrée et de sortie de cyclone. Les 10 rivières de la région quittent leur lit dès que les précipitations augmentent, inondant à chaque fois les cultures irriguées. Les pertes sur les cultures irriguées peuvent atteindre de 30 à 60% de la production. Il arrive même que la production soit réduite à néant, rendant la période de soudure encore plus difficile à supporter pour la population. Mais la sécheresse peut également sévir violemment avec le même effet sur les cultures.
L’impact du changement climatique sur les cultures vivrières se fait de plus en plus ressentir. Selon Aveline Sylvia Lava, observateur en météorologie en charge de la station météorologique de Farafangana, la saison cyclonique s’est allongée et prend un peu plus d’avance à chaque fois, alors qu’elle est normalement prévue du 01er novembre au 30 avril. Les précipitations sont irrégulières. Les agriculteurs doivent donc s’en référer à la météo pour cultiver, les saisons n’étant plus bien définies. Malgré les efforts entrepris par le ministère de l’agriculture et des partenaires techniques et financiers (PTF) en dotation d’engrais ou de semences et les formations techniques, la région Atsimo-Atsinanana est devenue une zone déficitaire en termes de récolte de riz au classement national. Les légumes à feuilles et légumes y sont cultivés mais en quantité moindre. Même riche en eau, la région souffre d’une mauvaise gestion de l’irrigation. Les habitants de Manambotra Sud, une localité rurale de Vangaindrano, appellent à la réhabilitation du barrage Antetezatafika, endommagé par les derniers cyclones. Cela résoudrait déjà une grande partie des problèmes d’irrigation selon eux.
Pêche difficile et sporadique.Les eaux, surtout la haute mer, sont devenues plus agressives depuis quelque temps aux alentours de Farafangana, la capitale de la Région, encore un effet du changement climatique. Les pêcheurs utilisent cependant les barques traditionnelles, les « lakana » pour pêcher. La virulence des vagues peut facilement endommager ces embarcations en bois. Pour prévenir les éventuels accidents, la pêche en haute mer n’est possible que lorsque la mer est plus ou moins calme. Mais ajouté à cela, les pêcheurs sont très respectueux des saisons de fermeture de pêche, notamment lors des périodes de reproduction de ces produits halieutiques. « En un mois, les pêcheurs sortent en mer seulement pendant 2 semaines, entrecoupées, en tout », expliqueTombovelo Sylvestre Rafamatanantsoa.
Mais un souci d’ordre matériel peut également les handicaper. Tous les pêcheurs ne peuvent se permettre d’acheter les matériels de pêche complets, surtout les filets qui sont trop chers pour eux. Certains d’entre eux sont même obligés d’emprunter certains matériels de pêche à d’autres pêcheurs pour pouvoir travailler, témoigne Jean Gaston, président de la Fédération de la pêche région Sud et président de l’association des pêcheurs locale.
Par ailleurs, quand la pêche est bonne, les pêcheurs se trouvent confrontés à un autre problème typique de surproduction : ils consomment bien une partie de la pêche mais la plus grande part de leurs produits destinée se trouve bloquée dans la même localité, l’état des routes rendant la redistribution de leurs produits dans les autres communes ou districts difficile. Si les langoustes sont déjà toutes réservées par le seul exportateur local, les pêcheurs sont obligés de vendre à moindre coût sur le marché local leurs produits pourtant durement acquis.
L’Etat et les partenaires techniques et financiers ont déjà pensé à une solution face à ce problème : un complexe comprenant un magasin de stockage équipé en congélateur solaire, une fabrique de glace et une chambre froide sera opérationnel d’ici un mois à Farafangana, pour permettre aux pêcheurs de conserver un peu plus longtemps leurs produits. Certains pêcheurs ont également bénéficié de formation en technique de transformation, notamment le séchage ou le fumage des poissons, une formation cependant non encore étendue à tous les pêcheurs.
Ces pêcheurs souhaitent cependant plus d’exportateurs, pour éviter le monopole des prix des langoustes, de meilleures infrastructures routières et bien sûr des équipements de pêche adaptés, sans oublier une solution durable au délestage. Même si la chambre froide est opérationnelle, une coupure de courant pourrait entraîner des pertes considérables pour tous les produits ou les obligerait à allouer une grande partie de leurs bénéfices à l’achat de carburant pour alimenter éventuellement un groupe électrogène.
