Ayant vécu à Madagascar et dont la famille maternelle était de Diego-Suarez, l’historien français Alexandre Audard a publié en septembre 2022, un livre de 290 pages, « Papa Volamena : mémoires d’un marin chercheur d’or (Alphonse Mortages, Anecdotes et souvenirs vécus, 1938, nouvelle édition annotée) » édité à Maisonneuve & Larose-Hémisphères. L’équipe de MIDI a eu l’opportunité de l’interviewer.
MIDI Madagasikara. Vous avez écrit un livre concernant l’histoire de la partie septentrionale de Madagascar. Quelles étaient vos motivations ?
Alexandre Audard. À la lecture des mémoires, j’ai découvert qu’Alphonse Mortages, que je connaissais par le biais de l’histoire de Diego-Suarez, avait eu plusieurs vies avant. C’était en fait un ancien marin ayant voyagé autour du monde. Il avait servi dans la Marine française dans le Pacifique, avait navigué sur les lignes des Messageries Maritimes jusqu’au Japon et avait même été hôtelier et cheminot en Inde. Le récit de la vie d’Alphonse Mortages dépassait donc la seule histoire de Diego-Suarez et était le parfait exemple d’un homme incarnant l’esprit d’aventure et la figure du pionnier qui sont propres à la construction des empires coloniaux. La publication de ce livre à côté de ma thèse me paraissait donc un projet pouvant intéresser un grand nombre de lecteurs puisqu’en suivant Papa Volamena de manière critique, on comprenait aussi différents ressorts de la colonisation. Bien entendu, la publication du livre me permettait aussi de raconter l’histoire d’Antsiranana qui compte beaucoup pour moi. Mon éditeur m’a d’ailleurs permis d’insérer de nombreuses photographies anciennes de la ville et certains découvriront peut-être ainsi que l’Hôtel de la Marine, aujourd’hui en ruine, construit par Alphonse Mortages en 1910, s’appelait initialement l’Hôtel des Mines en référence à l’Andavakoera et était le symbole du mythe de l’or à Diego-Suarez. Enfin, j’ajouterai que ce livre est aussi une forme d’hommage à Cassam Aly, récemment disparu, pour qui l’histoire de sa ville comptait beaucoup et qui était très attaché à la figure d’Alphonse Mortages qu’il avait personnellement connu. C’est d’ailleurs par l’évocation d’une discussion avec lui que commence le livre.
M. M. Vous avez intitulé votre livre Papa volamena ? Pourquoi ?
A. A. Le livre est une édition des mémoires d’Alphonse Mortages, le fameux colon français de Diego-Suarez ayant découvert les mines d’or de l’Andavakoera en 1905. Je l’ai intitulé « Papa Volamena : mémoires d’un marin chercheur d’or » puisque Papa Volamena (père de l’or) était le surnom donné à Alphonse Mortages par ses ouvriers malgaches (principalement originaires du Sud de l’île : Antemoro, Antesaka, etc.) durant les principales années d’exploitation de la mine entre 1908-1912. Je trouve que ce surnom évoquait à lui tout seul le mythe qui entourait le personnage durant la période coloniale et qui est au cœur de mon étude.
M.M. Pendant combien d’années avez-vous écrit ce livre ?
A.A. J’ai commencé l’écriture de ce livre il y a cinq ans, en même temps que je commençais ma thèse (que je devrais soutenir l’année prochaine). En parcourant les archives et la presse coloniales de Diego-Suarez pour mes recherches, je me suis vite rendu compte que le nom d’Alphonse Mortages était omniprésent au début du XXe siècle et que les mines d’or de l’Andavakoera, qui n’ont finalement pas été exploitées très longtemps, avaient profondément marqué l’histoire de la ville. Il me paraissait donc important d’inclure ces mémoires dans mon travail sur l’histoire de la ville. L’écriture s’est donc faite au fur et à mesure de mes recherches, mon travail de thèse me permettant ainsi de compléter et d’annoter progressivement le récit.
M.M. Êtes-vous descendu sur place (Andavakoera) pour voir de vos propres yeux les vestiges ?
A.A. J’ai en effet eu la chance de visiter les anciennes mines de l’Andavakoera. Je souhaitais prendre des photographies pour les comparer à celles de l’époque et faire quelques entretiens avec des mineurs. C’était aussi plus intéressant de constater que l’or fait toujours l’objet d’autant de fantasmes cent ans après et que le nom de Mortages était encore bien connu. Aussi surprenant soit-il, puisque je ne m’y attendais pas, cette visite m’a permis de comprendre que le mythe de Papa Volamena était encore bien vivant
M.M. Les français ont construit une grande base militaire à Diego-Suarez, une grande forteresse dans la région du Sud-Ouest de l’océan Indien. La ville était destinée à protéger les intérêts de la France. Exploiter l’or dans la partie nord figure dans le projet de la France, ou est-ce une coïncidence ? ….
A.A.Bien entendu, la publication du livre me permettait aussi de mettre en avant une partie de l’histoire d’Antsiranana qui compte beaucoup pour moi. La découverte de l’or est en fait une pure coïncidence. C’était une période où beaucoup de colons se mettaient à la recherche de l’or après les différentes ruées au Canada et en Afrique du Sud. Des prospecteurs sillonnaient tout Madagascar durant ces années. Pourtant, rien ne laissait à penser qu’il y avait de l’or dans la région. Alphonse Mortages lui-même ne s’en doutait pas. Le hasard de la découverte et son importance ont été très importants dans la construction du mythe. Ajoutons que tout cela embêtait bien les militaires puisque Diego attirait de très nombreux migrants attirés par l’or, ce qui était bien loin des préoccupations stratégiques de la baie.
Propos recueillis par Iss Heridiny