Le Maroc est en pleine offensive en Afrique. Le royaume chérifien est une économie à forte progression pour qui l’Afrique est un terrain à privilégier pour les investissements. A Madagascar, la coopération avec ce deuxième pays le plus industrialisé en Afrique avance à grand pas ces dernières années. Les relations sont également au beau fixe, telles que l’ambassadeur marocain à Antananarivo, Mohammed Benjilany, l’explique à notre rédaction. Entretien.
Midi Madagasikara : En quelques phrases, comment voulez-vous résumer ces six années que vous avez passées à Madagascar ?
Mohammed Benjilany : Je suis arrivé ici à Madagascar, en 2016, la veille de la visite de Sa Majesté le Roi. Cela fait un peu plus de six ans maintenant. Je vais être franc avec vous, c’était, à tous les égards, six années pleines de travail et de résultats dont le rapprochement de Madagascar et du Maroc. Nous avons réussi à renforcer ce rapprochement ici avec nos interlocuteurs. Ce sont aussi six années pleines sur le plan personnel. Car j’ai eu l’occasion de découvrir un pays magnifique au niveau des paysages, au niveau des gens. C’est un pays très singulier et particulier avec une biodiversité qui l’est tout autant.
M-M : Madagascar et le Maroc ont conclu plusieurs protocoles d’accord de coopération sur différents domaines, entre autres, sur le secteur financier, l’agriculture durable, le développement touristique et les infrastructures. Où en est-on avec tous ces projets actuellement ?
M-B : Je voudrais rappeler que le Royaume du Maroc et la République de Madagascar sont liés par une relation très forte gravée dans l’histoire de nos deux pays. Cette relation a connu plusieurs évolutions. L’année 2016 a marqué un tournant dans le renforcement du cadre juridique de coopération entre le Royaume du Maroc et la République de Madagascar à l’occasion de la visite de Sa majesté le Roi Mohammed VI. Ce même cadre juridique qui a vu la signature de 22 accords et s’est enrichi davantage en mars 2019 à l’occasion de la 1ère réunion de la commission mixte Maroc-Madagascar à Marrakech par la signature de 9 nouveaux accords dans de nouveaux domaines.
Ce que je peux vous affirmer c’est que tous ces accords ont connu une mise en œuvre très rapide à travers la mise en place de comités de suivi ou de pilotage de part et d’autre et l’organisation d’échanges de visite d’experts des deux pays. La pandémie de Covid-19 a beaucoup ralenti cet élan mais malgré tout, nous avons pu, avec quelques départements techniques malgaches, maintenir le rythme à travers des visio-conférences.
Certains accords, déjà mis en oeuvre, ont vu des éléments nouveaux y être intégrés et j’évoquerai, à titre d’exemple, le secteur de la santé où la coopération initiale concernait une coopération technique et administrative entre le CHU Ibn Sina à Rabat et l’Hôpital HJRA d’Antananarivo et qui a évolué vers un programme de formation de médecins et de chirurgiens en matière de transplantation rénale pour répondre à une priorité de l’Etat malgache. Tout cela naturellement est le fruit de la relation fraternelle mais aussi de la confiance que se font deux pays africains pour avancer ensemble dans un esprit de coopération sud-sud efficiente.
En matière de formation universitaire, notre programme de bourses se poursuit. A partir de novembre 2016, le nombre de bourses marocaines a doublé passant de 35 à 70 bourses par an à laquelle se sont ajoutées une vingtaine de bourses dédiées à la formation professionnelle.
Je voudrais, également, évoquer les projets de la Fondation Mohammed VI pour le Développement Durable à Antsirabe dont l’avancement a été très impacté par deux années de pandémie et leurs conséquences multiples sur les voyages, le transport de marchandises etc et sur lesquels nous essayons d’avancer pour rattraper les retards.
