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vendredi, juillet 4, 2025
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Tradition : Fitampoha 2021, plongée dans une tradition entourée d’esprits

L’effervescence lors de l’arrivée du « Lamba vinda » sur la place du Doany Miarinarivo à Tsararano Ambony.

Le « Fitamboha 2021 », au Doany de Miarinarivo à Tsararano Ambony dans la ville de Mahajanga, a eu lieu, comme chaque année, au mois de juillet. Entre la tradition séculaire et la fête débridée, la frontière est surveillée par les esprits.  

Quelques minutes avant, « Rasta » était passé dire bonjour à la vendeuse d’un stand de bière, de grillades et d’amuse-gueules. En chemisette, tenant un sac. Le bonhomme est chétif, un citoyen respectueux de ces congénères. Saluant chaleureusement les clients et clientes présent(e)s, se désaltérant et profitant d’un peu d’ombre et de fraîcheur.

Soudain, il revient en grandes enjambées. Un tissu ceint ses reins, il tient un chapeau traditionnel, une hache à la main. Un jeune homme lui passe ensuite une lance bien aiguisée. Il sort de sa bouche des gargouillis lugubres, des phrases sussurées. Ses yeux exorbités sont d’une couleur rouge sang. Le regard est ailleurs. « Calmez-vous ! », lance la dame aux « douze esprits », une connaisseuse, aux quelques clients déboussolés.

Les offrandes portées par les femmes et devancées par les « Jirika ».

Ces derniers sont en train d’assister en « live » à l’entrée de l’esprit d’un ancien « malaso », dont l’imaginaire dans les contrées le place soit en héros soit en bandit sanguinaire, dans le corps de « Rasta ». Après des rituels d’usage : port de la tenue, louanges venant de la dame aux « douze esprits », etc, il se présente. « Je suis un grand malaso, j’ai beaucoup parcouru de terres, j’ai déjà beaucoup tué ».

Le stand se trouve en plein milieu d’un hameau sur les hauteurs de Tsararano. Attenant le « Valamena », une clôture en bois rond épais peinte en rouge et blanc de l’acropole du tombeau sacré d’Andriamisara et de ses fils. Ce sera jour de « Fitampoha », bain de reliques, le 19 juillet, un lundi. Depuis presque une semaine, les festivités y font rage.

Situé en périphérie nord de la plus belle ville de Madagascar, Mahajanga, le quartier de Tsararano ambony abrite chaque année le « Fitampoha ». Une cérémonie traditionnelle pratiquée depuis des siècles chez le groupe humain Sakalava. Que ce soit du Boina ou du Menabe. « En somme, c’est pour renouveler la bénédiction d’Andriamisara efa-dahy manankasina », avance Arsène, le Sahabe.

Le « Valamena » abrite le « Zomba » qui abrite à son tour le saint des saints.

Offrandes et reconnaissances. Si des rituels ont déjà été pratiqués depuis au moins six mois, le cœur festif et populaire de l’événement se déroulera durant les semaines du 12 et 19 juillet. Annoncé par le « Fanokafam–baravarana », littéralement l’ouverture de la porte. Après, s’enchaînent des cortèges de lignages, de grandes familles, de représentants de villages éloignés… apportant des offrandes pour Andriamisara efa-dahy.

Toute une journée, ils se bousculent à l’entrée du village. « Chaque chose ici a son emplacement selon l’astrologie Sakalava. Par exemple, chaque manguier sur la grande place possède son rôle. Il y a celui pour le hataka, pour le fanompoana et d’autres. Les rituels sont extrêmement codifiés, il faut bien savoir les interpréter », confie Arsène, le Sahabe.

Le cortège le plus attendu est celui du « Fiangitra », le samedi, et du « Lambavinda », le dimanche. Le premier rapporte les essences sacrées, le second, une étoffe sacrée. « Une fois, j’ai porté le lambavinda, c’était très grisant. Les esprits se sont manifestés en moi. Parfois, d’autres tombent dans les pommes après à peine une trentaine de mètres », se souvient la dame aux « douze esprits ». A ce moment, la place se remplit de monde, plus que d’habitude. Ces deux rituels sont d’une telle intensité.

Les coup de feu agitent l’assistance, surtout les « Jirika », signalant la tenue du bain des reliques proprement dit

Ces arbres majestueux, sans doute séculaires, servent à la fois de zone d’ombre, mais aussi de lieu de réception des cortèges, la plupart venus de loin, et de leurs offrandes. A une cinquantaine de mètres de l’entrée principale, signalée par une large banderole, se trouvent deux manguiers. Par la droite, celui des dignitaires royaux et intendants du « clan » Andriamisara.

Par la gauche, celui d’où les orateurs de chaque groupe d’arrivants fait le « kabary », ou art oratoire. Avant cela, les femmes des cortèges, tenant des deux mains sur leur tête les offrandes, s’avancent en s’agenouillant à l’approche d’une natte déposée à même le sol devant les descendants royaux. Elles y déposent soigneusement les « cadeaux », et se retirent dans un geste baigné d’humilité.

