
Le Pr Hery Ramiarison, Enseignant de Sciences économiques à l’Université d’Antananarivo, poursuit l’interview (voir les éditions précédentes du journal) de son bilan économique après 55 années d’indépendance et son constat de net recul, du défi de Développement au défi de Survie, par les solutions et la mise à l’écart frustrante des compétences universitaires locales. Il déplore cette situation qui tend à aller de mal en pis si l’on ne réagit pas rapidement.
Midi : Que pensez- vous du Plan National de Développement (PND) comme solution ?
Pr H. Ramiarison : Conscient de la gravité du problème, le gouvernement actuel a élaboré le Plan National de Développement qui devrait permettre une approche systémique et plus concertée dans la mise en œuvre des réformes nécessaires et des stratégies de croissance économique. D’ailleurs, la nouvelle vision de développement du président de la République ne se contente plus d’une simple réduction de la pauvreté, mais va plus loin en cherchant à atteindre la prospérité économique et la fierté nationale. A l’instar des pays émergents de l’Asie, une telle vision du développement invite à donner la priorité aux facteurs sous-jacents du développement (investissement, infrastructure, compétences, technologie, commerce, etc) ; et dont les acteurs clés sont l’Etat fort et le secteur privé dynamique. Malheureusement, ce qui n’est pas vraiment le cas de notre PND. Certes, grande fût la déception en lisant le PND car celui-ci ne préconise pas l’approche systémique des défis de développement, et est loin d’être un outil idéal pour agir sur les facteurs sous-jacents. Il semble que les auteurs ont tout simplement identifié un à un les défis à relever et les besoins de financement relatifs, et se sont contentés par la suite de les budgétiser. Ce qui rend le PND trop ambitieux et irréaliste. Par exemple, le montant global des besoins de financement du PND s’élève à plus de 14 milliards de dollars sur cinq ans, soit un besoin annuel d’investissement de l’ordre de 3 milliards de dollars. Ce qui est bien loin au-delà de la capacité d’absorption de notre économie (une peu moins de 1 milliard de $). Cela implique que, même si nous arrivons à trouver cet argent, nous ne pourrons pas l’utiliser efficacement car nous n’en avons pas la capacité pour le faire. Le risque de gaspillage de ressources est très élevé, et il y aura une forte menace de nouvelle crise de la dette. Et on comprend bien pourquoi les promesses de financement tardent à se concrétiser. Il faut noter que la faible capacité d’absorption de notre économie était à l’origine de l’échec des investissements à outrance du temps de la deuxième République. Et nous savons tous quelles en sont les conséquences : des résultats économiques décevants, pauvreté et misère, et dettes accumulées qu’il a fallu annuler dans les années 2000 dans le cadre de l’IPPTE et l’IRDM. Cette fois-ci, il faut donc faire très attention car il n’y aura plus d’effacement des dettes. Ceci étant, le PND est mal conçu. Ce qui est étonnant car nos techniciens sont plutôt expérimentés et rompus à cette tâche. D’ailleurs, le pays n’est pas à son premier plan de développement.
Midi : D’après- vous, que faut-il faire dans l’immédiat ?
Pr H. Ramiarison: Il est temps de rectifier le tir. Le présent régime ne devrait plus faire la même erreur que ses prédécesseurs. Il devrait à tout prix mettre en place des stratégies efficaces pour briser le cercle vicieux principal en s’attaquant aux causes sous-jacentes du faible investissement afin d’accélérer la croissance économique et de la rendre par la suite inclusive. Il nous faut donc un nouveau choix politique. Etant économiste de développement et spécialiste des économies asiatiques, c’est avec une forte conviction et une grande modestie que j’affirme qu’il n’est pas difficile de le faire, et qu’il ne faut pas attendre des dizaines d’années pour arriver à des résultats concrets. En effet, de nombreux pays moins nantis que nous l’ont réussi dans le passé et beaucoup d’autres sont en train de rejoindre le rang des pays émergents. Et pourquoi pas Madagascar ? Avant tout, il faut reconcevoir notre PND dans le sens que j’ai exposé tout à l’heure. Ensuite, il faut mettre les right men at the right places. Nous avons besoin de ces personnes qui ont de bonnes idées, travailleuses, et qui sont prêtes à faire des sacrifices à court terme pour un futur prometteur. Ceci nous permettra d’atteindre l’efficience dans l’utilisation du peu de ressources à notre disposition tout en envoyant des bons signaux aux investisseurs présents et futurs, à nos partenaires internationaux et à la population qui rétabliront leur confiance au régime. Les expériences des pays développés et des pays émergents nous enseignent que les universités ont joué un rôle clé dans le processus de leur développement. Dans notre pays, le gouvernement ne sait pas comment capitaliser les compétences et les expertises universitaires dans le processus de développement. Les dirigeants ont l’habitude de considérer les universitaires et les étudiants comme des adversaires, et non pas comme des collaborateurs. Etonnamment, ce sont les pays étrangers qui tirent profit de nos chercheurs et de nos expertises universitaires alors que c’est l’Etat malagasy et le peuple qui y ont investi. Et ça fait vraiment mal au cœur! Si les étrangers et les institutions internationales de renom ont travaillé et continuent encore de le faire avec les chercheurs malagasy dans des domaines divers, c’est qu’ils font confiance à nos compétences et notre savoir-faire. Et c’est vraiment dommage que les régimes successifs ont laissé passer cette opportunité. Il est temps de changer d’attitude vis-à-vis des universitaires qui n’ont cessé d’exprimer leur volonté de collaborer avec le gouvernement pour développer notre pays.
Recueillis par Z.R