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Musique contemporaine : Tamatave l’âme aquatique, « autochtone » de l’Indianocéanité

Héman Alexis Rafanomezanjanahary (assis), une icône de la musique tamatavienne et malgache, ses instrumentaux s’arrachent sur le web.

Beaucoup de légendes révèlent Tamatave, mais la plus plaisante à croire est celle de « Timasy », origine du nom Toamasina, sage, devin et guérisseur et le premier habitant de la ville. L’appellation originelle de cette aire portuaire aurait d’ailleurs été « Antsiraka latabe ». Une légende proche du conte musical, renforcée par la générosité de dame nature portée jusque dans les rythmes anciens et les rythmes actuels. Cette identité musicale a su se maintenir tout le long des mutations de la ville, aujourd’hui Tamatave est devenue le premier pôle de la musique urbaine malgache. 

En 2008, un concours de chorale organisé par la MBS (Madagascar Broadcasting System) a eu lieu à Antananarivo, deux formations se trouvaient en bonne posture pour le remporter : KTKT de Tuléar et Meva Gospel de Tamatave. Dans la première se trouvait Black Nadia, et dans la seconde, Denise. Ce concours allait changer le paysage de la musique urbaine à Madagascar.

« Des années plus tard, quand j’ai rencontré Black Nadia, elle m’a avoué que sa formation redoutait la nôtre, c’était réciproque », se souvient Héman Alexis Rafanomezanjanahary, génial ingénieur du son chez studio Feo et un des personnages clés de la musique « tamatavienne » post année 2010. Du temps du coupé-décalé, quand Tence Mena et compagnie affolaient le public, lui prédisait l’afrobeat.

Cette révolution, c’était Meva Gospel. La chorale a réussi à transcender la manière de chanter, de « groover » l’évangélique. Intégrant des sonorités soul, r’n’b, new jack et la voix de Denise. Cela allait faire tache d’huile sur la jeunesse du Grand Port. « On se disait alors, ah bon ! On peut faire des choses pareilles », renchérit-t-il.

Des destins musicaux se dessinent. L’hip hop, la soul et le r’n’b trouvent des adeptes. Des vrais séides. « Tamatave se réveille ». Sa jeunesse a son mot à dire. Confinée dans la mémoire collective nationale, la cité possède déjà un gène oublié de l’industrie musicale. Généré par les icônes nationales des « Kaiamba », la promotion années 70 et 80.

Bien que la génération actuelle, loin des crispations politiques autour de la production musicale de cette époque, admet ne pas avoir trop d’affinité artistique avec l’ancienne. Les brèches laissées par cette dernière peuvent expliquer en partie le renouveau du secteur de la musique du Grand Port. Les jeunes d’aujourd’hui sont capables de faire des merveilles avec un ordinateur de bureau, des moniteurs et un synthétiseur. Les réseaux sociaux popularisent ensuite les projets.

Ambiance nocturne et assidue au studio « Feo », un lieu reconnu et affectionné par les jeunes talents en quête de devenir.

Minimalisme matériel

 « Le phénomène home-studio a facilité beaucoup de choses, des mini–studios, il y en a dans plusieurs quartiers maintenant », soutient Dida Randriamifidimanana, promoteur reconnu de la musique malgache depuis l’ère « Speedy » à Ampandrana, basé maintenant à Tamatave. Propriétaire du studio Feo, d’où les nouvelles pépites Rim-Ka et Treezey ont pu s’épanouir.  

Toujours en coulisses, fin connaisseur du milieu, il est le mieux placé pour analyser cette déferlante musicale venue de l’est. La cassure entre l’ancienne génération et la nouvelle est palpable. Celle d’aujourd’hui « devrait insérer un peu plus de terroir » dans ses créations, ajoute-t-il. Il aurait bien raison, l’afrobeat est une « digitalisation » des rythmes traditionnels de l’Afrique centrale.

Les réussites musicales s’enchaînent. Un tube se remplace par un autre en l’espace de quelques mois. Au grand ravissement des chaînes locales. Les rêves grandissent. Les chanteurs et chanteuses en herbe estiment qu’il est facile de sauter le pas d’idole de quartier à idole nationale. « Des membres du collectif Gasy Ploit sont venus constater ce qui se passe à Tamatave », se souvient Héman Alexis Rafanomezanjanahary.

