Madagascar a gagné la confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs, mais rien n’est encore entièrement acquis, selon Patrick Imam, représentant résident du FMI (Fonds Monétaire International) à Madagascar. Interview.
Midi Madagasikara (MM). Madagascar a pu obtenir des milliards de dollars US, pour le financement de son développement. Quelle est votre optique sur ce résultat ?
Patrick Imam du FMI. A la Conférence des Bailleurs et des Investisseurs, Madagascar a effectivement reçu des promesses d’engagements financiers de la part des bailleurs de fonds traditionnels, et également de la part d’investisseurs privés. Sur la base des dernières informations disponibles, les partenaires à la fois bilatéraux et multilatéraux se sont engagés à hauteur de 6.4 milliards de dollars pour les années à venir. C’est une annonce qui a excédé le montant recherché par le gouvernement qui a été de 5.4 milliards de dollars. En outre, le secteur privé a aussi annoncé des investissements s’élevant approximativement à 3.5 milliards de dollars. Ceci est donc un signe de confiance en ce gouvernement et dans l’avenir du pays. Ces fonds seront destinés à appuyer le programme du gouvernement, tel que décrit dans le Programme National de Développement, et plus particulièrement ils serviront à financer les cinquantaines de projets prioritaires que l’Etat a présenté au cours de la Conférence. Par ailleurs, vu l’ambition annoncée du Président de la République, au cours de son discours de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie des Malagasy, il est fort probable que des fonds importants seront alloués dans les investissements générateurs d’emplois et de revenus, notamment les investissements dans les infrastructures, mais aussi et surtout dans le développement humain à travers un meilleur accès aux services de santé et d’éducation de la population Malagasy ainsi que d’un service de protection sociale pour les plus vulnérables.
MM. De quoi sont constitués ces fonds ? Y a-t-il des éléments dons ?
FMI. Tous les éléments ne sont pas encore disponibles pour pouvoir donner une réponse ferme à la question. Toutefois, pour certains engagements financiers qui se sont déjà concrétisés, à travers la signature de différents accords, les fonds sont constitués à la fois de dons mais également de prêts sous forme concessionnels. Il s’agit notamment des dons reçus de la Banque Africaine de Développement, pour un montant de 1 million de dollars, ainsi que des dons en provenance de la Banque Mondiale, pour un montant de 35 millions de dollars. Tous deux sont destinés à faire face au problème de la sécheresse dans le Sud de Madagascar, avec un volet transfert monétaire aux familles les plus vulnérables des districts les plus affectés.
Quant aux prêts, ils ont été contractés en des termes concessionnels avec des périodes de maturité assez longue et des taux d’intérêts presque nuls. Ces derniers seront fournis notamment sous forme d’aide budgétaire et serviront particulièrement à appuyer les efforts des autorités dans l’amélioration de la gestion des finances publiques et dans la réforme du secteur énergétique, notamment de l’entreprise d’Etat JIRAMA.
Quant au reste des promesses d’engagement annoncées par les autres partenaires, les détails des informations y afférentes ne sont pas encore disponibles. L’idéal serait une composition où la part de l’élément « dons » primerait sur l’élément « prêts ». De cette façon, les autorités atteindront en même temps les besoins d’accroissements importants des ressources tout en maintenant la soutenabilité de la dette, qui, bien qu’elle se trouve à un niveau modéré à l’heure actuelle, reste sensible à certains facteurs dont la composition de la dette future du pays.
MM. De nombreuses promesses de financements ont été annoncées. Comment pourrait-on faire pour traduire ces engagements en décaissements effectifs ?
FMI. Certes, il ne s’agit encore que de promesses pour le moment, même si dans le montant annoncé, il y a déjà des appuis financiers qui sont déjà concrétisés par des signatures d’accords. Concrétiser les accords en des décaissements effectifs nécessite des efforts de la part de tout en chacun mais plus particulièrement des autorités Malagasy. Le gros des efforts devrait-être fourni par Madagascar. D’autant plus que dans un contexte mondial un peu morose, où les pays sont en forte concurrence que ce soit pour bénéficier des aides ou pour attirer les investissements privés étrangers, les ressources disponibles qui sont en baisse vont généralement dans les pays performants en termes de réformes et de résultats.
