

Alors que Madagascar aborde une phase charnière de son développement, la question de l’orientation et de l’employabilité revient avec insistance au centre des débats. Pour Jeannot Razafimahatratra, engagé depuis plusieurs années dans l’accompagnement des jeunes, la situation actuelle relève moins du simple défi que d’un risque structurel majeur. « C’est une bombe silencieuse », résume-t-il, constatant que le pays tarde encore à mesurer l’ampleur de l’enjeu.
Dans les discours officiels, la jeunesse est régulièrement présentée comme « moteur du développement ». Sur le terrain, pourtant, cette force potentielle avance à tâtons, faute de dispositifs cohérents capables de l’aider à construire un projet professionnel viable. Le constat est d’autant plus préoccupant que le marché du travail, lui, se transforme à grande vitesse.
Un monde professionnel en mutation rapide
La digitalisation, l’essor des services, la montée des compétences transversales ou encore l’évolution des métiers techniques installent une réalité nouvelle : les parcours linéaires appartiennent au passé. On ne choisit plus un métier « pour la vie ». On pivote, on se réoriente, on s’adapte. Mais à Madagascar, les outils censés accompagner ces transitions restent largement insuffisants.
Les conseillers en orientation – lorsqu’ils existent – apprennent souvent leur métier sur le tas. Les données sur le marché du travail sont fragmentaires, anciennes ou contradictoires. Les formations manquent de passerelles structurées vers l’entreprise. Résultat : là où il faudrait une boussole, les jeunes doivent se contenter d’indications vagues.
Une jeunesse nombreuse, motivée… mais livrée à elle-même
Chaque année, près de 300 000 jeunes arrivent sur un marché du travail qui n’en absorbe qu’une fraction. 43 % des étudiants suivent une formation sans réel débouché, tandis qu’une entreprise sur trois peine à trouver des compétences adaptées. La majorité des jeunes interrogés – 61,3 % – expriment un sentiment d’incertitude quant à leur avenir professionnel. Seuls 15 % accèdent à un emploi stable, et à peine 2,5 % deviennent employeurs.
Derrière ces chiffres se cache une réalité implacable : chacun cherche, mais peu trouvent. Les jeunes multiplient les tentatives sans direction claire ; les entreprises, de leur côté, peinent à identifier des profils adaptés. « La dispersion des initiatives crée un bruit permanent qui empêche d’avancer », analyse Jeannot Razafimahatratra.
Une multiplication d’actions… mais peu de cohérence
Forums, ateliers, projets pilotes, programmes innovants : l’offre existe, mais elle manque de coordination. Les contenus produits sont inspirants, parfois pertinents, mais rarement contextualisés aux réalités régionales. Les informations circulent, mais elles sont dispersées, redondantes ou dépassées. Les jeunes reçoivent alors des conseils contradictoires, sans pouvoir discerner ce qui relève de l’opportunité ou de l’illusion.
Des attentes fortes, mais des responsabilités incomplètes
Établissements de formation, entreprises et institutions publiques invitent régulièrement les jeunes à faire preuve de motivation, de résilience, d’adaptabilité. Mais les efforts demandés ne trouvent pas toujours leur équivalent du côté des acteurs eux-mêmes. Peu d’entreprises proposent des programmes de tutorat, des espaces d’apprentissage internes ou des passerelles structurées avec les centres de formation. Beaucoup réclament des profils « opérationnels », sans investir réellement dans le développement des compétences.
« Il est trop facile de dire aux jeunes qu’ils doivent faire plus, alors que le système ne leur donne pas les moyens de réussir », insiste Jeannot Razafimahatratra.
L’employabilité, une construction durable
Préparer un jeune au monde du travail ne se résume pas à l’aligner sur les besoins immédiats du marché. L’employabilité est un socle, pas un costume. Elle repose sur la capacité du jeune à comprendre le monde économique, à identifier ses compétences, à analyser les secteurs porteurs et à se projeter avec réalisme. C’est aussi lui offrir la confiance nécessaire pour évoluer, se former, se réorienter.
Trois leviers pour un changement structurel
Pour sortir de l’impasse, Jeannot Razafimahatratra plaide pour une refonte de l’écosystème plutôt que pour une multiplication d’initiatives isolées. Trois leviers apparaissent essentiels :
1. Des partenariats engagés et vivants. Les collaborations entre entreprises, écoles, ONG et institutions doivent dépasser les signatures symboliques pour devenir des engagements concrets et suivis.
2. Une centralisation de l’information. Sans données fiables sur les métiers, les besoins en compétences et les formations disponibles, l’orientation restera approximative.
3. La mutualisation des réussites. Les expériences locales efficaces doivent être valorisées, documentées et transformées en modèles nationaux.
Un impératif national avant la rupture
Madagascar entre dans une période de pression démographique et économique intense. La jeunesse est nombreuse, créative, désireuse d’avancer. Mais elle manque de repères solides et de perspectives crédibles. « Si l’on continue à traiter l’orientation comme un sujet secondaire, la fracture risque de s’installer durablement », prévient Jeannot Razafimahatratra.
L’enjeu dépasse la trajectoire de chaque jeune : il concerne l’équilibre social et économique du pays. L’orientation n’est pas un luxe et l’employabilité n’est pas un supplément. Ce sont les fondations d’un avenir plus stable. Madagascar n’a plus le luxe d’attendre : il est temps de bâtir un système cohérent, ambitieux et véritablement au service de sa jeunesse.
Dossier réalisé par Julien R.





