vendredi, avril 11, 2025
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Mananjary : Plongée dans une ville martyre

Ambiance lugubre dans les couloirs de l’hôpital non fonctionnel, jusqu’à aujourd’hui, de Mananjary

En l’espace de quelques semaines, Mananjary a subi la pire des catastrophes, passage de l’œil du cyclone tropical intense Batsiraï et ses rafales de 250 km/h. Ensuite, Emnati, passé plus au nord avec des vents à 190 km/h. De quoi traumatiser toute une ville, une ville fière mais meurtrie.  

« Il y avait un moment où des lumières vives jaillissaient, comme s’il faisait jour. Des tornades de flammes. C’est impossible qu’uniquement du vent et des eaux aient réussi à assécher ces arbres ». À Mananjary, ce témoignage se répète d’un quartier à un autre. De la bouche de trois ou quatre personnes qui ne se sont jamais croisées. Pourtant, Batsiraï a atterri dans la ville vers 19 h. En pleine nuit. Vérité ou pas, c’est la mesure du traumatisme laissé par ce cataclysme dans les tréfonds de la mémoire collective locale.

De traumatisme, ils et elles préfèrent rapidement expédier le sujet. Puisque, les jours et les semaines avancent. « J’ai une habitation au bord de la mer, dans le quartier de Masindrano. Ce n’étaient pas seulement les vagues de la mer le problème. Mais c’étaient plutôt des vagues de sable. Ma maison avait des fondations en bêton. Quand les rafales n’avaient pas réussi à emporter toute la toiture et les murs, les vagues de sable ont tout simplement soulevé les fondations. Voilà comment cela s’est passé », témoigne Hubert, un pieux personnage encore ébranlé par son sort.

Ce centre historique de Mananjary est traversé du nord au sud par le canal des Pangalanes, la partie Est s’est trouvée sous la menace des flots marins de l’Océan Indien. Tandis que l’autre versant a vu une montée fulgurante du cours d’eau. « Heureusement, les deux ne se sont jamais rejoint malgré la montée des eaux », se réjouit Van Raoelison, jeune père de famille et surfeur. Sinon, trois des cinq « trano be », ou maison royale, du quartier de Masindrano auraient été effacées de la ville. Sans penser aux dizaines de morts. Cela n’aurait fait qu’ajouter une couche au traumatisme ambiant.

Reconstruire avec patience, le leitmotiv de Mananjary, ici c’est un exploit

Avancer, rien qu’avancer. Alors, il ne faut pas s’attarder aux lamentations et à la torpeur, rebâtir une maison, ou refaire la toiture est une mission primordiale pour les victimes. La stratégie de chacun et chacune est à peu de chose près la même. « Du jour au lendemain, les prix des madriers et des tôles ont augmenté. Des tôles à 30 000 ariary sont soudain grimper à 70 000 ariary. Comme pour les madriers, maintenant il faut débourser jusqu’à 40 000 ariary. C’est simple, vous économisez, vous patientez et vous attendez le moment opportun pour rebâtir », souligne Adeline, une épicière d’Ankadirano.

Pour une famille avec une habitation rasée, le coût d’une reconstruction varie d’un à deux millions d’ariary. Inconcevable pour la plupart des sinistrés. « Comment pensez-vous que des ‟tosika fameno” de 100 000 ariary peuvent vraiment nous aider ? Accompagné de cinq kilos de riz », regrette-t-elle. Au bord de la plage, un fringant père de famille affiche sa fierté. Un groupe de jeunes hommes et jeunes femmes, payé(e)s par jour, sont en train de creuser à la bêche.

Ces travailleur(se)s sont en train de dégager le sable ayant englouti les fondations de son domicile. Il faut creuser une profondeur d’au moins un mètre pour les faire ressurgir de terres, sur une surface de 15 m². Cette première étape de travail se fera en deux jours minimum. Les vagues de sable n’ont décidément rien épargné. Le fringant père de famille est mitigé, entre l’espoir et la résignation.

