« C’est tout un village qui élève un enfant », disait un proverbe africain. Valable autrefois, actuellement ce dicton fait rire, et commence à ne pas avoir sa place dans cette société habitant dans une jungle en béton.
Les générations 60-70-80-90 le savent très bien. La mère du voisin est aussi leur maman. Elle peut gronder un bambin qu’elle n’a guère enfanté car « l’éducation ne se limite pas au foyer domestique ». Ainsi, le quartier s’avère être une grande maison. Elysée Razanamonina s’en souvient : « Mes parents ont déménagé à Tamatave en 1987 pour y travailler. J’avais 12 ans à l’époque. Tous les mercredis après-midi, nous n’avons pas cours. Alors mes copains et moi, nous nous trimballions un peu partout. À 800 mètres de chez nous, il y a une grand-mère qui avait des arbres à pain dans son domicile. Pendant que la dame dormait, nous grimpions sur l’arbre pour voler les gros fruits à pain. Un jour, notre voisine nous a vus. Elle hurlait de colère. Elle nous attendait au pied de l’arbre. Fatigué d’être longtemps suspendu, j’ai glissé. Et voilà elle m’a attrapé par la chemise pour me ramener à la maison, puis elle est partie faire ses courses. À son tour, ma mère, tétanisée, se mit à tonner ».
Cette pratique, le sociologue Arsène Jao l’explique : « En fait, la population n’était pas encore si nombreuse. Les habitants se connaissaient. Dès qu’un enfant sort de chez lui, tout le monde sait qui il est, qui sont ses parents. Donc, il a intérêt à soigner son image pour ne pas être la honte de la famille. En outre, la localité exige que sa progéniture soit bien élevée, car lorsqu’un individu commet une faute, la première question posée par les villageois, il sort d’où celui-là ? Et la réponse : sûrement, il n’est pas d’ici ! ». Cependant, la migration a toujours existé. Et ceux qui viennent pour travailler respectent également les règlements imposés par les zanatany (autochtones) d’où la chanson de Fenoamby dans « Mbola tsara ». Dans son deuxième couplet, l’artiste souligne « tompotanana mba mañaja vahiny. Sady vahiny koa mba mañaja teña », littéralement, les résidents doivent accueillir l’étranger, et celui-ci doit être attentif. Le chanteur reflète ce qui était dit.
Par ailleurs, le stress du quotidien causé par la flambée du prix des produits de première nécessité (PPN) et la hausse vertigineuse des prix de denrées, la persistance de la crise économique ont transformé radicalement la pensée. Par conséquent, personne n’a le temps de rendre visite à un voisin qui vient de déménager. D’autre part, recroquevillés sur le smartphone, accroupis avec la manette de jeu vidéo entre les mains, regard fixé sur l’écran de l’ordinateur, la génération Z et alpha ignorent catégoriquement ce qui les entoure. Google résout les problèmes en un seul clic, bien que les solutions ne soient pas adaptées à la situation surtout lorsqu’on habite dans un quartier qui s’appelle Antafiamalama. Quoi qu’il en soit, impossible de rebrousser chemin. Il faut aussi admettre que la société progresse, obligée de se mettre au diapason ! Toutefois, dans un pays comme Madagascar, la technologie n’est pas utilisée à bon escient. Les réseaux sociaux sont des rings de règlements de compte. Concernant l’expansion urbaine, le village d’hier s’est métamorphosé en une ville sauvagement agglomérée. Les fêtes sont dorénavant organisées uniquement pour les proches. Restreintes par faute de moyens, mais prolongées jusqu’à 4 heures du matin. « Avant, on avisait les voisins pour organiser des fêtes, c’est aussi pour prendre des nouvelles des membres de leur famille. Aujourd’hui c’est chacun ses affaires. Que tu sois malade ou en pleine forme, ton voisin mettra le volume à fond », notifie une dame de 60 ans.
En somme, le « Ce n’est pas mes oignons », prime au-dessus de tout. Filmer un individu en danger à la suite d’un accident de la route ou d’une bagarre de rue s’avère très naturel. La crise devrait être une opportunité pour se soutenir. D’autre part, la copie inconforme de la culture occidentale favorise cette mentalité rétrograde. Le fihavanana tant cité et toujours sur le bout des lèvres n’est qu’un fantasme illusoire !
Iss Heridiny