Une population non convaincue par le planning familial.Affectés par les impacts du changement climatique, les moyens de subsistance des producteurs et des pêcheurs ne sont donc pas optimaux, rendant la population vulnérable. La sécurité alimentaire est réduite à cause de la destruction récurrente des cultures et récoltes et des conditions difficiles de pêche. La population mange difficilement à sa faim. Mais cela ne constitue pas la seule raison de la malnutrition qui y sévit.
La plupart des hommes de la région ne sont pas convaincus par le planning familial, certains d’entre eux interdisant formellement à leur femme d’utiliser des moyens de contraception. Les plus téméraires qui souhaitent limiter le nombre de leurs enfants doivent le faire à l’insu de leur mari. Ainsi, les familles sont nombreuses : une famille doit prendre en charge entre 6 et 12 enfants. Selon Rondroniaina Flavienne, la chef CSB de Manambotra Sud, cela constitue une des causes de l’accroissement du taux de la malnutrition : « autant de bouches à nourrir alors que les moyens de subsistance sont déjà insuffisants ».
Protection sociale insuffisante.Même les seniors souffrent du manque de protection sociale. Tata Lucien et Bertrand, tous deux âgés de plus de 60 ans, ont été cultivateurs et pêcheurs de Manambotra Sud du temps de leur jeunesse. Ils déplorent le fait de ne plus pouvoir « tenir la bêche » ni d’aller à la pêche, leur force physique allant en déclinant, mais ils ne peuvent non plus compter sur aucune allocation de retraite pour vivre. Démunis au plus haut point, ils en appellent à l’Etat pour voir de près leur cas qui n’est malheureusement pas isolé.
Des femmes travailleuses mais vulnérables.En période de soudure, ce sont les femmes qui font vivre la famille grâce aux produits du tissage, une technique qui se transmet de génération en génération. Elles pratiquent cette activité génératrice de revenus en plus de toutes les tâches qui leur incombent. Elles vendent leurs produits chaque semaine, le jour du marché hebdomadaire, ramenant 8 000 à 10 000 ariary à la maison ce jour-là. « Les produits ne seront pas vendus si on les vend trop cher », expliquent-elles. Une partie de cette somme sera allouée à l’achat des matières premières, le reste servira à nourrir la famille. « C’est vraiment insuffisant », déplorent ces mères de famille qui doivent parfois nourrir tous les siens avec ce qu’elles trouvent, des légumineuses trouvées dans les champs, du manioc ou de la patate douce ou les fruits à pain, même les tous petits… Une alimentation qui non seulement peut être faible en quantité mais manque également de nutriments. Si une femme enceinte est soumise à ce genre de régime, l’enfant qu’elle porte est déjà soumis à un grand risque de malnutrition.
La cantine scolaire, une motivation pour les enfants.Il y a un peu d’espoir, cependant, pour les petits élèves des Écoles Primaires Publiques. 185 EPP sur les 960 de la région ont été dotées de cantine scolaire.
Le Dr Justin Mahafaky, le gouverneur de la région déplore cependant que les zones rouges en matière de malnutrition, telles que Befotaka, Midongy, Vangaindrano, d’après le résultat des enquêtes menées par les Nations Unies (SISAV), ne bénéficient pas encore de cantine scolaire. Ces cantines scolaires constituent en effet une manière de donner à manger aux enfants, aux moins pour le déjeuner, tout en les motivant à ne pas abandonner l’école. L’EPP Amporoforo, situé dans le district de Farafangana fait partie des bénéficiaires du projet « cantine scolaire », grâce au soutien de la PAM depuis 2020. Cette école publique peut témoigner des avantages de cette disposition. « Non seulement le nombre d’élèves a augmenté mais leur performance scolaire s’est également améliorée, d’après le nombre croissant des élèves qui obtiennent leur CEPE, une amélioration qui s’explique par le fait qu’ils étudient désormais dans la matinée et l’après-midi », d’après les dires de Théophile Randriamampionona, le directeur de cette EPP. L’organisation de la cantine est bien rodée puisque ce sont les parents d’élèves qui s’organisent en rotation pour préparer le déjeuner des 383 élèves.