D’autres femmes affalées réceptionnent ce qui pourrait être des sommes d’argent, des étoffes sacrées, des huiles à la composition secrète… « Il se peut même que les offrandes soient de l’or », fait remarquer Arsène le Sahabe. Les zébus sont parqués dans le « Valamena ». Cette année, les dignitaires ont reçu pas moins de quinze bovidés, même plus d’une vingtaine.

Les offrandes reçues, le « kabary » débute malgré le brouhaha de l’assistance. « Est-ce que les nobles sont là ? », questionne le spécialiste des nouveaux arrivants. Jusqu’à ce qu’un semblant de silence s’installe, il se répète. Enfin, son vis-à-vis répond par l’affirmative. Arsène le Sahabe du Doany d’Andriamisara efa-dahy manankasina, c’est comme cela qu’il s’est présenté, continue.

« Il demande après si toutes les parties prenantes de la cérémonie sont présentes », à savoir les « Fehintany », les « Manantany », « Benaingy », « Sahabe »… et les descendants de la noblesse. Il interroge sur leur bonne santé, auquel l’autre orateur répond encore par l’affirmative. Puis vient le moment des présentations. Une manière de signaler aux dignitaires qu’un tel village, une telle lignage familiale, une telle personnalité, association ou autres sont venus honorer le « Fitampoha ».

En guise de conclusion, l’orateur du cortège annonce le montant des sommes offertes. Chacune est accompagnée de salves d’applaudissements, peu importe le montant. Durant l’un des rituels, le montant annoncé a été de « 60.000 ariary » au lieu de « 600.000 ariary ». Les donateurs ont insisté pour que la somme exacte soit connue de l’assistance. Question d’honneur et d’engagement.

« Cartographie » orale. En deux jours, à suivre ces séries de discours, un auditeur attentionné peut dresser une carte de la région et de la ramification du groupe humain Sakalava dans la région. Un réseau actif, huit familles choisies, gardent par exemple la forêt d’Andriamisara, « là où il avait l’habitude de prendre du miel », fait savoir Arsène le Sahabe.

D’ailleurs, pour l’essence sacrée utilisée pour embaumer les reliques après la baignade, ce miel sacré fait partie de la composition. Une recette gardée comme au tout début, telle les premiers concepteurs l’a conçue. Une fierté pour Arsène, un grand gaillard peu souriant, hyper concentré. Son rôle, celui des Sahabe diminué en « Saha », est de contrôler le bon suivi des rituels.

Pour éviter toute maladresse, il est là pour veiller, recadrer les gestes et les actes de chacun. Le tout en douceur, sans élever la voix. « Même la façon de se placer sous le manguier des dignitaires royaux suit une organisation, une orientation », revient-il. La cérémonie des offrandes reste le moment officiel de chaque journée avant le 19 juillet, jour du « Fitampoha ».

Sinon, plus en aval de la colline, on se sent dans un mélange de « woodstock » et de « rave party ». Orlando est un habitant du quartier de Tsararano ambony. Là où les griefs entre les prétendants d’une demoiselle dans le quartier se règlent par des jets d’acide au visage. Là où l’insécurité est un vent polluant, fait pour oublier le « bon vivre » légendaire de Mahajanga-Ville.

Difficile de croire qu’il abrite un lieu aussi hautement sacré, le Doany d’Andriamisara Efa-dahy Manankasina. Cela fait penser à un îlot de perles et de rubis au beau milieu d’une eau saumâtre occupée par des légions d’alligators affamés. D’autant que les reliques du régent et de ses fils sont gardées à quelques encablures.

Celles-ci ayant la réputation d’apporter bénédiction et prospérité, rien que là où ils passent. A Tsararano ambony, cela attendra sans doute encore quelques décennies. Dans un stand, on y compte environ une soixantaine aux alentours de la « place des offrandes ». Orlando sirote une bière. Une des rares à être à la température idéale dans les parages. Il est midi, la chaleur est infernale.

Une femme, dans la quarantaine fait son entrée. Elle zigzague à travers les tables, avançant un chapeau. Impossible de savoir si elle mendie ou si elle est là pour bénir les fêtards et les fêtardes. « Voilà une habitée par un tromba, vous voyez les deux autres femmes là bas, en train de boire calmement, elles sont habitées par des esprits royaux, elles sont classes. Les autres là-bas sont des tromba Mbôty, ce sont des hommes habités par des esprits d’homosexuels. Ainsi, ils se travestissent », indique le jeune homme.

Lors du Fitampoha, Tsararano Ambony accueille sans doute la plus grande concentration de « tromba » au kilomètre carré. La dame aux « douze esprits » l’a dit. « Cinq cent, c’est peu ». D’abord, il y a les « Jirika ». Des jeunes, aux allures guerrières, de rouge vêtus, enduits d’argile blanche à des emplacements précis : entourant un oeil, la totalité du visage, les bras et ou une partie du torse. Ils se reconnaissent avec leurs étoffes rouges et leurs armes blanches.

