La pandémie a laissé des traces indélébiles dans la vie de l’homme du XXIe siècle. Elle a chamboulé l’économie mondiale, secoué les pays riches, et affaibli davantage les pays à faible revenu. La Covid-19 a également désorganisé les cours des choses, elle oblige les conservateurs à transgresser leur tradition, les mœurs. . .
À Madagascar, un pays où la tradition est respectée bien que les citadins basculent vers la soi-disant vie moderne, des cérémonies se font dans chaque famille. La période post-Covid engendre une certaine conscientisation de la part des chefs de famille. « Oui, la pandémie faisait rage dans nos quartiers, dans notre vie, dans le pays, elle arrachait des vies. Nos parents, nos frères, voire nos enfants nous ont quittés, et c’est douloureux. On n’avait plus le temps de nous ressaisir, car chaque semaine, il y avait des annonces à la radio. Donc, notre famille a souffert, il y a eu tant de larmes versées. Ainsi, il faut qu’on demande pardon à Dieu, aux ancêtres également. Et il faut que la famille soit purifiée », explique C. Barthelemy, le pilier d’une grande famille à Antsiranana. Dans la culture malgache, la hausse du taux de mortalité est une punition. S’il y a plus de deux décès dans une famille, d’après un gardien traditionnel, les astres sont carrément en désordre. « Donc, il faut arranger ça ». Des sacrifices s’imposent. Les aînés, les zokiolona, les autorités traditionnelles s’investissent, car ils sont les médiateurs. Le zébu est un animal sacré et emblématique de Madagascar. En principe, un omby lahy mazava loha, littéralement le bœuf ayant un pelage blanc colorant seulement la tête, doit être sacrifié. Des ensembles de rituels s’enchaînent tout au long de la cérémonie.
Samedi matin, les razana sont connectés !
Tout d’abord les membres de la famille se rendent au fief de la famille, ou le tranondrazana avant que le soleil ne se lève. Ensuite, ils mettent le zébu ligoté au sol, sa tête tournée vers l’Est. Ensuite, le patriarche et les aînés s’assoient sur une natte, devant eux s’alignent des bouteilles contenant de l’alcool, du miel, une assiette remplie d’eau, une pièce de monnaie en argent, et trois feuilles de manguier. Derrière le patriarche se tiennent les membres de la famille, tous en tenue traditionnelle. Une fois que les lueurs du soleil brillent, le jôro commence. « Devant Dieu, les ancêtres, nous membres de la grande famille, implorons le pardon, car ces temps-ci la mort vient de partout. Nos vieux et nos jeunes sont partis. Alors, nous baissons la tête devant vous chers ancêtres. Vous qui nous surveillez depuis l’au-delà, vous qui nous guidez, épargnez-nous du mal. Aidez-nous. Nous espérons que tout ira bien après ce jôro », après avoir prononcé cette prière d’invocation, le patriarche trempe les feuilles de manguier dans l’assiette remplie d’eau et procède au tsipi-rano ou fafy rano, c’est de lancer les gouttelettes sur l’assistance pour les purifier. Ensuite, un demi-verre d’alcool est offert à chaque membre de la famille, une sorte de boisson magique, contre les maladies. Enfin, le zébu sera sacrifié par les cadets. Le sang coulera dans la cour du tranondrazana. Le cœur, le foie, la langue, sont réservés au zokiolona, tandis que les présents à la cérémonie se départagent la viande et les tripes. Certes, la pandémie était une affaire mondiale, mais chaque pays, chaque région, chaque zone a sa propre perception de la situation. Les uns cherchent à remettre leur économie sur les rails, alors que d’autres veulent l’équilibre spirituel. « On a besoin de s’accrocher à quelque chose lorsqu’on rencontre une difficulté. Pour nous les malgaches, notre vie est liée à nos ancêtres. Ce sont eux les intermédiaires entre ceux qui sont ici-bas et Dieu », se confie le sociologue Mavila Ndahintsara. . . La pandémie a fissuré tant de choses, les relations et la communication entre les petits-fils et les « dadilahy des cieux ». Ici la maladie n’est pas importée de Chine, c’est un châtiment ! La désacralisation des doany, le déracinement de la société, la négligence de la jeune génération sont, selon les traditionalistes, les principales causes de la maladie. Les historiens ont également leur point de vue. « Ce n’est pas la première fois que Madagascar est victime d’une situation de ce genre. La peste dans les années 20 était également meurtrière. Et les gens de l’époque disaient que ce sont les vazaha qui en étaient la cause, pas parce qu’ils ont créé la maladie, mais parce qu’ils n’ont pas respecté les fady. Ils exploitent les endroits sacrés », raconte H. Rina. Pour qu’une famille ne soit pas décimée, il est préférable d’invoquer les razana, c’est pour bénéficier d´une longue espérance de vie. Le jôro nous empêche de mourir !
Iss Heridiny