
Interrogé si le Quai d’Orsay a reçu le fils de Marc Ravalomanana, l’ambassadeur de France à Madagascar François Goldblatt de répondre : « Il se peut que le Quai d’Orsay ne me raconte pas tout. Mais, je ne suis nullement au courant. Et personne dans l’ambassade n’est au courant d’une démarche d’un fils de M.Ravalomanana. Vu les circonstances globales du retour de l’ancien président, j’ai un tout petit peu du mal à croire que le scénario rocambolesque que nous avons connu le 13 octobre 2013 ait été validé par qui que ce soit, en tout cas à Paris. Si tout cela a été validé, pourquoi rentrer dans de telles conditions complexes et problématiques ? Je vous invite à méditer comme au cinéma sur la plausibilité du scénario. A vos lecteurs de juger s’ils considèrent plausible que nous ayons été prévenus d’un scénario par lequel un ancien président, jusque-là en exil en Afrique du Sud, rentrerait, la nuit tombée, dans un aéroport inconnu et sur un aéronef non déclaré. Je ne vois pas très bien le sens de ce scénario. »
Réconciliation.Sur la réconciliation nationale,l’Ambassadeur de France François Goldblatt s’exprime : « Madagascar a connu une histoire politique compliquée et douloureuse. Il y a eu effectivement des victimes. Mais, il n’y a pas eu des déchirements au sein de la société au sens que d’autres sociétés ont connu, des déchirements par la violence extrême, la guerre civile prolongée ou des conflits ethniques meurtriers. Il n’y a pas eu, fort heureusement, de drame épouvantable interrégional, ni des conflits religieux meurtriers (…). Madagascar n’a pas connu la situation de la Centrafrique, la situation du Rwanda, la situation de la RDC. Il n’a pas non plus connu des schémas de type sud-africain. Donc, le mot réconciliation laisse perplexe un observateur on va dire occidental. La vérité nous oblige à dire que vu d’Europe, nous ne comprenons pas bien l’utilité de cette réconciliation, nous ne comprenons pas bien ses vertus. En même temps, s’il y a besoin qui est ressenti par l’opinion malgache d’une telle réconciliation, ce n’est pas à nous étrangers de dire que ce n’est pas important, que ce n’est pas utile. Maintenant, si les Malgaches, pour des raisons historiques, sociétales et culturelles, ressentent eux le besoin de ce processus, que ce processus ait lieu. Nous n’avons plus en 2015 les préventions que nous avions en 2013. En 2013, nous étions très hostiles face à un processus de réconciliation qui prétendait se substituer au processus électoral. Vous vous souvenez de l’historique du premier semestre 2013, lorsque certains chefs d’église prétendaient organiser leur recette interne au lieu et place du processus électoral. A cela, à l’époque, nous avons dit non. Aujourd’hui, la situation est différente. Un pouvoir constitutionnel et légitime a émergé des élections (…). »
A la question sur une lenteur des aides de la communauté internationale, l’Ambassadeur de France répond :
« Je crois qu’il y a une erreur d’optique dans cette appréciation. La communauté internationale, au premier rang la France, l’Union européenne, la Banque mondiale, la Bad, le Fmi, pour ne citer que ses principaux bailleurs de fonds, il y en a d’autres bien sûr, ont décaissé ces dernières semaines plus de cent millions d’euros (…). C’est une somme considérable en aide budgétaire décaissée dans les faits et la direction générale du Trésor pourra, si vous le souhaitez, confirmer tout cela. Ils sont à la disposition de l’Etat malgache. Or, c’est le principe même de l’aide budgétaire que de servir à répondre à un certain nombre de priorités pendant une urgence effectivement désastreuse. Si,parmi ces urgences et ces priorités, figurent les conséquences de la situation météorologique effectivement désastreuse que nous connaissons depuis maintenant deux mois et demi, cela fait partie de ressources dans lesquelles l’Etat peut puiser.
Encore faut-il qu’il n’y ait pas au même moment un épouvantable tonneau des Danaïdes qui fait que, au moment même où l’aide est versée, cette aide s’évapore dans des tuyauteries improbables, qui font que nos efforts collectifs sont réduits à néant par des dysfonctionnements que tout le monde connaît, que tout le monde peut chiffrer et au premier rang desquels, il faut citer, et ce n’est pas le seul, la Jirama.
