
Le 30 juin 2025, à Paris, sauf changement, les représentants de la France et de Madagascar entreront dans une salle de négociation avec des visions opposées, mais un objectif commun : éviter que la question des îles Éparses ne se transforme en une fracture diplomatique durable. Le défi sera de trouver un compromis acceptable sans renier les principes fondamentaux des deux parties. Le défi sera aussi de réinventer une coopération équilibrée et respectueuse de leur histoire commune.
La deuxième réunion de la commission mixte franco-malgache sur les îles Éparses, après celle tenue à Antananarivo en novembre 2019, s’annonce une fois encore comme étant un moment charnière dans les relations diplomatiques entre la France et Madagascar. Ce rendez-vous, prévu à Paris le 30 juin prochain, relance officiellement un dialogue suspendu depuis cinq ans, dans un climat marqué par la résurgence des tensions autour de la souveraineté de cet archipel situé au cœur de l’océan Indien occidental.
Les îles Éparses
Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India – sont administrées par la France dans le cadre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Pourtant, dès 1979, Madagascar a contesté la légitimité de cette administration. Pour Madagascar, les îles Éparses ne sont pas des territoires marginaux d’outre-mer, mais des territoires historiquement rattachés à l’île principale, et détachés unilatéralement par la France par décret du 1er avril 1960. Cette revendication ne relève donc pas d’un nouvel élan postcolonial, mais d’un contentieux ancien, profondément ancré dans l’histoire de la décolonisation de la Grande Île.
Dans un contexte où la France a récemment exprimé, par la voix d’Emmanuel Macron, son ouverture à une cogestion environnementale des îles Éparses avec Madagascar, la partie malgache reste ferme sur sa position : la restitution complète et exclusive de la souveraineté sur ces territoires. Cette divergence fondamentale dans la lecture du contentieux – diplomatique pour la France, identitaire et historique pour Madagascar – continue d’alimenter le débat et conditionnera l’issue de la rencontre prévue fin juin à Paris.
Pour peser dans les discussions, Madagascar prévoit d’envoyer une délégation étoffée, comprenant des diplomates, des juristes spécialisés en droit international, ainsi que des experts en environnement. Des techniciens des ministères de la Pêche, de l’Économie bleue, des Forces armées et de l’Environnement feront également partie de la délégation. Cette délégation pourrait être conduite soit par le Premier ministre Christian Ntsay, soit par la ministre des Affaires étrangères elle-même.
Cette composition reflète la volonté de Madagascar de renforcer ses revendications, en s’appuyant non seulement sur des arguments historiques et juridiques, mais aussi sur des considérations stratégiques, écologiques et économiques.
Les enjeux dépassent largement la seule souveraineté symbolique. Les îles Éparses permettent à la France de revendiquer une vaste zone économique exclusive (ZEE) de plus de 640 000 km² dans le canal du Mozambique. Ce dernier est non seulement une voie de navigation stratégique, mais également une zone potentiellement riche en ressources halieutiques, en hydrocarbures et en biodiversité marine.
Du côté malgache, la restitution de ces îles représente une double opportunité : d’une part, renforcer son autonomie économique grâce à l’exploitation durable des ressources marines ; d’autre part, consolider sa place dans le concert des nations à travers une victoire diplomatique sur une question de souveraineté postcoloniale encore irrésolue.
Mais l’aspect géopolitique est tout aussi central. L’océan Indien est devenu une zone d’intérêt pour plusieurs puissances régionales et mondiales, notamment la Chine, l’Inde et les États-Unis. Dans ce contexte, la France affirme son rôle de puissance présente sur tous les océans, et le maintien de ses territoires d’outre-mer, même minuscules, lui assure une voix au chapitre sur les questions de gouvernance maritime mondiale.
Pour le président malgache Andry Rajoelina, la réunion du 30 juin constitue une étape importante. Il a exprimé publiquement sa volonté de trouver une « issue durable » à ce contentieux, tout en réaffirmant que les îles Éparses font partie intégrante du territoire national malgache. Il a également annoncé son intention de se rendre sur place, un geste symbolique fort destiné à réaffirmer la souveraineté malgache sur ces îles.
De son côté, la France semble déterminée à ne pas céder sa souveraineté, mais reste ouverte à des solutions de coopération renforcée, notamment sur le plan environnemental. Le risque est réel de voir les deux pays camper sur des positions irréconciliables, rendant difficile toute avancée concrète.
La communauté internationale observe avec attention cette réunion bilatérale, qui pourrait soit relancer un processus diplomatique long mais structurant, soit aboutir à une impasse, consolidant le statu quo actuel. L’enjeu est aussi de préserver une stabilité régionale dans une zone où les intérêts stratégiques, économiques et environnementaux sont de plus en plus imbriqués.

Revendication malgache inspiré du droit international mais souveraineté contestée par la France
La question des îles Éparses, petit archipel composé d’îlots stratégiquement dispersés autour de Madagascar, constitue depuis plusieurs décennies un différend diplomatique entre la République malgache et la France. Aujourd’hui administrées par Paris dans le cadre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), ces îles font l’objet d’une revendication persistante de la part de Madagascar, qui invoque des fondements juridiques reposant essentiellement sur le droit international de la décolonisation.