Enfin, je ne saurais terminer cette partie sans parler de la solidarité du Maroc à Madagascar. En effet, à chaque fois que la République sœur, Madagascar, a été affectée par une catastrophe naturelle, une épidémie, une invasion des criquets pélerins et même pendant la Covid, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a toujours donné ses hautes instructions pour que l’aide marocaine soit dirigée vers Madagascar en appui à l’Etat malgache afin de soulager les populations affectées.
M-M : Le Maroc figure parmi les premiers pays africains qui investissent le plus en Afrique. En termes de volume d’investissements, quels sont les investissements marocains à Madagascar ?
M-B : Je peux vous dire qu’il y a quatre investissements majeurs marocains à Madagascar, notamment le secteur des banques avec la BOA et l’entrée dans le capital de la BMOI. Aussi, la reprise de la Banque de Madagascar et des Mascareignes. Nous avons aussi deux investisseurs marocains qui investissent beaucoup en Afrique à savoir Intelcia qui emploie environ 1 500 personnes et Outsourcia qui emploie environ 700 personnes. Nous travaillons et nous essayons de faire venir d’autres investisseurs, de les intéresser à venir investir à Madagascar. En 2022, le président de la République a rencontré à Paris, le patronat marocain. Nous poursuivons les discussions sur une éventuelle mission économique et commerciale marocaine ici à Madagascar. Et pourquoi pas, une mission économique et commerciale malgache au Maroc.
M-M : Sur le plan économique, le Maroc figure parmi les économies qui ont connu une forte progression. Notamment si on parle de l’agriculture, votre pays est parmi les principaux pays fournisseurs du marché européen. Sans parler du tourisme où le Maroc est une destination phare depuis plusieurs années. Monsieur l’ambassadeur, si vous pouviez vous permettre de donner des conseils au gouvernement malgache, que diriez-vous ?
M-B : Comme vous le savez, un ambassadeur n’a pas vocation à donner de conseils. Mon travail, dans le cadre de notre partenariat avec Madagascar, consiste à travailler avec nos partenaires et interlocuteurs malgaches pour mettre en œuvre les coopérations existantes, consolider les acquis et identifier de nouveaux axes de coopération.
Comme vous l’avez dit, le Royaume du Maroc connaît depuis deux décennies un rythme de développement très important qui touche de nombreux secteurs tels que les infrastructures routières et portuaires, l’agriculture, le tourisme, les énergies renouvelables et tant d’autres.
Pour ne citer que l’agriculture car elle touche au plus près et au quotidien la sécurité alimentaire des populations, je dirai que notre coopération dans ce domaine est très avancée. Elle se décline en plusieurs niveaux. Outre l’échange d’expertise régulier, je voudrais rappeler que le Royaume du Maroc avait fait don à Madagascar d’une caravane agricole qui comportait des véhicules, des équipements et surtout un laboratoire de dernière génération destiné à analyser les sols et établir une carte de fertilité pour une agriculture plus rentable et plus durable.
L’offre de coopération marocaine avec les pays frères d’Afrique se veut une offre multidimensionnelle, une offre de partage d’expériences sans pour autant tomber dans l’ostentation. Comme le dit sa Majesté le Roi Mohammed VI, cette coopération doit être sud-sud, gagnant-gagnant dans une Afrique qui fait confiance à l’Afrique.
M-M : Le Maroc comme Madagascar fait partie de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). C’est un projet titanesque et très ambitieux qui veut renforcer les relations commerciales intra-africaines, et créer un marché unique au niveau Afrique pour les marchandises et les services, avec environ 1,3 milliard de consommateurs. Il veut aussi lever progressivement les barrières douanières jusqu’à les faire disparaître dans un horizon de 15 ans. Le Maroc a déjà ratifié l’accord avec une « vision d’intégration forte et une vision africaine » (je cite les propos du ministre marocain de l’industrie, Ryad Mezzour). Madagascar, pourtant, veut gagner du temps. D’après vous, comment un pays comme Madagascar avec une économie encore très faible peut-il affronter l’offensive des autres économies plus avancées comme celle du Maroc ?