(…) Je ne crois pas que je sois dur sur la Jirama, c’est la Jirama qui est dure avec nous, avec les Malgaches, avec Madagascar. L’estimation de l’évaporation, pour rester aimable, qui a lieu chaque année à la Jirama au rythme actuel, c’est 140 millions d’euros. C’est un peu plus du double de ce que l’Union européenne a décaissé fin décembre, et même si vous regardez ce que le FMI envisage de faire pour Madagascar, (…) c’est à peu près 250 millions d’euros. Et quand vous songez que le puits sans fond de la Jirama absorbe à lui tout seul 140 millions d’euros, qu’est-ce que vous en déduisez ? Est-ce que vous en déduisez que c’est l’aide internationale qui est insuffisante, ou est-ce que vous en déduisez plutôt que les Danaïdes font la fête toute l’année ? A vous de décider, moi je sais ce que je dois penser de cette situation (…).
Dans l’affaire de la Jirama, on sait très bien où cela se passe, comment ça se passe et avec qui. Donc c’est une question de volonté et je lance vraiment un appel pour que les autorités, au meilleur niveau, se saisissent de ce problème, parce que ce scandale est de nature et d’une ampleur telles que, je vous l’assure, il y a un risque non négligeable que les bailleurs de fonds soient découragés d’agir. »
Sur le PND (Plan National de Développement) et le PUP (Programme d’Urgence Présidentiel)« Ce sont des documents intéressants (…) Personne n’est contre une ambition globale d’un pays. », estime-t-il. Avant d’indiquer : « Les deux documents sont des documents, en soi, de bonne qualité, intéressants à lire, à parcourir, qui font un bon diagnostic de la situation. Mais au fond, quand on a terminé de les lire, on n’est pas infiniment plus avancé ». Et enfin : « Donc j’ai envie de dire que la lecture des deux documents déclenche une réaction, me semble-t-il, consensuelle, mais où cela nous mène-t-il exactement ? C’est ce qu’on peine à voir, et je crois que d’une certaine façon, les bailleurs de fonds, ou en tout cas certains, ont une coresponsabilité, parce qu’ils ont appelé de leurs vœux ces documents stratégiques. Toujours est-il que, ce que j’aurais aimé pouvoir lire, déchiffrer, analyser de la part du gouvernement, cela aurait été des documents beaucoup plus simples, en forme de fiches de quelques pages ou consistant en de simples rectos-versos avec, sur 15 lignes, la description des principaux problèmes et, sur 25 lignes, les mesures à prendre dans chaque secteur : 10 mesures sur l’élevage, 10 mesures sur le tourisme, 10 mesures sur la fiscalité…etc. et là, je saurais, si c’était le cas, où le gouvernement veut en venir.
Premier ministre. A son sujet, l’Ambassadeur indique :« L’arrivée du nouveau premier ministre, jusqu’au limogeage du Directeur Général du Trésor,marque une authentique volonté de relancer la politique de réforme avec un sentiment d’urgence (…). Nous avons seulement un mois et quelque, un mois et demi maintenant, depuis la nomination du Premier ministre. Donc, je l’admets, c’est encore un peu tôt pour être tout à fait sûr de la façon dont les choses vont se dérouler. Mais, j’observe que s’il y a eu des occurrences problématiques, s’il y a eu des moments où le navire a failli à nouveau tomber, voire chavirer jusqu’au limogeage du Directeur Général du Trésor, le navire s’est néanmoins redressé depuis l’arrivée du nouveau Premier ministre. Prenons l’exemple de l’alerte salutaire lancé par le Trésor Public. Elle a fonctionné, en tout cas la semaine dernière. La chose a été mise sur la place publique. La tentative de rapt qui était envisagée n’a pas eu lieu, en tout cas pas encore. Si certains s’opposent à la politique voulue, avec évidemment l’assentiment du président de la République, par le Premier ministre et le gouvernement, on verra bien.Pour l’instant, j’observe que le Premier ministre avance, avance résolument, en tout cas jusqu’au limogeage du Directeur Général du Trésor(…) Chaque fois que le Premier ministre a annoncé qu’il allait prendre une mesure, jusque-là, il l’a effectivement mise en œuvre. Lorsque le Premier ministre dit qu’il va convoquer tout à tour les responsables des grands Corps de l’Etat (…), il le fait, il leur tient à chaque fois le même discours de rigueur et de mise en garde. »
Recueillis par R. Eugène