Ny Nanahary est un monument sacré, le terme est juste, de la musique malgache. Parfois, on a tendance à l’oublier. Une histoire en musique s’impose pour se le rappeler.
Un souci immodéré pour les plus nantis, sous les premiers assauts d’un Hammond joué à la manière « bà gasy », Ny Nanahary est entré à jamais dans la postérité avec « Ny Noelin’ny kamboty ». Une chanson au goût amer, quand bien même la vie dans les années de début de ce groupe était moins « thrash » que cette fin 2019. Dans les années 60, les frères Andrianjanahary, montent dans les charts. Des groupes comme Antananarivo sait en faire. De ceux qui gardent le cœur dans les rizières et la tête au-dessus des lumières artificielles de la ville.
Quoi qu’on en dise, le choc des civilisations et des cultures a commencé dès les monstres sacrés du théâtre Andrianary Ratianarivo, Rasamy Gitara et compagnie. Comme eux, Ny Nanahary a déjà choisi son camp, le camp des petits gens de son pays, des faibles… Bref, des veuves et des orphelins. « Ny Noelin’ny kamboty » se ressent comme une chronique primitive. Une peinture de l’ombre, peu de nuances et, en lumière diffuse, des scènes malheureuses et théâtrales. Le blues « malgache » qui sous-tend la chanson se retrouve relâché dans « Ilay tanàna ».Un morceau résolument soul.
Difficile de ne pas parler de ce côté « southern soul » ou « deep soul » avec Ny Nanahary. Du moins musicalement, une rythmique saccadée, des instrumentations tirées du gospel. Une tension visant à toucher l’âme. Pour les textes, point d’évocation au goût immodéré pour la chair, c’était plus dans les saintes écritures et la foi chrétienne. Par contre, le son est là. On se risque même à dire que ce groupe est un pionnier du genre. Il suffit de se laisser envouter par l’entrée de « Torapasika », pour s’en convaincre.
Force de la verve. En scrutant la vaste bibliothèque discographique de Discomad, le label qui a produit Ny Nanahary, ses premiers disques dataient alors de 1970. Il est presque inimaginable, que la bande de frères chantants a un jour entonné des titres comme « Zary nofy ihany », « Ny fahitako hianao »… Et quelque part, c’est toute la beauté de la nostalgie. Quand on pense que plus tard, vers les années ‘90, la formation a adopté un autre registre, mêlant comique et verve castrant du « hira gasy ». Personne n’a sans doute su aussi bien adapter l’avancée de l’âge au contexte musical de l’époque.
Dans une République faisant du sur place, abrutie par les crochets gauches/droites de la mondialisation, les « Ôrera » et « Tosi-drà » font leur apparition. Dans la continuité de la chanson culte « Misosa mankaiza ». A eux trois, ces titres sont des voyages bluffants dans le social du malgache. Ny Nanahary tire à boulets rouges sur toutes les classes et les situations. Le changement climatique, la corruption de l’administration, les pères indignes, la pollution, la peste, les folies de jeunesse, les vols d’enfants, l’insécurité urbaine…
Réentendre une dissection si détaillée, humble et sans le ton parfois pédant de l’artiste révolutionnaire de 2019, est tout simplement impossible.
Maminirina Rado