M-B : Je ne pense pas qu’il faut raisonner en termes d’offensive. On est plutôt dans une recherche de complémentarité. Il est très important qu’on puisse se concerter et discuter entre pays africains sur plusieurs questions de priorités et d’intérêt communs. Donc, il n’y a pas d’offensive. Chaque pays évolue à son rythme, et voit ses intérêts selon sa propre vision. Nous travaillons pour avoir le maximum d’échanges commerciaux et économiques et la zone de libre-échange continentale africaine, pour moi, est une opportunité pour nos pays. Le continent africain est un continent convoité et courtisé aujourd’hui en raison des ressources dont nous disposons, notamment minières, agricoles, et surtout humaines, c’est le plus important. On le voit avec toutes les crises dans le monde. On a besoin des ressources de l’Afrique. Je pense que la zone de libre-échange est un élément d’intégration africaine qui est très importante. C’est un instrument qui permettra de renforcer les échanges inter et intra-africain. Bien sûr, il y a toujours des inégalités en termes de taille, de niveau de développement. Mais l’objectif même de l’intégration, c’est qu’il puisse y avoir cet enrichissement mutuel, en termes d’argent et de transfert de connaissances, de partage d’expériences. Et c’est ce que le Maroc fait actuellement. Le Maroc ne se présente pas comme modèle. Sur la coopération, nous avons une offre qui est multidimensionnelle. De la coopération universitaire, à la coopération industrielle, par exemple. Le plus important pour nous, c’est que les autres puissent en profiter pour qu’on puisse avancer ensemble. Le continent doit avancer ensemble. Et la zone économique, à mon avis, est un élément important pour l’intégration économique et commerciale.
M-M : A l’instar de la relation malgacho-marocaine, ce que vous venez de soutenir est-il déjà perceptible ?
M-B : Il faut déjà que tout le monde ratifie d’abord l’accord sur la libre-échange car il y a encore quelques pays qui n’ont pas encore ratifié l’accord. Ceci dit, avec Madagascar, nous avons des accords qui touchent à la non-double imposition, par exemple. Et moi, je souhaite voir beaucoup plus d’échanges commerciaux et économiques. Madagascar a une offre, et nous sommes preneur. Et nous aussi, nous avons une offre commerciale qui peut intéresser Madagascar. Dans le cadre de ma mission, j’incite les gens à être audacieux, pour aller explorer ce qui se passe dans un autre pays africain comme le Maroc, y voir des opportunités en terme commercial, et créer un canal d’échanges qui puisse permettre aux produits marocains de venir à Madagascar et permettre aux produits malgaches de partir au Maroc. Il y a déjà des échanges mais on peut faire mieux. Le potentiel est énorme et je pense qu’on peut faire beaucoup plus que ce qui existe déjà actuellement.
M-M : Sur le plan culturel, quels seront vos projets pour Madagascar ?
M-B : On fait beaucoup de journées de cinéma marocain. La production cinématographique a beaucoup évolué depuis une quinzaine d’années. Il y a des productions qui sont présentes dans les grands festivals internationaux, certains ont été nommés aux oscars des films étrangers. Il y a une importance et un intérêt à familiariser le public malgache avec cet aspect culturel. Sur ce domaine là aussi, on aimerait faire plus. Mais, encore une fois, l’éloignement géographique entre les deux pays compte aussi. Mais ce n’est pas insurmontable. Toutefois, ça nécessite beaucoup de travail et d’engagement. En 2016, un village marocain au village de la francophonie, avec des troupes musicales, des expositions artisanales a été installé. Et on a aussi organisé une rencontre de la presse francophone à Antsirabe, autour d’une thématique marocaine avec la plupart de la presse francophone. Nous avons aussi apporté une contribution en livres au niveau de la bibliothèque nationale. Et nous continuons, à chaque fois que nous pouvons, à fournir des livres pour permettre aux jeunes et aux moins jeunes d’accéder à la culture et à la lecture.