« Transe » record. Il y a quelques femmes parmi eux. Aux détours d’un attroupement, on peut apercevoir l’un d’eux tourner soudain le visage vers le ciel, émettant des grognements rauques, le corps dandine, il s’appuie à son sagaie, la pointe en haut. Le bonhomme reste sur place dans cet état pendant une heure et disparaît. Hagards, ces acolytes le laissent faire.

Puis sans le voir venir, un autre court tel un forcené pointant sa lance et s’arrête tout net. Les « Jirika » se saluent entre eux avec une poignée de main particulière. Suivi d’un petit râle, en signe de reconnaissance. Il faut avoir une bonne dose de sang-froid quand on se trouve soudain entouré par ces personnages. « J’ai des potes du quartier parmi eux, je ne les crains pas. Mon grand frère est un de leurs chefs », annonce fièrement Orlando.

Dans chaque case en raphia, entourant la place aux portes du « Valamena », des gens se rassemblent pour assister à une transe. Accordéon, maracas, antsa et battements des mains, tout est fait pour que l’esprit se manifeste dans les meilleures conditions. Nécessaires pour celui-ci, un marin, un militaire, un roi, Andriamisara, un esprit révéré mais pas celui du roi… divulgue les messages et les différentes médications tirées de l’« ailleurs céleste ».

« Comment on y entre, est-ce qu’on fait des demandes particulières ? », questionne une dame. Elle fait sans doute le tour de ces hameaux pour trouver son destin. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, l’« Alin–dratsy », ou mauvaise nuit, a été le genre de réveillon. En somme, des heures de beuverie extrême et de fête jusqu’à n’en plus finir. Un concert de Jaojoby Eusèbe a été organisé. Le lendemain, la nouvelle s’est vite propagée jusqu’au fameux”Bord” de Mahajanga. « Nihanjaka ony Jaojoby teo ambony scène », littéralement, « Jaojoby aurait eu la transe sur scène ».

Une fierté pour Orlando et ses acolytes. Il ajoute, « c’était celui d’un roi ». Enfin, le grand jour arrive. Le prince Herimisy Guy III accueille depuis des jours des notables venus de la Capitale et des autres régions du pays. Derrière le « lapabe », case cérémoniale pour recevoir les invités de marque, suivant ensuite une ruelle d’une dizaine de mètres, on y accède par une petite cour.

A sa porte se trouvent trois personnes, deux femmes et un homme. L’antichambre princière. A eux sont annoncés en premier l’identité des visiteurs. Le prince est installé dans une pièce avec une grande table. A ses côtés, un homme barraqué aux allures de militaire et un plus vieux, plus extraverti. Les autorités locales vont arriver sur les lieux à « 11h02 », ensuite il rejoindra le doany pour assister à la cérémonie. Une cérémonie qui se fait à l’abri du regard du plus grand nombre, dans le « zomba ».

Choc de cultures. Seules les personnes autorisées, selon leur rang et leur considération venant des dignitaires, peuvent assister au « bain de reliques » dans le « zomba ». En tout, une soixantaine. Tout à coup, un coup de feu éclate. « C’est pour marquer que la cérémonie telle celle qui est en train de se tenir », explique l’un des gardes du portail d’entrée. Ces hommes ne donnent jamais de concession.

Quand les autorités locales sont venues sur place, ils ont confisqué leurs lunettes et leurs masques. « Allons ! Allons ! Par ici les lunettes, c’est interdit ». Même le plus haut représentant du ministère de la Justice local s’y est plié, la mine un peu renfrognée. Pour entrer dans le saint des saints, il ne faut pas porter de « bikini », selon la dame aux « douze esprits ».

Cela veut dire sans culotte pour les hommes, ni soutien-gorge pour les femmes. Seul le « lambahoany » et une chemise pour le haut suffisent. Les mineur(e)s, les femmes en période de menstruation ou enceintes sont interdites d’accès. A chaque coup de feu, les « Jirika » paniquent. Ils en ont une peur incompréhensible.

Ces esprits de malaso ont aussi en frayeur les hommes en uniforme. A l’arrivée des dirigeants locaux, avec des mesures de sécurité dignes d’un chef d’Etat, de nombreux « Jirika » ont détalé. Quelque part, c’est la rencontre martiale entre la puissance traditionnelle et la puissance de l’Administration. Au-delà, celle de l’autorité traditionnelle avec celle de l’autorité publique.

Après presque une heure, trois individus sortent du saint des saints, les reliques posées sur leur nuque. Couvertes d’étoffe sacré, ils font le tour du « Zomba » avec le prince et ses invités de marque. C’est la première fois que la foule agglutinée dehors aperçoit les reliques. La cérémonie a bel et bien été réalisée, « Andriamisara nous a accordé sa bénédiction », se réjouit une dame de l’assistance. Il a fallu un sachet de munitions pour aboutir à ce résultat.

Le « Fitampoha » a pris fin le 23 juillet, par le « Rebika  », ou la fermeture des portes. « Andriamiasara n’a pas d’ennemi, il ne fait pas de distinction entre les dix-huit groupes humains malgaches ni avec les étrangers », conclut-il. Tout le monde espère que l’année prochaine soit aussi clémente et qu’Andriamisara et ses fils y veilleront.

Maminirina Rado

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