Le gouverneur de la région Atsimo-Atsinanana, le Dr Justin Mahafaky fait appel à l’Etat et tous les PTF pour doter toutes les EPP de la région de cantine scolaire : « Les enfants sont déjà malnutris à leur entrée à l’EPP, n’est-il pas juste d’au moins leur donner un repas décent à leur arrivée à l’école », déplore-t-il.
Manque de soin
Les CSB2 sont considérés comme des hôpitaux dans les communes rurales. Chaque « fokontany » n’en est pas doté. Les patients ont parfois des kilomètres à parcourir avant d’en trouver un à proximité. Déjà affaiblis par une alimentation dérisoire en plus des maladies qui surviennent, certains patients renoncent à se soigner. Dans les zones d’intervention de projets de lutte contre la malnutrition (tel que le Plan National d’Action Multisectorielle pour la Nutrition, mis en œuvre par l’ONN par exemple), des agents communautaires (AC) et animateurs initialement formés à la prise en charge de cas de malnutrition aiguë modérée peuvent recevoir en première consultation les enfants soupçonnés d’être atteints de malnutrition et immédiatement les rediriger vers les CSB2 en cas de malnutrition aiguë sévère.
Ces AC effectuent également des visites à domicile pour suivre de plus près les enfants qui ont besoin de suivi et ne manquent pas de sensibiliser sur les bonnes pratiques en matière d’hygiène et de santé, allant aussi jusqu’à organiser des séances de démonstration culinaire pour apprendre aux mères de famille et même les futures mères à cuisiner une alimentation beaucoup plus appropriée et plus nutritive. En effet, la malnutrition doit être évitée dès les 1 000 premiers jours de chaque enfant, c’est-à-dire à partir du moment où un fœtus grandit dans le ventre de sa mère.
Les Plumpy Sup revendus par certains parents
Les enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition aiguë modérée se voient prodiguer des doses de Plumpy Sup pour une quinzaine de jours dès leur première consultation. Il s’agit de supplément nutritionnel à base de lipides et de vitamines et minéraux. Il est déjà arrivé cependant que certains parents revendent ces produits pour avoir un peu d’argent, un geste irresponsable et dangereux puisque ces produits ne sont adaptés qu’aux enfants malades. Les AC exigent donc tous les emballages des nutriments entamés avant de leur donner leurs prochaines doses de Plumpy Sup. Certains parents récidivistes ont d’ailleurs déjà été obligés de faire prendre la dose quotidienne de Pumpy Sup à leurs enfants en présence de l’AC. La pauvreté et le manque de revenus sont visiblement encore un grand frein à l’éradication de la malnutrition, d’où l’urgence de créer des activités génératrices de revenus (AGR) pour les ménages fragiles, recommande le gouverneur de la région Sud-Est.Ces différents aspects de la malnutrition qui reflètent une partie infime de la réalité, expliquent l’approche multisectorielle dans la lutte contre la malnutrition, menée par l’Office Nationale de la Nutrition dans cette région. Cette dernière met en œuvre la Politique Nationale de Nutrition depuis 2020 et le Plan National d’Action Multisectorielle pour la Nutrition, un plan d’actions qui ne peut être réalisé qu’en coordination et en collaboration avec les autres partenaires tels que la PAM, l’UNICEF, l’ADRA ou encore la GIZ à travers son projet Sécurité Alimentaire Nutrition et Renforcement de la Résilience ( PROSAR), vu l’ampleur de ce projet d’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et des conditions d’hygiène des femmes et des jeunes enfants de la région Sud-Est. « Une tâche encore très ardue, même si chaque acteur déploie déjà ses efforts », confirme Zo Nandrianina Andrianjafinarivo, chargé de programme de nutrition communautaire de l’Office Régionale de la Nutrition Atsimo-Atsinanana. Un appel est d’ailleurs encore lancé à l’Etat, aux partenaires techniques et financiers et différentes ONG pour renforcer leur appui dans la mise en œuvre de ce plan d’action.
Hanitra Andria