M-M : Quelle sera d’après vous la garantie d’une paix durable au Sahara?
M-B : En avril 2007, le Royaume du Maroc a présenté au Conseil de Sécurité des Nations Unies un plan pour l’autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté du Royaume. Depuis sa présentation, ce plan a figuré en première place dans plus de 19 résolutions du Conseil de Sécurité en tant qu’initiative sérieuse et crédible pour la résolution de ce différend régional.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies appelle régulièrement l’ensemble des parties, sans exception aucune, à coopérer avec l’envoyé personnel du Secrétaire Général dans un esprit de compromis et de bonne foi dans le cadre du mécanisme des tables rondes.
Il y a aujourd’hui une dynamique internationale qui est en marche et qui consacre par 90 pays le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend régional. Cette dynamique se traduit aujourd’hui par la reconnaissance par les Etats Unis de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, les positions favorables à ce plan exprimées par l’Espagne et l’Allemagne, l’ouverture d’une trentaine de consulats généraux, dont plus d’une vingtaine représentant des pays d’Afrique et le reste réparti entre le monde Arabe, les caraïbes et l’Amérique latine dans les deux principales villes du Sahara marocain, Dakhla et Laâyoune.
En somme, le Royaume du Maroc demeure attaché au processus politique des tables rondes comme il demeure fermement attaché à une solution politique, basée exclusivement sur l’initiative marocaine d’autonomie, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale du Royaume.
M-M : Comment avez-vous vécu, ici à Madagascar, la qualification de votre équipe nationale de football à la demi-finale de la coupe du monde 2022 au Qatar en décembre dernier ?
M-B : Je ne sais pas s’il y a des mots assez forts pour décrire le bonheur et la fierté que nous ont procuré les Lions de l’Atlas au Qatar et, à l’instar de tous mes compatriotes, j’ai savouré toutes les secondes de tous les matches. Cette qualification a été un moment historique pour le Maroc et pour l’ensemble de notre continent africain. Je voudrais à cet égard réexprimer mes vifs remerciements à mes très nombreux amis malgaches pour leur soutien à notre équipe nationale et pour les nombreux messages que je recevais avant et après les rencontres.
J’aimerai, également, souligner que cet exploit historique n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’un travail intense de l’ensemble de la team Maroc bien sur, mais surtout du travail fait en amont dans notre pays à travers l’Académie Mohammed VI de football ; fruit de la vision de Sa Majesté le Roi et de la volonté d’atteindre l’excellence dans ce domaine. D’ailleurs, quatre joueurs au Qatar sont issus de cette académie.
Il y a également tous les efforts et moyens investis dans l’infrastructure sportive et le Royaume du Maroc dispose aujourd’hui d’un nombre important de stades aux normes internationales qui lui permettent d’organiser des évènements footballistiques continentaux et internationaux majeurs. Je vous rappelle que mon pays abritera dans quelques semaines la coupe du monde des clubs et qu’il est candidat pour l’organisation de la prochaine CAN en 2025.
M-M : Si votre gouvernement vous laissait le choix de partir de votre poste à Madagascar, que feriez-vous?
M-B : Vous savez, ce sont des choses auxquelles on ne pense pas. Aujourd’hui, je suis à Madagascar et je m’investis totalement dans ma mission à savoir défendre les intérêts de mon pays, renforcer les relations politiques, économiques, culturelles et humaines entre le Maroc et Madagascar pour qu’elles atteignent le niveau souhaité par nos deux chefs d’Etat. J’essaie, aussi, dès que l’occasion le permet de visiter différentes régions de votre beau pays, découvrir toute sa diversité et tout ce qui fait sa singularité en termes de faune, de flore et de paysages.
Recueillis par Rija R.