Trois jours après son limogeage, l’ex-vice PCA d’Air Madagascar n’a pas perdu ses …ailes. Interview.
Midi : Le ministre des Transports a abrogé votre nomination en tant que représentant du ministère des Transports au sein du CA d’Air Madagascar, mais vous avez refusé, vrai ou faux ?
Rinah Rakotomanga : « Premièrement, par principe et légalement, un ministre a le droit de changer le représentant de son ministère au sein d’un quelconque Conseil d’administration. C’est tout à fait normal mais cela doit se faire en toute légalité et dans les normes. Dans le contexte actuel de la compagnie Air Madagascar, le ministre aurait dû faire une lettre auprès de son homologue de l’Economie et des Finances pour demander un remplacement avec des noms précis pour ses nouveaux représentants car on ne peut pas laisser des sièges vides dans un tel organe, surtout du fait que ses représentants sont respectivement élus, comme PCA et Vice PCA au sein d’un CA composé de 07 membres. Et que ses nouveaux représentants soient cooptés par les membres du CA et approuvés en Assemblée Générale Ordinaire. C’est juste la forme que je ne peux pas accepter car une République ne se décrète pas sur une saute d’humeur et surtout pas sur la terrasse d’une entreprise par une seule personne et son staff. Cela ressemble à un coup d’Etat dans un contexte politique si on le transpose. Il y a mille manières plus élégantes et dignes de faire les choses. Deuxièmement, je suis prête à partir mais la rationalité d’une telle décision est à revoir car la société nationale de Transports aériens malagasy ayant son nom commercial Air Madagascar est en redressement judiciaire. Autrement dit, toute décision relative à la vie de cette entreprise doit être faite d’un commun accord avec le Tribunal du commerce notamment le Juge Commissaire et les syndics qui sont désignés par le Tribunal par jugement commercial, au nom du peuple malgache pour assurer la gestion de cette entreprise ».
Midi : Mais le ministre a évoqué, lors de sa rencontre avec le personnel d’Air Madagascar, qu’il allait nommer un DG. Il a déjà eu l’aval de toutes les parties prenantes.
R.R : « Ecoutez, il est ministre, mais la loi est claire et limpide. Dans une entreprise commerciale (une SA) avec un Conseil d’Administration, c’est le CA qui nomme le Directeur Général et donne à ce dernier toutes les directives mais non au ministre de tutelle technique qui n’a que 02 représentants sur les 07 membres du CA. Il faut aussi respecter les autres entités ayant des représentants et aussi le statut de l’entreprise. Bien entendu il fut un temps où les choses se faisaient de cette manière, mais cette pratique est révolue. C’est d’ailleurs cela qui a entraîné la faillite de plusieurs sociétés d’État, donc il y avait des réformes sur le droit des affaires, sur les entreprises à participation de l’Etat et sur les sociétés commerciales depuis en l’occurrence la loi 2003-036 du 30 janvier 2004 ».
Midi : Quel est donc le sort d’Air Madagascar à ce jour ?
R.R : « Air Madagascar et sa filiale Tsaradia sont en redressement judiciaire. Le CA et la Direction Générale sont mis en veille et les CA des deux compagnies restent des organes consultatifs qui collaborent avec les Juges commissaires et les syndics. Le redressement judiciaire est une manière de conserver l’entreprise et les emplois avec des garanties solides d’assainissement car il y a une lacune en matière de gestion de l’entreprise en question, donc le Tribunal a pris en main la situation après la déclaration de cessation de paiement déposée par les organes de décisions. Cette décision a été prise en Conseil des ministres après avoir constaté la difficulté manifeste des deux entreprises à faire face à leurs passifs qui avoisinent les 126 millions d’euro avec la dette d’Air France, et cette situation existe depuis trois années successives. La loi est sans équivoque là-dessus, aussi c’est logique, légale et légitime afin de sauvegarder ce qui est possible pour notre fleuron national. Par ordonnance du Tribunal au mois de mai, la direction générale n’est plus nécessaire car les syndics assurent ce rôle puisque les activités des deux compagnies sont réduites à des gestions de certains contrats et de perception de redevance locative pour payer les créances après la mise en location gérance. Ce serait un doublon sauf pour un dirigeant responsable (une obligation du secteur de par sa spécificité) qui devrait être prise en charge par la nouvelle structure locataire gérant.
Midi : Donc vos exploitations sont sous Madagascar Airlines ?