Je pense qu’en ce qui concerne Madagascar, les efforts devront se situer à trois niveaux. Un premier effort pour traduire les promesses en des décaissements effectifs. Les PTFs ainsi que les investissements resteront attentifs sur les efforts que les autorités entreprendront pour renforcer la stabilité politique et macroéconomique du pays. Ils le seront également pour la continuité des efforts d’amélioration de la bonne gouvernance, dans tous les domaines, mais plus particulièrement dans la gestion des entreprises publiques d’utilité nationale, de la réduction de la corruption et de l’amélioration du climat des affaires. Un ralentissement du dynamique de réformes entamées pourrait, par exemple, mener à un retard de décaissement ou à un décaissement moindre pour les aides, d’une part et à un report des investissements, d’autre part. Si de telles situations se produisent, l’atteinte des objectifs que les autorités se sont fixés sera compromise.
Un second effort sera nécessaire pour améliorer la capacité d’absorption du pays et traduire les montants en des améliorations concrètes du niveau de vie et à la réduction de la pauvreté. Cela implique pour les autorités de prendre des mesures pour corriger la faiblesse caractéristique des institutions dans les pays en voie de développement. Il en est de même pour les capacités de gestion des administrations, la qualité des politiques publiques, ainsi que la faiblesse ou l’insuffisance des compétences. Autant de points qui sont nécessaires à remédier pour une meilleure absorption de l’aide ou des investissements étrangers.
Et finalement, un troisième effort est nécessaire pour éviter une surchauffe de l’économie et maintenir la stabilité macroéconomique, car bien qu’important pour atteindre les objectifs de développement d’un pays, un afflux important de l’aide internationale ou des flux de capitaux extérieurs n’est pas sans risque. Et qu’afin d’en maximiser les bénéfices qui y sont associés, les autorités du pays se doivent d’accompagner leurs arrivées par des mesures d’accompagnement adéquates tant au niveau de la politique budgétaire, monétaire que de changes.
MM. Quels changements pourrait-on espérer après la CBI ? Et quelles sont les contreparties de tous ces milliards de dollars ? Y’a-t-il des risques si tous ces projets se concrétisent ?
L’afflux d’aide et de capitaux ne doit pas devenir une source d’instabilité et d’insoutenabilité sur le plan macroéconomique. Une des conséquences directes d’un afflux important d’aide ou d’IDE serait une appréciation en terme nominale de la monnaie nationale. Bien que cela serait bénéfique pour un pays importateur net comme Madagascar en réduisant les coûts d’importations, à terme, et notamment si cela conduit à une appréciation réelle de la monnaie nationale. Cela pourrait résulter en une perte de compétitivité des exportations du pays, telles que les exportations dans le secteur des textiles. Situation qui ne serait pas souhaitable vue que l’afflux de l’aide pourrait-être passager et que seules les exportations constituent une source relativement stable de devises pour le pays. En outre, dans le cas de Madagascar, comme l’afflux d’aide et de capitaux est destiné en grande partie à combler le déficit important en infrastructure du pays, les autorités se doivent d’être prudentes. Plus particulièrement, en ce qui concerne les investissements publics dont l’utilisation et le financement doivent-être bien étudiés de façon à écarter les risques fiscaux qui y sont associés. En effet, une utilisation plus efficace et efficiente des investissements contribuera plus à la croissance économique et au maintien du niveau de la dette du pays à un niveau soutenable. Sur l’aspect financement des investissements, une attention particulière devrait-être accordée au financement par PPP (Partenariat Public-Privé) qui, malgré des perspectives alléchantes notamment pour les pays à l’espace fiscal limité comme Madagascar pour rattraper le retard en termes d’infrastructures, présente de risques importants que les autorités se doivent de gérer à travers un renforcement du cadre institutionnel qui les régissent.