Il se prépare à au moins un mois de reconstruction pour remettre en état sa bicoque. A Mananjary, être sinistré semble se ressentir tel le summum de l’opprobre social. Etre accueilli en « SDF » chez la sœur ou le cousin pour quelques jours reste encore vivable. Par contre, cela devient pesant au fil des semaines. « Nous voulons seulement notre toit, le reste, nous assumons », lance Hubert, d’un ton frustré.

Un toit pour tous. C’est aussi une autre litanie dans la cité : « Nous voulons notre toit ». Pourtant, beaucoup reste encore à faire. Si la population vaque désormais à son quotidien, des établissements publics comme les écoles et  l’hôpital ont beaucoup souffert. Pour faire simple, trois longues tentes y servent de salle de césarienne, de pédiatrie, de consultation et d’autres soins divers. « Pour les chirurgies ou les hospitalisations, c’est transféré vers la clinique Sainte Anne », explique un soignant présent sur place.

Rien dans l’hôpital public ne peut être utilisé. En marchant dans l’allée principale traversant l’établissement, l’impression d’un vide presque macabre. Normal, après un bref passage en enfer. « Nous étions de garde cette nuit du 5 février. Les toits s’envolaient, l’eau s’infiltrait. On ne pouvait rien faire. Dans la maternité, nous avons dû recouvrir les nouveaux nés de bâche. On ne pouvait évacuer personne. L’électricité a été coupée. Nous avons attendu comme cela jusqu’au lever du jour. En sortant, la route menant ici était jonchée d’arbres et de poteaux tombés. Alors, nous avons encore dû patienter », se souvient une autre soignante.

Aujourd’hui, si l’électricité est déjà opérationnelle, l’eau a nécessité une installation réalisée par un organisme privé. La tente d’accueil sert aussi de salle de pédiatrie, « parfois pour les césariennes », les mères et leurs bébés se font consulter à même le sol. L’effort des médecins et des gardes pour rendre tout cela opérationnel et aux normes est louable. Tandis qu’après les premiers jours du cyclone, les chiffres sur la diarrhée, l’intoxication grimpent.

« Le bâtiment pour le traitement de la fistule obstétricale a été complètement détoituré. Elle est inutilisable », ajoute ce personnel de l’hôpital. Une hécatombe. Du coup, en cas de situation grave, les malades sont transportés de ce centre de santé vers la clinique privée située à l’autre bout de Mananjary. Sinon, ils doivent se débrouiller pour la rejoindre. « Il y a des gens qui viennent de la campagne », ajoute–t–il.  C’est logique dans des villes comme celle–ci.

Abandons scolaires. En longeant la route qui relie l’est à l’ouest, passant par quelques ponts au–dessus des Pangalanes. Le domaine abritant le lycée et le collège d’enseignement général et ses bâtiments, dans le quartier d’Analanjavidy, se relèvent à peine. « Nous avons en tout vingt-deux salles de classe, huit ont été épargnées. Elles se trouvent dans le fokontany d’Ambatolambo. Le niveau terminal a pu revenir en cours vers fin février, ensuite la classe de première. Celle de seconde a été de retour durant la semaine du 4 avril », énumère Vincent Baolahy, le proviseur.

Et d’ajouter. « Il y a eu des abandons bien sûr, mais au moins, tous les élèves de classe d’examen sont de retour ». La plupart des lycéens sous son autorité viennent des villages éloignés, comme Nosy Varika, Vohilava… Ces étudiants louent à 50 000 ariary en moyenne des cabanons à Mananjary. « Durant le passage de Batsiraï, leur habitation ici a été détruite, mais aussi celle de leurs parents au loin. Alors, des élèves ont été obligés de retourner chez eux pour aider leurs parents. De plus, ils avaient tout perdu ici à Mananjary », continue Vincent Baolahy.

