
À cinq ans, dans l’intimité de l’atelier Doré, Nancy Alliotte découvre l’huile, bercée par l’odeur envoûtante de l’essence de térébenthine. Née dans une famille où l’art est une langue universelle « musique, dessin, expositions », elle forge ses premières armes sous l’égide d’une professeure exigeante et bienveillante. « Elle m’a appris les bases classiques avec une pédagogie positive », se souvient-elle. Ce parfum et cette rigueur fondatrice l’accompagnent encore aujourd’hui, sous les cieux vibrants de Madagascar, où elle déploie son talent.
Formée à Met de Penninghen et à l’Esag, puis graphiste chez Carré Noir, Nancy Alliotte a d’abord suivi un chemin structuré à Paris. Mais l’appel de la liberté l’emporte. Lassée par la grisaille urbaine, elle choisit, avec son époux, l’expatriation, portée par une soif d’aventure. « Les voyages ouvrent le regard », confie-t-elle. De Mayotte à la Martinique, en passant par la Réunion, chaque destination sculpte son style impressionniste. Les lumières des Antilles, de l’océan Indien ou de l’Afrique, toutes uniques, nourrissent son pinceau. À Madagascar, où elle est installée depuis un an et demi, l’immensité des paysages l’émerveille : « C’est féerique, d’une diversité exaltante ». Nancy n’abandonne pas le graphisme, qu’elle pratique en freelance, jonglant entre logos et sites web. Mais la peinture et l’enseignement deviennent son moteur. Face à la faiblesse de l’offre artistique dans certains lieux, elle s’engage à transmettre techniques et histoire de l’art, qu’elle considère comme un espace de méditation et d’épanouissement. À Ambatobe, son atelier accueille des élèves de tous horizons, dont elle admire la créativité. « Je veux qu’ils gardent leur patte unique », insiste-t-elle, refusant d’imposer son style.
Ses toiles, vibrantes d’impressionnisme, naissent d’un « coup de foudre » pour une scène, souvent saisie à la « golden hour », cette lumière dorée qui magnifie la douceur ou la rêverie. Chaque technique est choisie avec soin : l’acrylique pour les grands formats dynamiques, l’huile pour les compositions réfléchies, le pastel pour les scènes féeriques, l’aquarelle pour les croquis humoristiques ou l’urban sketching. À son arrivée à Madagascar, les rizières d’Ambatobe l’éblouissent : « Voir des zébus, des pirogues, des pêcheurs en plein Tananarive, c’était un cadeau inattendu ». Ce paysage inspire son premier tableau malgache, un carrefour dans son parcours artistique.
Les zébus, symboles de la culture malgache, deviennent une obsession. « Ils sont partout : dans les champs, sur les plages, sculptés sur les Aloalo, brodés sur les vêtements », s’enthousiasme-t-elle. Pourtant, Nancy refuse de peindre la complexité ou la pauvreté du pays : « Ma peinture doit porter l’espoir ». Son engagement, elle le vit à travers des actions bénévoles auprès des associations comme 2400 sourires ou l’atelier de mosaïque Mandrakizay. Les Malgaches accueillent ses œuvres avec chaleur, touchés par cette célébration de leur « île rouge ». « Ils apprécient l’honnêteté et le travail », note-t-elle. Les échanges avec les artistes locaux, généreux et simples, enrichissent sa pratique. Récemment, elle a exposé avec quatre amis artistes dans un lieu audacieux : un showroom de voitures. Portée par l’aquarelliste Amir Juvara, cette exposition réunit des univers variés, street art, portraits modernes, recherches sur les matières, où Nancy incarne un classicisme assumé.
Son tableau « Coucher de soleil à l’île aux Nattes » capture un instant où la lumière devient l’œuvre, au moment précis où le soleil frôle l’horizon. Fidèle à l’impressionnisme, elle joue avec les teintes et les cadrages, suggérant plus qu’elle ne révèle. « La peinture ne doit pas être une photo », martèle-t-elle. Madagascar, avec ses baobabs, ses routes ocre et ses ravinala, reste une source infinie d’inspiration. Nancy rêve de capturer les couchers de soleil de Morondava ou les paysages du canal des Pangalanes. À travers ses toiles, elle tisse un dialogue entre son regard d’expatriée et la beauté brute de l’île, un carrefour où lumière, mémoire et liberté se rencontrent.
Recueillis par Heriniaina Samson