Facilement absorbée, la civilisation européenne entraîne une nouvelle vision. À mi-chemin entre la culture occidentale et la tradition, les Malgaches dessinent leur « avenir ». Ils laissent forcément derrière eux « la sagesse ancestrale » et basculent vers des activités lucratives. Imbibés du capitalisme sauvage, « vite vendre » est le slogan.
Ces temps-ci, des vidéos de jeunes femmes dévêtues sont diffusées sur les réseaux sociaux. Face à ce phénomène, les avis divergent. Si certaines pensent qu’il s’agit du domaine privé, d’autres constatent que la tradition et la culture malgache sont bafouées. D’après les raiamandreny ara-drazana ou les gardiens de la coutume, les Malgaches sont pudiques. Des proverbes et des adages prouvent cette pudeur. « Si je donnais des exemples, on ne sortirait pas de cette maison jusqu’à demain. Les Malgaches ont de la pudeur. Autrefois, les jeunes filles s’habillaient correctement dans les villages où habitent leurs familles. Et quand on parle de la famille, ce n’est pas nucléaire, c’est la grande famille, les cousins, les oncles. Et il est tabou de porter des vêtements indécents. C’est tout le village qui sanctionne la jeune fille », a fait savoir Kafo Be, un gardien traditionnel.
Quant aux historiens, ils certifient que ce phénomène existe depuis les années 1980. Certes, il n’y avait pas de réseaux sociaux à l’époque, mais ces aînées s’envoyaient des photos. Les couples pratiquaient cette méthode pour ne pas s’oublier. Les mariés s’envoyaient également des clichés pour voir l’évolution, ou le changement progressif du corps de leur conjoint. « Cela est tout à fait normal qu’un couple s’envoie des photos. Mais cette pratique devient tabou si la femme, qui n’est pas mariée, s’adonne à ce genre de chose ». Les années 1980-1990 étaient dures pour les Malgaches. La crise économique et la dictature ont marqué cette période qui était la Deuxième République dans la Grande île. Les jeunes au chômage cherchent un moyen pour quitter le pays. Les femmes, victimes de maltraitance, cherchent un autre moyen pour avoir un bon mari comme dans les films romantiques. La seule solution est de se marier avec un « vazaha ». Alors, elles se donnent à fond pour rencontrer l’homme de leur vie. À l’époque, les coordonnées des étrangers cherchant une femme de couleur étaient notées à la dernière page des magazines souvent envoyés en Afrique et à Madagascar. En espérant avoir une vie meilleure avec un « vazaha », les jeunes filles prenaient ces coordonnées et envoyaient des lettres et des photos à l’adresse indiquée. Actuellement, avec l’avancée de la technologie, tout est devenu rapide, le monde est devenu un village planétaire. Mais l’évolution ne remplit pas l’assiette des habitants de Madagascar qui deviennent de plus en plus pauvres. D’autant que la pandémie a frappé de plein fouet l’économie. Alors, les jeunes filles nubiles voient leurs parents se pencher sur un travail qui ne peut pas subvenir aux besoins. Elles prennent leur destin en main et se lancent dans une « carrière » qui va à l’encontre de la tradition, se déshabiller devant leur smartphone pour avoir de l’argent. Une question se pose, est-ce une tendance ou une contrainte? « Malheureusement c’est une contrainte, une dégradation de la valeur humaine. Le corps des jeunes femmes est devenu une chose presque sans valeur du point de vue moral. Une contrainte car malheureusement des personnes abusent de leur position pour exploiter ou encourager l’exploitation des plus faibles en les poussant à exhiber leur corps pour une certaine somme d’argent. C’est une autre forme de prostitution. Les réseaux sociaux sont une tendance, qui fait malheureusement des victimes parfois inconscientes de la mauvaise pratique de cette nouvelle technologie et parfois par nécessité, quitte à heurter le moral et la tradition », a avancé Dajbir Ousseni, l’écrivain malgacho-mahorais. En réalité, la Grande île est le pays le plus pauvre dans la région du Sud-Ouest de l’océan Indien. En effet, à part l’Europe, les îles voisines, notamment La Réunion, Maurice, Seychelles, Mayotte, sont également des Eldorado. Madagascar figure parmi les pays où le taux de prostitution est le plus élevé dans la région..
Depuis la crise de la Covid-19 et la fermeture des aéroports, les admirateurs des jeunes filles malgaches, dans l’impossibilité de prendre l’avion pour rendre visite à leur « conjointe » s’en prennent aux caméras. Les célibataires repèrent tout d’abord les profils des hommes sur les réseaux sociaux et leur envoient des demandes d’ami. Ensuite, elles ne perdent pas de temps. Les hommes jouent le jeu jusqu’au bout. Ayant pitié, ils leur donnent un peu d’argent ; d’autres ne paient pas mais elles tombent parfois sur des personnes âgées de 60 ans ou plus qui sont très généreux. « Les femmes malgaches sont très habiles. Leurs cibles sont souvent des vieux réunionnais. Ces derniers envoient régulièrement des sous à Madagascar. Ce sont des jeunes femmes entre 16 ans et 35 ans qui font ce « télétravail ». Oui, on appelle ça du télétravail car elles effectuent le plus vieux métier du monde à travers leur smartphone, et le patron regarde leur savoir-faire de l’autre côté du pays », a raconté une femme malgache résident à la Réunion.
Ce phénomène ne laisse pas indifférent les sociologues comme Éric Tefindrazana. « Madagascar évolue d’une manière négative. Auparavant, les « K-7 » des films pour adultes étaient bien cachées au fond fin du tiroir pour qu’elles ne soient pas à la portée des enfants. Actuellement, on décrit des choses obscènes ouvertement. Sans vouloir choquer, la pornographie est vulgarisée et les réseaux sociaux deviennent un moyen, un instrument. Ce fléau gangrène la société. Le taux de viol augmente ». Le sociologue a également souligné que les hommes malgaches s’y mettent. « Nous rejetons souvent la faute sur la femme, mais n’oublions pas que les hommes malgaches s’y mettent également. C’est devenu un métier. Désormais, ça ne choque plus personne ». D’autre part, cette manière de s’exposer est devenue une tendance. Les jeunes veulent exhiber leur corps. La concurrence s’installe. Il faut être ouvert d’esprit pour comprendre.
Iss Heridiny