Une dernière chose qu’il est important de mentionner aussi est que logiquement, avec une annonce aussi importante d’aide, la population Malagasy s’attendra à ce que cela se traduit par une amélioration palpable de son niveau de vie. Si pour une quelconque raison, cela ne se matérialise pas, par exemple, parce que l’aide arrive avec un retard, cela pourrait avoir des répercussions politiques, qui doivent être bien gérées.
MM. Le FMI a fait une déclaration sur sa satisfaction des avancées faites par Madagascar. Cela a-t-il aidé le pays à gagner cette confiance des bailleurs et des investisseurs ?
FMI. Si on se réfère au discours des bailleurs ainsi que du Président de la République durant la Conférence, l’accord conclu entre les autorités de Madagascar et le FMI, dans le cadre de la Facilité Elargie de Crédits, a effectivement joué un rôle important dans le succès de l’événement à Paris. Puisque l’appui du Fonds a joué un rôle de « caution » vis-à-vis non seulement des partenaires techniques et financiers traditionnels mais également des investisseurs privés.
En bénéficiant de la FEC, Madagascar renforce sa crédibilité, dans la mesure où cela implique que le pays met en œuvre des mesures destinées à renforcer sa stabilité macroéconomique mais aussi des mesures destinées à adresser des problèmes structurels qui minent son développement et diminuent son attractivité aux yeux des investisseurs et des partenaires. Et bien que le programme FEC n’offre pas de garantie sur tous les domaines, notamment politique, il reste quand même un atout de taille pour les pays qui en bénéficient, et qui ont des besoins d’importantes ressources financières, car il lui ouvre des opportunités assez conséquentes en termes de financement.
Outre la FEC, les autorités ont continuellement affiché au long de la Conférence, leur volonté de vouloir poursuivre la dynamique actuelle de réforme. En plusieurs occasions, ils ont martelé leur engagement à poursuivre les efforts qu’ils ont déjà commencés pour améliorer la gestion des finances publiques, instaurer la bonne gouvernance avec un accent particulier sur la lutte contre la corruption à tous les niveaux, et à réformer les entreprises publiques, notamment la JIRAMA. Une volonté à laquelle les bailleurs et les investisseurs n’en sont pas manifestement restés insensibles. D’où, le résultat actuel en termes de promesses d’engagement.
A tout cela s’ajoute le succès récent du pays dans l’accueil et l’organisation du Sommet de la Francophonie qui a contribué à renforcer la confiance des partenaires aux autorités du pays.
MM. Environ 14 Ministères ont été représentés à la CBI à Paris. Comment se fera la répartition des financements du côté du secteur public ?
FMI. Les promesses d’engagement financier étant basées sur le programme que les autorités ont présenté dans le cadre du PND, il est fort probable que la répartition des financements se fera sur la base des priorités que les autorités ont donné à chaque programme.
Au cours de la Conférence, les autorités semblent avoir mis l’accent sur plusieurs domaines, à savoir : le développement rural, qui fait vivre une frange importante de la population dont les plus pauvres, avec un accent particulier sur les activités de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage ; les infrastructures pour lesquelles le pays souffre d’un déficit important tant en qualité qu’en quantité ; l’énergie qui fait actuellement défaut alors que le pays en dispose un immense potentiel ; et les secteurs sociaux, tels l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissement ainsi que la protection sociale. Pour ce dernier dans le cadre du programme FEC, nous essayons de voir avec les autorités le meilleur moyen de consacrer et de préserver beaucoup plus de ressources pour ces secteurs qui contribuent fortement à la réduction de la pauvreté et à l’instauration d’une croissance inclusive. Ceci inclut aussi la lutte contre la famine dans le Sud.
Recueillis par Antsa R.