Le contexte de cette revendication remonte à l’accession de Madagascar à l’indépendance, le 26 juin 1960. Quelques mois avant cette date, la France prend l’initiative, par un décret du 1er avril 1960, de détacher unilatéralement les Îles Éparses de l’administration malgache. Ces territoires sont alors placés sous l’autorité du ministre chargé des départements et territoires d’outre-mer, dans une manœuvre administrative qui n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les autorités malgaches. Ce détachement est perçu à Antananarivo comme une atteinte à l’intégrité territoriale du futur État malgache, en contradiction avec les principes de décolonisation affirmés par la communauté internationale.
Face à cette situation, Madagascar saisit l’Assemblée générale des Nations Unies. Le 12 novembre 1979, la question des îles Éparses est inscrite à l’ordre du jour de la 34ᵉ session de l’AGNU. Le 12 décembre de la même année, l’Assemblée adopte la résolution 34/91, qui constitue un texte fondamental dans l’argumentaire juridique malgache. Cette résolution rappelle d’abord la résolution 1514 (XV) de 1960, qui consacre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle réaffirme également la nécessité de respecter scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux au moment de leur accession à l’indépendance. Enfin, elle invite explicitement la France à entamer sans plus tarder des négociations avec Madagascar en vue de la réintégration des îles séparées arbitrairement.
Cette position est confirmée un an plus tard, par la résolution 35/123 adoptée le 11 décembre 1980. Ces deux résolutions représentent un soutien diplomatique clair à la revendication malgache. Toutefois, leur portée juridique reste limitée. En effet, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies n’ont pas de valeur contraignante. Elles ne s’imposent pas aux États membres et ne peuvent pas obliger la France à engager des négociations ou à procéder à une restitution.
Au-delà du principe de décolonisation, l’enjeu des îles Éparses est aussi d’ordre stratégique et économique. Ces îles, bien que minuscules en surface terrestre, permettent de revendiquer une immense zone économique exclusive maritime de plus de 640 000 km², en vertu des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Cette zone regorge de ressources halieutiques, d’hydrocarbures potentiels et de richesses écologiques, ce qui confère à l’État qui en exerce la juridiction une puissance maritime considérable dans l’océan Indien. Pour Madagascar, la récupération des Îles Éparses ne serait donc pas seulement un acte de souveraineté, mais aussi une opportunité de développement économique et environnemental.
La revendication malgache s’inscrit également dans une dimension symbolique et identitaire. Dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies en 1979, Madagascar qualifie le détachement des îles d’injustice historique. Leur restitution est perçue comme une condition pour rétablir une fierté nationale mise à mal par une décision coloniale unilatérale. Elle constitue, dans l’imaginaire politique malgache, un geste de réparation morale et un élément de reconstruction de l’unité nationale.
La démarche malgache repose sur un socle juridique articulé autour du droit international de la décolonisation, des résolutions onusiennes et du principe de l’intégrité territoriale. Néanmoins, en l’absence de caractère contraignant de ces résolutions, le règlement du différend dépend essentiellement d’une volonté politique des deux États. Le différend demeure aujourd’hui gelé, mais il reste chargé d’une forte portée symbolique et continue d’alimenter la mémoire post-coloniale malgache.
La France crée une réserve naturelle nationale dans l’archipel des Glorieuses
Le gouvernement français a officiellement classé, en 2021, l’archipel des Glorieuses, situé dans le sud-ouest de l’océan Indien, en réserve naturelle nationale française. Cette décision marque une nouvelle étape dans la stratégie française de protection de la biodiversité, en particulier dans les îles Éparses, et répond à un engagement pris par Emmanuel Macron dès 2019.
Ce classement, salué par cinq membres du gouvernement de l’époque, notamment Jean-Yves Le Drian, Barbara Pompili, Sébastien Lecornu, Annick Girardin et Bérangère Abba, vise à préserver un écosystème aussi riche que fragile. L’archipel, rattaché aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), abrite plus de 3 000 espèces terrestres et marines, dont plusieurs figurent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Le nouveau statut de réserve naturelle permettra de protéger durablement les récifs coralliens, les zones de reproduction de tortues vertes et d’oiseaux marins, ainsi que des espèces menacées telles que certaines raies, requins ou encore mammifères marins. Ce classement s’inscrit dans la stratégie nationale française des aires protégées 2020-2030, qui ambitionne de placer 30 % du territoire terrestre et maritime français sous protection, dont un tiers avec un statut de protection forte.
Le gouvernement français insiste sur la valeur stratégique des Glorieuses et des autres îles Éparses pour la biodiversité régionale, soulignant que leur préservation nécessite une approche coopérative. Paris appelle ainsi à renforcer la collaboration avec les pays voisins, notamment Madagascar, dans un esprit de solidarité écologique et régionale. La France dit vouloir bâtir un agenda commun à travers des instruments multilatéraux, tels que la Convention de Nairobi ou la Coalition pour la Nature et les Peuples, qu’elle préside actuellement.
Pour Emmanuel Macron, ce choix environnemental est aussi une décision politique de long terme. Lors de sa visite dans les îles Éparses en 2019, il déclarait : « Quand on fait disparaître des capacités à vivre, on génère des flux migratoires ». Il avait alors affirmé sa volonté de faire de la biodiversité un pilier de son quinquennat, qualifiant l’écologie de « combat du siècle ».
Avec cette nouvelle réserve, les Glorieuses rejoignent les 169 autres réserves naturelles nationales françaises. Le classement de cet archipel confirme l’engagement de la France dans la préservation des espaces marins les plus vulnérables, tout en posant les jalons d’un dialogue régional autour de la gestion durable de l’océan Indien.
Dossier réalisé par Rija R.