Grâce à ce bouillonnement culturel, la « Cité des flamboyants » devient un pôle d’inspiration, de concept et de projet musicaux pour beaucoup de pointures de la Grande Île. « Ils prennent directement à la source », réagit un brin fier, Dida Randriamifidimanana. Les idoles du Grand Port rassemblent, tout en embellissant les clivages.

Treezey (à gauche) et Rim-Ka (à droite), les stars actuelles de la musique contemporaine du Grand Port en phase d’une dimension nationale, voire internationale.

Une nature aimante

Tamatave, au-delà de son légendaire passé économique, a été une ville meurtrie. Meurtrie par les milliers de vies volées des « Makoa » déportées durant la traite négrière. Meurtrie des conquêtes militaires, du groupe humain « Merina », élaborant ensuite la ville au gré du commerce. De l’occupants étranger, avec les premières orientations urbaines d’un cachet nouvelle ville.

Les cyclones ont aussi apporté leur lot de stigmates. L’Indépendance a entériné une fuite en avant. La ville s’agrandit, les constructions sauvages masquent le semblant d’ordre laissé par l’ancienne administration française. Les populations se replient sur elles-mêmes, stigmatisées par l’agencement colonial des quartiers. Géographiquement, la région est une région de l’eau et de ses bienfaits.

L’Ivondro au Sud, le canal des Pangalanes traverse le Grand Port du Sud au Nord, Farafaty et Mangarano par l’Ouest et Ivoloina au Nord. Sans oublier, l’Océan Indien, faisant de Tamatave une cité tournée vers l’Asie plutôt que l’Occident. Ces cours d’eau ont rassasié depuis des temps. Les zébus repus des pâturages, les bouviers assouvis des fruits gratuits en forêt.

L’Océan Indien et ses comestibles, des terres cultivables bénies par les pluies abondantes. Le groupe humain « Betsimisaraka » est gâté par la terre et le ciel. Tant et si bien que sa musique traditionnelle, le « hosika », dans sa gamme festive mais non rituelle, est plutôt berçante, soulagée, amusée et amusante. À ses débuts, du moins.

Les chants au village se suffisaient par les voix et les claquements des mains. Sans en ôter la ferveur bienheureuse. Le « tsaboraha » est une des formulations de cette humanité satisfaite. Si beaucoup y voyaient un vice, son impact sur l’art musical a donné des genres immuables comme le « basesa ». Cette âme aquatique se ressent encore dans la musique urbaine contemporaine.

Un trait permanent

Raison pour laquelle, quelque part, Tamatave a pu régénérer son identité musicale. Il suffisait d’une réouverture frontale au monde, flux massif de diverses nationalités avec Dynatec et Sherritt en 2007, pour réactionner la manivelle. Et la musique a été l’expression la plus complexe, toutefois la plus accessible, pour cette renaissance artistique.    

L’eau apaise, vivifie, lave, calme, rafraîchit… Il suffit d’écouter un son de « valiha » de Rakotozafy, et le titre de Shyn, « Yray+yray » pour en ressentir des tracés auditifs communs. Ou encore, un titre rythmé, jouissif sans rendre fou le métronome, « Ino maresaka Tamatave » de Jean Kely et Basth. La gestion des tensions, les harmonies, soutenue par cette constance du ton…

Ces quatre artistes ont l’air de s’être rencontrés et de s’être passés le mot à travers des carrefours temporels. Dans ces eaux, les requins et les crocodiles existent pourtant. La profusion des home-studios, la diminution des intervalles générationnelles des talents, le repli sur soi en a été la suite logique.    

« Nous avons souhaité l’appui des aînés, mais non, certains n’hésitent même pas à vous effacer du paysage », regrette quelque peu Rim-Ka. Pour dire que la concurrence est rude. Ses 20 ans à peine révolus, le jeune homme gravit les marches du succès maintenant. Son parcours résume celui de ses pairs. Premiers pas pour s’amuser, pour se prouver un potentiel, se donner une petite aura d’artiste.

Après, la recherche d’une structure stable, mobilisée et motivante. Et enfin, la notoriété. Apparemment dans le Grand Port, sans un entourage connaisseur en guise de garantie, la boucle est vite bouclée. Même, l’achat d’une paire de « Nike » peut être concerté. Les vestiges probables de cette industrie musicale d’antan. Nombreux aussi ont été, sont et seront les destins brisés.

Maminirina Rado

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