
À Antananarivo, un entrepreneur de la diaspora veut prouver qu’un recrutement inclusif et des formations accélérées en interne peuvent transformer des vies et sortir le pays de la pauvreté. Il milite pour transformer la majorité invisible en force productive.
La marginalisation n’est pas un fait divers dans la Capitale. C’est actuellement la condition ordinaire d’une grande partie des habitants, surtout ceux des quartiers populaires, notamment les jeunes. Peu ou pas diplômés, rarement repérés par les circuits classiques de recrutement, ils peinent à franchir la porte du premier emploi formel. C’est précisément à ce verrou que s’attaque Ghali Nanja, entrepreneur de la diaspora revenu au pays malgré les obstacles – délestages, pénurie d’eau, redémarrage difficile. Son pari consiste à faire de la startup un accélérateur d’inclusion économique. Il fonde Pita Concept, aujourd’hui déclinée en plusieurs branches, dont la restauration. Jusqu’ici, plus de 60 emplois directs et indirects ont été créés dans ce cadre. Rien d’exubérant, concède-t-il, mais une preuve par l’exemple. « On avance petit à petit. »
Force productive
Surtout, il inverse la logique de l’embauche. Plutôt que d’attendre des CV impeccables, il recrute dans les quartiers défavorisés – parfois jusque dans les communes rurales – et priorise les mères célibataires. « 95 % de nos employés n’ont pas de diplômes, mais deviennent opérationnels grâce à des formations accélérées en interne. » Les résultats tiennent, selon lui, à deux leviers, notamment un savoir-faire concret et un travail sur la confiance. « On peut enseigner le charisme et la prise de parole. L’emploi et la nutrition sont des droits fondamentaux ; sans eux, on fabrique de l’insécurité et de la délinquance. » Au-delà de son entreprise, Ghali Nanja défend une thèse suggérant qu’une création massive de startups peut sortir Madagascar de la pauvreté. Il avance une estimation choc du chômage et du sous-emploi qu’il juge « anormalement élevés » et martèle que le plein emploi est techniquement possible si l’on multiplie les créateurs d’emplois. « Si un million de Malgaches entreprennent et embauchent, on peut basculer vers un excédent d’offres. » L’axiome est pour lui de donner la canne à pêche plutôt que le poisson. Autrement dit, cibler la formation professionnelle, de courte durée mais de haute intensité, au plus près des besoins du marché.
Chaînes de valeurs
L’homme a une autre passion. Il s’agit de la filière viande. Formé à l’industrie de viande et à la boucherie artisanale, il plaide pour un circuit « de la fourche à la fourchette » digne des standards internationaux, concernant l’hygiène, l’abattage, le découpe, la chaîne du froid, la distribution, la transformation et la valorisation. « On peut commencer petit. Le poulet est exploitable à court terme. » Il rappelle avoir soumis, à l’ancien régime, un business plan de 82 pages resté sans suite et assure que, bien régulée, la chaîne de valeur peut même convertir des dahalo en éleveurs. D’après ses dires, il faut des centres de formation sur chaque maillon (découpe, abattage, transformation, mise en barquette) et un assainissement des normes d’hygiène pour lever les freins à l’exportation.
Difficultés
Membre de OMAD (One Meat One Day), association de la diaspora engagée dans l’appui agricole et l’élevage en zones rurales, Ghali Nanja élargit le débat au financement. « Avec des taux d’intérêt au-delà de 22 %, monter un projet viable relève de l’exploit, quand ailleurs on emprunte à 4 %. » Il propose de créer des banques dédiées aux entrepreneurs malgaches et à la diaspora investisseuse, capables de rivaliser avec les capitaux extérieurs. Il pointe aussi un déficit de culture entrepreneuriale. « Nous formons nos meilleurs étudiants pour devenir salariés. » La solution, selon lui, passe par un choc de formation professionnelle, dès le secondaire, et par la valorisation du risque dans le discours public.Ce modèle n’a rien d’un miracle clé en main. Il suppose une coordination entre trois mondes qui se parlent trop peu : entreprises (pour recruter et former), pouvoirs publics (pour assainir, normaliser, simplifier) et finance (pour prêter à des conditions réalistes). Mais l’expérience de Pita Concept apporte un démenti pragmatique au fatalisme des jeunes sans diplômes. Les plus défavorisés – représentant aujourd’hui la majorité – et considérés par certains comme nuisibles peuvent être vus comme une vraie force productive, dans l’optique de Pita Concept qui a déjà commencé. À l’échelle d’une ville, puis d’un pays, ces trajectoires pourraient faire masse.
Antsa R.


