Faiseur de champion, ça existe. Ce jour, nous parlerons d’un maître de karaté, ancien militaire qui a pris en main une jeune Réunionnaise de 11 ans pour emmener au titre de double championne du monde de karaté ! Il a 56 ans, il vit à la Réunion, il est divorcé et père de trois enfants. Il est aussi Professeur d’EPS dans l’Education Nationale. Interview :
Midi Madagasikara : Parlez-nous de vous, de l’entraîneur de la championne du monde Lucie Ignace.
Georges Hafizou, entraîneur de la championne du monde Lucie Ignace : « Je n’aime pas trop parler de moi. Je pratique le karaté depuis l’âge de 15 ans, car c’était l’époque de Bruce Lee. J’ai fait mes débuts à Bras Panon jusqu’à mes 18 ans puis il a fallu quitter l’Ile pour le métier. Car j’avais choisi de faire une carrière militaire… Donc j’ai quitté mon ile natale pour rejoindre le 3e Régiment d’Infanterie de Marine de Vannes dans le Morbihan. Ce Régiment d’élite venait tout juste d’être entièrement professionnalisé et appelé à servir sur les théâtres d’opérations extérieures comme le Tchad, la République Centre Africaine et le Liban etc » .
M.M. : Et le côté militaire ?
Georges Hafizou : « J’ai effectué six interventions au Tchad, trois en RCA, une à Djibouti. « J’ai servi en séjour de deux ans en Nouvelle Calédonie et en Guadeloupe et en fin de carrière à l’Ecole Militaire de St-Cyr à Coëtquidan comme sous-officier instructeur où j’ai formé trois promotions de St-Cyriens, quatre promotions d’élèves-officiers de réserve et une promotion d’élèves officiers de la gendarmerie.
M.M. : Et le karaté dans tout ceci ?
G.H. : « Après 25 années passées à servir mon pays, je suis rentré à la Réunion avec la ferme intention d’ouvrir un club de karaté à l’endroit même où j’ai débuté. Et bien évidemment tout au long de mon parcours professionnel j’ai continué à pratiquer le karaté partout où je suis passé. Tout d’ abord en Nouvelle Calédonie où j’ai fait mes débuts d’enseignant puis à Vannes où j’ai un club et en Guadeloupe. J’ai pu malgré tout faire mon métier, entraîner et participer à quelques compétions régionales.
M.M. : Votre palmarès en tant que karatéka ?
G.H. : « J’ai été 2e au Championnat du Morbihan, puis sélectionné pour les championnats de Bretagne où j’ai fait 3e. J’ai tiré aussi à deux championnats de France militaires tout comme j’ai participé à beaucoup de stage national et international avec Maître Kaze , Lavorato, Bilicki et bien d’autres. En même temps, j’ai passé des diplômes d’entraineur Brevet d’Etat 1er et 2e degré. Avec la vie militaire, malgré toute ces contraintes, je suis parvenu à faire tout ce je souhaitais faire. Je suis resté 12 ans sans pouvoir me présenter aux examens de grade et je suis maintenant 6e Dan, considéré comme haut gradé de la Fédération Française de Karaté. Mon souhait était de revenir à la Réunion et entraîner des jeunes Réunionnais que je savais, dotés de beaucoup de qualité et de talent »
Quel est votre style de karaté ?
G.H. : « Mon style de karaté c’est le SHOTOKAN. »
M.M. : Parlez-nous de votre parcours ?
G.H. : « En 2004, de retour à la Réunion, j’ai créé mon club et j’ai rencontré Lucie Ignace. Elle avait 11 ans et j’ai toute suite vu lors d’un stage de vacances que c était quelqu’un que je pouvais accompagner et en faire une grande championne. J’en ai parlé à ses parents et ensemble, on a éduqué Lucie pour qu’elle soit là où elle est aujourd’hui. C’est un parcours exceptionnel et un palmarès à en faire pâlir plus d’un et surtout à donner envie. C’est aussi, pour moi une belle aventure humaine. Ma plus grande fierté c’est d’avoir pu garder Lucie à la Réunion malgré les appels du pied de l’équipe de France et de ce fait, en faire un exemple pour la Réunion, démontrant ainsi que même loin des structures nationales on peut y arriver. Puis ce doublé historique deux années consécutives championne de France Kata et Combat et ensuite ce titre de championne d’Europe juniors et enfin le titre de championne du Monde en 2012. Elle était devenue la plus jeune championne du Monde seulement à 19 ans et avec le suivi scolaire mené de front entre entraînement et déplacement pour les compétitions Nationales et internationales.
M.M. : Comment était le rythme ?
G.H. : « Le rythme était bien sûr très soutenu. Les parents et moi, nous avons fait un bloc autour de Lucie pour en faire une grande championne, mais aussi la tête bien pleine, car elle a obtenu son BAC Economique et Sociale et un BTS d’assistante manager …nous faisions en sorte que Lucie ne manquait de rien et qu’elle ne se souciait que de bien s’entraîner, de bien gérer les temps de récupération, bien suivre les cours au collège puis au lycée ».
M.M. : Quels sont les ingrédients pour la réussite ?
G.H. : « Le talent, la motivation, le courage et la détermination, concilier sport et études et suivi individuel de chaque athlète sur le plan scolaire, sportif, financier et suivi médical. L’environnement doit être propice bien sûr.
La conception d’un entraînement de haut niveau s’opère en donnant de la qualité aux gestes techniques ensuite de l’efficacité. Enormément de séance individualisée entre 15 à 20 heures d’entraînement par jour. En amont une préparation physique spécifique ».
M.M. : Vos plus beaux souvenirs ?
G.H. : « Alors là, c’est bien sur le titre de championne du Monde et toutes ces belles années à suivre. Faire grandir quelqu’un dans son art jusqu’au titre suprême et l’amener sur le toit du monde »
M.ML. : Votre hantise ?
G.H. : « C’est l’échec après avoir fait confiance à un athlète de tout lui donner pour sa réussite… Car l’investissement pour fabriquer des champions, c’est un château de sable. Ça met du temps à construire mais fragile. Il faut réellement une grande complicité entre l’athlète et son coach ».
M.M. : Un message à faire passer ?
G.H. « Je voudrais dire qu’au gré des rencontres, je suis allé à la découverte de détails, faisant des erreurs dans mon apprentissage et cherchant à les faire éviter par mes élèves. Il n’y a pas de style ou de méthode Georges Hafizou, mais plutôt une école, une indépendance d’expression et de recherche. Recevoir et transmettre, toujours avancer, former des gens avec le même comportement sur le tatami qu’en dehors. J’ai réussi à former plusieurs jeunes champions et faire entendre le message de l’exigence, celle du travail et du courage, tout en y intégrant mon expérience personnelle. J’attends de mes élèves qu’ils fassent preuve de confiance, tant entre eux qu’à mon égard. »
Recueillis par Anny Andrianaivonirina