
Pour quelqu’un qui dort peu et se trouvant en toute première ligne du combat contre la Covid–19, Hervé Raharimilanto, fringant jeune homme de 29 ans, a toujours le ton vif et l’esprit clair. De jour comme de nuit, il conduit son taxi, assez spécial, à travers la capitale et ses périphéries. « Depuis que j’ai débuté, il y a une semaine, j’ai emmené environ trente personnes contaminées par la Covid–19 vers les centres de soin. Dont trois cas graves », confie-t-il.
Des anecdotes, il ne lui en manque pas même s’il fallait remplir un livre. Il est né à Mananasy, une localité située à environ une heure en moto de Soavinandriana Itasy par une route ensablée faite de blocs de pierres aussi glissante que dangereuse en période de pluies. Hervé Raharimilanto, après être passé par plusieurs écoles de cette région et de la capitale, a fini par se convertir en chauffeur de taxi en 2013 dans la Ville des Mille. Il est aussi devenu père de famille.
Sur les réseaux sociaux, il a annoncé il y a quelques jours qu’il mettait à disposition son taxi et ses compétences de chauffeur pour les évacuations vers les CTC et hôpitaux des cas contaminés. Pour le prix, « je laisse aux gens que je transporte de le déterminer selon leurs possibilités. Je ne fixe rien, s’ils m’en donnent trop, je leur rend le surplus », explique-t-il. Du coup, il n’a plus de temps à lui. Son téléphone sonne dès les premières heures du matin.
Quand il rentre, Hervé Raharimilanto est pourtant seul. Une solitude assumée. « Pour protéger ma femme et mes enfants, j’occupe une chambre à part. Ma lessive, repasser mes vêtements, laver mes assiettes, bref, tout ce qui me concerne, je le fais moi-même. Le soir, ma femme dépose le dîner et elle ne reste pas, je mange seul et je nettoie les assiettes. Mon fils m’a demandé récemment si j’étais malade de la Covid–19 parce que je ne suis presque plus à la maison ».
Un jour, un homme l’a appelé, lui affirmant que sa mère qu’il avait transportée en urgence pour forme grave en 2020 avait été guérie. Cet homme l’a remercié et il a puisé dans cette bonne nouvelle un leitmotiv pour continuer ce qu’il fait. Pour lui, c’est devenu une mission. « Je sais que c’est dangereux, mais quand on m’annonce des choses comme cela, je me sens pousser des ailes. Et je le fais pour l’amour de mes compatriotes, pour ceux et celles de la terre de mes ancêtres. Je ne sais pas, c’est peut-être comme cela aimer son pays ».
Maintenant, il n’hésite pas à porter les malades quand c’est nécessaire. « Je ne devrais pas le faire, mais comment voulez-vous ? », reconnaît-il. Ce qui l’amène à raconter une histoire incroyable. Une femme, dans un quartier de la capitale, était dans un état inquiétant. Hervé Raharimilanto avait reçu un coup de fil lui indiquant une adresse. Il a dû arpenter des ruelles pour pouvoir y accéder. Sur place, des gens l’ont accueilli et lui ont indiqué la route.
Entré dans l’enclos de la propriété, « tout le monde a soudainement disparu », raconte-t-il. La malade avait été laissée en haut d’un escalier intérieur, au pas de sa porte. Il était 23 h 10. Plus tôt vers 16 h, les proches de la malade avaient appelé une ambulance qui a trop tardé. Les ambulanciers leur auraient demandé de sortir la malade et de la laisser à un endroit où il serait facile de la « ramasser ». Ils ne sont jamais arrivés. Hervé Raharimilanto s’est retrouvé en pleine nuit devant une vieille femme, suffoquante et extrêmement affaiblie.
« J’ai doublé mon masque, deux proches de la malade sont venus m’assister. Je l’ai portée dans mes bras jusqu’à mon taxi. Ce jour, je ne suis rentré qu’à 7 h du matin », se souvient–il. Cela l’a marqué à vie.
Ce père de famille originaire de Mananasy a toujours fait preuve d’altruisme et a le sens du collectif dans les gènes. D’après lui, sa femme n’y étais pas habitée au début mais elle s’est adaptée et ils sont allées jusqu’à inculquer à leurs enfants les mêmes valeurs. « Même si je suis invité à un mariage, si les serveurs manquent, je me propose tout de suite pour servir ».
Ayant entendu parler d’Hervé Raharimilanto, des donateurs lui ont procuré des EPI, des masques… bref, tout le matériel nécessaire pour effectuer sa mission dans les meilleures conditions. « Vous savez, si jamais je tombais malade, l’argent que je gagne ne suffirait même pas à me soigner. J’ai tout simplement l’habitude d’aider les gens. Cette pandémie est vraiment autre chose, alors, il faut aussi se dépasser. Il faut que j’apporte le peu que je puisse faire ».
Maminirina Rado