Du côté du collège d’enseignement général, les dossiers des élèves sont encore séchés devant la porte du bureau administratif. Sur les 28 salles, 19 sont opérationnelles. « Comme nous avons vingt-huit sections, nous avons à la base le nombre de salles correspondant. Alors, pour faire face à ce manque, nous avons modulé les horaires de cours de deux heures par jour pour chaque niveau », met en avant Ernest Julius Andritiana, le directeur de l’établissement. Autant pour le lycée que le collège public, « les élèves n’auront pas de vacances de Pâques » pour les rattrapages, s’accordent ces deux responsables.

Les quartiers les plus touchés par Batsiraï s’éparpillent à travers la cité. Andovosira, Ankadirano, « Poclain », Ambatolambo et Tanambao. Bien que la population a été la plus affectée. Les opérateurs privés sont également sur le tapis. Symbole de Mananjary, le « Jardin de la mer » est maintenant un hôtel que de nom. Dame Roseline, la propriétaire, rappelle. « J’avais eu tellement peur, c’est facile aujourd’hui à raconter. Nous avons demandé de l’aide mais nous ne l’avons pas reçu. Parce que les priorités étaient les établissements publics, les routes et les rues. Alors, j’ai demandé de l’aide aux sécurités civiles venues de France. Ils ont envoyé dix–sept éléments. C’était seulement après le passage d’Emnati ».

Le restaurant, un bâtiment de la taille d’un terrain de tennis a été rasé. Jusqu’à maintenant, elle n’a reçu aucune aide de l’Etat. Il suffit alors d’imaginer le sort des autres opérateurs dans son secteur touché par le sinistre. Des représentants du ministère du tourisme auraient fait des constatations, sans plus. Pour passer le temps, sa petite troupe sèche les matelas à l’air libre, repeint quelques bidules. « Nous nous relevons, avec peu, de jour en jour », se résigne–t–elle.

« La cité va craquer ». La journée est nonchalante à Mananjary. La température grimpe rapidement vers midi. Les rues et les épiceries ferment les volets. Heure de la sieste oblige. Les bars restent ouverts. Un des commerces à avoir réussi à garder un semblant d’optimisme. Quoique la ville est soumise à un régime strict. « Les lieux de beuverie sont obligés de fermer vers 21 h, je crois. Et les forces de l’ordre sont sévères. Même dans les maisons, s’ils entendent de la musique trop forte, ils interviennent. Pas de tapage », fait savoir un vendeur de Masindrano.

Vers la fin de la journée, en passant près d’un groupe de femmes à l’entrée d’un couloir du quartier de Tanambao. La discussion sur le quotidien va bon train. Sauf quand la nuit de l’entrée de Batsiraï est soulevée. La douleur se détecte derrière les mots, les rires nerveux. Ensuite, cela se termine par une dispute. « Nous n’avons jamais reçu d’aide, il n’y a jamais eu vingt-cinq kilos de riz. Personnellement, je n’ai reçu que cinq kilos », lance la plus âgée. Une autre répond. « Arrêtes de mentir, tu as tout de même reçu les cent milles ariary ». « Ne me traite pas de menteuse. Il y a aussi ceux qui n’ont pas vu ces cent milles ariary ».

Il faut une bonne demie heure pour calmer les velléités. Chez le sexe masculin, les débats sur les aides finissent par des injures. Un attroupement quotidien de fin de journée des gars du quartier est vite rejoint par un aîné. « Ici, il est tabou d’injurier sur la sœur d’untel, alors je suis venu calmer le jeu », explique ce dernier. La tension couve.

Loin de tout ce tumulte, Didy, un propriétaire terrien de produits de rente, s’est converti en éléctricien d’un jour. Il est originaire d’Ambaro, à quelques encablures au sud de Mananjary, au-delà de l’embouchure. « Le cyclone a ravagé toutes mes plantations. De cannelle, de girofle… je n’ai plus rien. Alors, je quémande ici et là des plants pour redémarrer, sinon, je cherche un associé ou quelqu’un qui veuille acheter une partie de mes terres. Rien que des plants et des graines, et cela me suffira. On parle beaucoup de Mananjary, mais vous ne savez pas ce qu’ont subi les gens de la campagne. C’est pire », annonce le quinquagénaire. Une autre histoire.

Maminirina Rado  

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