Cette citation provocatrice et iconoclaste, je ne le fais certes pas mienne. Je l’emprunte aux inquisiteurs et autres accusateurs publics qui dans leur propension génocidaire aux pires moments de la tourmente révolutionnaire française, portée à son paroxysme sous la Terreur (1793-1794), ont envoyé journellement des fournées entières de condamnés à la guillotine, dressée en permanence Place de la Révolution, actuelle Place de la Concorde à Paris. Parmi les illustres victimes, issues du Monde des Sciences et des Lettres : Lavoisier, père de la Chimie moderne, et surtout André Chénier, fervent admirateur de la poésie grecque, homme de lettres qui a pourtant accueilli avec enthousiasme l’avènement de la Révolution française. A ceux qui ont osé élever une timide protestation à l’encontre de la condamnation, ce poète plutôt inoffensif, le sinistre accusateur public au sein du Tribunal révolutionnaire, du nom de Fouquier – Tinville aurait rétorqué « … LA REPUBLIQUE N’A PAS BESOIN DE POETES… ».
A désespérer du destin du genre humain. Il est vrai que de tout temps, et sous bien des latitudes, certaines « républiques » (bananières) n’avaient plus besoin de la soldatesque, de tontons macoutes et autres barbouzes plutôt que des poètes, de philosophes et autres penseurs plus ou moins mystiques, pour asseoir fermement leur emprise sur une multitude d’esclaves enchaînés… La même pensée indigente et pitoyable a été exprimée à Tombouctou, au Nord Mali, lorsqu’en 2012 les intégristes du groupe Ansar Eddine ont saccagé des lieux saints (mausolées musulmans et églises chrétiennes) inscrits pourtant par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial. Et devant la virulente condamnation lancée par l’agence spécialisée des Nations unies, ayant en charge notamment l’Education et la Culture qu’est l’UNESCO, les criminels de renchérir « l’UNESCO devrait songer à nourrir les populations, plutôt qu’à protéger les monuments !… ». Allons donc ! l’Unesco, en plus de la mission spécifique qui lui est assignée, ne saurait en plus empiéter, ni sur les plates-bandes du PAM, ni sur celles de la FAO. Mais ce serait vraiment à désespérer du destin du genre humain si l’on réduit l’homme à un simple tube digestif. Mises à part les « nourritures terrestres », il y a aussi – et heureusement – celles qui nourrissent l’esprit et qui élèvent l’âme. Ce qui permet de nous distinguer des singes bonobos, nos « cousins » primates les plus intelligents et les plus proches de nous, semble-t-il… On pourrait aussi déplorer, entre autres méfaits des prédateurs du patrimoine, la démolition à la dynamite des Bouddhas de Banyan en Afghanistan, du fait des brutes épaisses que sont les Talibans…
Quand meurent les poètes. Arrêtons l’énumération pour balayer devant nos portes, concernant notre patrimoine à nous : l’incendie criminel en 1995 du ROVA d’Antananarivo dont les auteurs courent toujours. Le transfert clandestin et sacrilège en 2008 semble-t-il des dépouilles royales ensevelies au ROVA, vers on ne sait quelle destination.
- La disparition de la Couronne des Reines, subtilisée au Palais d’Andafiavaratra en 2012, et dont il a fallu faire pâle copie qui en tant que telle, ne remplacera jamais l’originale.
- La démolition de la Maison des Ecrivains, dont la première pierre a été posée en grande pompe par Federico MAYOR, Directeur Général de l’UNESCO de l’époque, lors de son voyage officiel à Madagascar en juillet 1994, et dont il ne subsiste plus aucune trace, suite aux « aménagements » qui ont amputé le terrain de la Bibliothèque nationale d’une importante partie de sa superficie.
- L’insuffisance de la prise en compte des innombrables éléments et vestiges du patrimoine aussi bien matériels qu’immatériels dont regorgent nos régions qui méritent qu’on les identifie, qu’on les sauvegarde, qu’on les préserve et qu’on les valorise.
Le ministère actuellement en charge de la Culture et du Patrimoine met activement la main à la pâte mais les moyens mis en œuvre ne sont pas toujours à la hauteur de l’immensité de la tâche, et ça c’est une vieille historie…
« La République n’a pas besoin de poètes ». A la lumière de ce qui précède, la formule par laquelle j’ai voulu titrer ma page, se veut une manière d’interpellation, pour dénoncer le peu de cas, dont sont souvent victimes les « Choses du cœur, de l’esprit et de l’âme » sous prétexte que « la Culture, ça ne se mange pas ». Ce qui du reste n’est plus tout à fait vrai car la satisfaction de nos besoins fondamentaux et prioritaires (Dont le boire et le manger) sont de plus tributaires des dimensions… CULTURELLES du développement. Rentré récemment d’une mission aux Comores, j’ai ressenti avec une profonde tristesse la disparition brutale d’un éminent homme de lettres malgaches d’expression française : David Jaomanoro, décédé à Mayotte le dimanche 14 décembre dernier ; ce triste évènement n’a pas à mon avis trouvé l’écho qu’il méritait … Et pourtant David Jaomanoro, nouvelliste dramaturge, Grand Prix JJ Rabearivelo en poésie d’expression française, Grand Prix de la Meilleure nouvelle RFI/ACCI 1993 etc. a porté haut le flambeau de la littérature malgache d’expression française, et mérite ainsi un hommage plus conséquent à l’occasion de sa disparition. Il faudrait songer à combler cette lacune, car quand un Poète meurt, c’est une lumière de moins qui n’éclaire plus notre chemin.
Julien RAKOTONAIVO