R.R : « Oui tout à fait, depuis le 01 avril 2022 les exploitations aériennes des deux compagnies sont sous la responsabilité de Madagascar Airlines et les 820 personnels employés retenus sont sous contrat de mise à disposition de Madagascar Airlines. Ce dernier est une Société Anonyme avec des actionnaires, non directement l’Etat, mais qui collabore avec l’Etat et ce, en vertu des décisions du Tribunal et du Conseil des ministres qui a approuvé depuis le 13 octobre 2021 le plan de redressement. Et en matière de personnel, il reste chez Air Madagascar et Tsaradia les quelques 200 employés qui sont en attente de leur licenciement collectif pour motif économique et ceux qui sont partis en départ volontaire assisté et les nouveaux retraités. Cela est nécessaire pour redéfinir la politique de l’entreprise et réduire le nombre du personnel qui était en surnombre par rapport à sa situation. Pour faire une omelette, il faut casser des œufs bien que des omelettes en poudre existent. Quand on doit faire une ablation ou une amputation d’une partie malade d’un corps, il faut y procéder pour survivre ».
Midi : Mais de quelle manière peut-on revenir sur Air Madagascar ?
R.R : « Entendons-nous bien, Air Madagascar existe encore mais son activité principale est mise sous location gérance par décision du Tribunal car il y avait des mauvaises gestions. Pour qu’elle puisse reprendre cela, il faut donc une nouvelle décision du Conseil des ministres, une nouvelle décision du Tribunal qui annulent toutes les actions prises depuis et surtout il faut payer tous les créanciers de cette compagnie qui ont déjà menacé de faire « grounding » de nos avions et des mises en redressement judiciaire voire liquidation judiciaire de cette compagnie, auparavant. Il faut savoir que chaque créancier a le droit de faire cela sauf si l’entreprise est en redressement judiciaire et donc sous la protection du Tribunal.
Midi : Mais comment comptez vous travailler avec le ministère de tutelle technique de votre secteur d’activité ?
R.R : « Nous restons confiants en la sagesse du ministre et de son staff et surtout nous misons sur l’appui du président de la République qui a quand même avalisé et donné des instructions claires pour faire redécoller et renaître à nouveau cette entreprise. Nous avions auparavant cinq réunions avec lui-même pour mettre en place la rigueur de gestion, la politique commerciale et surtout la fiabilité et régularité des actions et des vols de la compagnie nationale. Bien que Madagascar Airlines soit une entreprise à gestion privée et aucune intervention directe du ministère, Madagascar Airlines reste une compagnie nationale car elle est locataire des actifs d’Air Madagascar. Nous croyons en leur bonne volonté de faire réussir le redécollage de la dernière chance et non se faire une annexe B comme en 2011 qui nous laisse encore des séquelles avec des arriérés énormes à ce jour, 11 ans après presque mois pour mois ».
Midi : Vous parlez de bonne gestion mais vous en tant que Vice PCA, il semble que vous ayez accordé des passe-droits sur des colis et des billets ?
R.R : « Vous savez depuis ma nomination en août 2019 au sein du Conseil d’Administration de cette compagnie, je ne bénéficie que de 1.500€ en tout et pour tout et nous avons pris la décision au sein du conseil de ne pas percevoir nos indemnités, compte tenu des difficultés de l’entreprise. Et comme disait le président de la République lors de l’inauguration de la société Mabel du groupe Inviso : « Un bon père de famille doit trouver les moyens pour nourrir sa famille, un bon président doit trouver les moyens de nourrir sa population » et moi, je dirai : les bons dirigeants doivent trouver les moyens légaux pour payer les salaires de ses employés et faire la part des choses ! ». Alors oui nous avons emprunté en 2020 auprès de la BOA, 5 millions USD pour faire face à la réparation de l’avion A340 et au paiement des salaires de tout le personnel tant bien que mal durant la période Covid phase 1 et nous avons instauré la vente des bagages à la dernière minutes pour 150€ dans la limite des charges offertes pour un vol durant la phase d’ouverture en 2021 afin de ne pas perdre des chiffres d’affaires à cause de la politique restrictive sanitaire instaurée pour sauvegarder la sécurité sanitaire du pays. Alors si pour cela qu’on me crucifie, j’en prends l’entière responsabilité et si c’est à refaire pour sauver l’emploi, pour venir en aide à nos collaborateurs au sein de la compagnie, je le referai sans hésitation et je continuerai de le faire au sein de Madagascar Airlines. Nous avons pris un engagement auprès du Président de la République pour l’aider à redorer l’image de la compagnie et rebâtir une compagnie nationale fiable, régulière, rentable avec une excellence opérationnelle et qui sera la fierté de tout un pays. Je suis une femme de parole et je reste déterminée à finir ma mission comme il se doit. Nous avons pris un engagement auprès des salariés pour payer leur dû. Vous pouvez enquêter auprès des salariés depuis janvier 2022, ils sont tous payés à 100% et nous avons pris l’engagement de renouveler la flotte et réviser la politique de la compagnie et s’ouvrir vers d’autres cieux et horizons, nous allons le faire et rien ne nous empêchera d’y parvenir surtout avec l’aide de l’Etat et de tous les acteurs du secteur ».
Propos recueillis par R.O
Elle est plus déterminé que jamais à poursuivre ses engagement. J’aime ça. Courage Madame Rinah R. Force à vous.