
M.M : Vous évoquiez les actions entreprises depuis votre arrivée, quels sont les résultats les plus significatifs dans l’amélioration de la gestion du programme de sécurité?
James Andrianalisoa : Encore une fois, la sortie de l’Annexe B ne peut être garantie qu’à l’issue d’une convergence de travail en profondeur. Quoiqu’il en soit, des progrès notables ont déjà été reconnus par la Commission de l’UE, ce qui a amené cette dernière en novembre 2014, à lever toutes restrictions sur l’exploitation des avions Boeing B737 et ATR quel qu’en soit le type. La Commission reconnaît la capacité de la partie malgache à gérer et à contrôler la sécurité des opérations des activités du réseau domestique et régional à un standard international. Cette reconnaissance importante marque un point d’orgue quant à l’évolution et donc la sécurisation de notre environnement opérationnel. Par conséquent, Air Madagascar a, entre autres, pu introduire le nouveau Boeing B737-800 dans sa flotte en 2015 et de l’exploiter sur les destinations « La Réunion » sans aucune formalité additionnelle. Notre tâche, dorénavant, est de nous maintenir sur la bonne voie aux travers d’une amélioration continue des processus. Avec l’appui du programme SAFE (programme financé par le gouvernement français avec le soutien de l’OACI), l’ACM a développé un plan d’action 2014-2017. Ce programme vise en particulier à renforcer la capacité de l’Aviation Civile, afin que cette dernière puisse accompagner efficacement le développement de l’industrie touristique.
M.M : Quelle est aujourd’hui la situation de l’industrie aérienne malgache sur cette question de la sécurité
J.A : Si on se réfère aux statistiques de l’OACI en termes d’accidents (Ceci ne prend en compte que les avions légers), l’industrie du transport aérien malgache est plutôt bien lotie : zéro accident sur les trente (30) dernières années. La performance est tangible. Mais ne dormons pas sur nos lauriers. En effet, la notion de durabilité est ici un élément critique : elle sous-tend que les systèmes en place sont solides et que des programmes existent pour que ces systèmes bénéficient continuellement du retour d’expérience de l’industrie mondiale. Autrement, les systèmes sont fragilisés. Par conséquent, c’est un travail systématique et permanent qui doit être financé correctement dans le programme opérationnel des opérateurs. La sécurité dicte nos principales démarches au sein de l’ACM. Déjà, il faut bien préciser que la sortie de l’Annexe B pour l’ACM est « une conséquence » de la maîtrise du niveau de sécurité opérationnelle » et non une finalité. L’ACM ne fera aucune impasse sur la sécurité, même si les coûts économiques sont très élevés. Depuis sa mise en Annexe B, Air Madagascar a, par exemple, dû recourir à des artifices coûteux pour assurer la continuité de son exploitation. La compagnie sait qu’elle doit s’adapter et garantir un niveau « acceptable » de sécurité. Et je reste persuadé que l’ensemble des opérateurs malgaches sauront s’adapter pour mieux faire face aux nouveaux enjeux, y compris la mondialisation du transport aérien.
M.M : Justement, est-ce que les compagnies aériennes locales sont armées pour faire face à ces charges qui alourdissent les coûts d’exploitation ?
J.A Les compagnies ont l’habitude de dire que la sécurité n’a pas de prix. Mais en disant cela elle se réfère généralement au coût de la « non-sécurité » c’est-à-dire le prix humain et matériel à supporter en cas d’accident. Ce coût est de façon générale extrêmement élevé pour l’opérateur même si une partie est prise en charge par les assureurs. Il comprend notamment l’indemnisation des passagers, les coûts liés à la perte en vie humaine, les coûts matériels de perte d’avion, le coût de la gestion de l’image, etc. Mais on devrait appeler cela le coût de la non-sécurité. Ce coût peut être extrêmement élevé et conduire les compagnies « fragiles » ou « mal assurées » au dépôt de bilan…Mais ici, il s’agit plutôt du coût pour réduire les risques d’accident à un niveau acceptable. Ce coût pour les compagnies aériennes est associé à la mise en œuvre des programmes destinés à mettre les organisations aux normes réglementaires et à assurer une maîtrise des processus de gestion de la sécurité. Ces coûts se retrouvent dans la mise en œuvre des programmes de maintien des avions en état d’être exploités, dans la formation et le maintien de compétence du personnel affecté au sol ou en vol, ou encore dans les programmes spécifiques de gestion de la sécurité, comme l’exploitation des données de vol enregistrées par les appareils embarqués, etc. Lorsque l’ACM examine une demande de « certificat de transport aérien ou CTA » par un opérateur, elle évalue systématiquement la capacité de la société à supporter l’ensemble de ces coûts et charges. Mais il peut arriver que la situation financière de la société se dégrade pendant l’exploitation pouvant aboutir à une remise en cause du CTA, si le déséquilibre risque en particulier d’affecter la capacité de la compagnie aérienne à couvrir les coûts de mise en œuvre de son programme de sécurité. Compte tenu des marges opérationnelles et financières relativement faibles enregistrées par les compagnies du secteur, il apparait évident qu’une bonne gestion des revenus générés par des marchés de plus en plus concurrentiels ainsi qu’une bonne maîtrise des charges opérationnelles « contrôlables » et de la productivité sont indispensables pour financer les programmes de sécurité. De façon générale, il me semble que les opérateurs nationaux disposent encore d’une bonne marge de progression pour optimiser les coûts de mise en œuvre des programmes de sécurité. L’ACM met également en œuvre des programmes spécifiques pour les aider à s’améliorer.
M.M : Quels sont les principaux défis pour maintenir la sécurité à un bon niveau à l’échelle de l’industrie locale ?
J.A : Nous venons de citer la nécessité pour les compagnies aériennes d’un bon équilibre économique afin de pouvoir financer le programme de sécurité. La disponibilité de ressources humaines spécialisées sera cruciale pour toute l’industrie dans une perspective de croissance rapide de l’industrie de transport « tirée » par le développement touristique. La modernisation de la flotte pour bénéficier de nouvelles technologies plus fiables et plus performantes sera également un gros challenge. Enfin, le développement des infrastructures aéroportuaires et des aides à la navigation sur le plan domestique constituera un enjeu de taille, dans la mesure où il s’agit de projets onéreux à long retour sur investissement. D’une manière générale, l’ensemble de ces programmes est destiné à améliorer le niveau de maîtrise de la sécurité, et contribuera de fait à protéger les compagnies contre les mesures restrictives de type annexe B. Différentes pistes sont examinées pour renforcer la capacité de l’industrie aérienne malgache à investir pour un niveau plus élevé de sécurité, et pour une amélioration de la productivité. Un outil, qui est maintenant disponible, est la Convention du Cape qui allège de façon notable les charges d’acquisition et de location d’aéronef. Elle a été ratifiée par Madagascar en 2014. Par ailleurs, la coopération régionale, plus particulièrement au sein de la Commission de l’Océan Indien (COI), est examinée dans le cadre du Comité des Aviations Civiles des pays membres en vue, en particulier, de la mutualisation des ressources spécialisées. De même, le développement d’un programme d’échange d’informations et de données d’analyse d’évènements de sécurité à l’échelon régionale permettrait d’améliorer sensiblement les courbes d’expérience.
Recueillis par R.Edmond