

Après les expériences des années 1990 Madagascar s’apprête à nouveau à organiser une Concertation nationale qui débutera officiellement mercredi 10 décembre prochain afin de refonder les bases d’une nouvelle société.
Il y a maintenant trois décennies, l’Afrique s’engageait dans un processus historique de transition démocratique, influencé par les vents de libéralisation qui soufflaient à travers le continent. La chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrement des régimes autoritaires en Europe de l’Est avaient ouvert la voie à une nouvelle ère, marquée par la recherche de pluralisme politique et de réformes constitutionnelles en Afrique. Dans ce contexte de transformations profondes, l’idée des Concertations Nationales, également appelées Conférences Nationales Souveraines (CNS), émergea comme un moyen de redéfinir les bases politiques et constitutionnelles des États africains, de faire face aux crises politiques internes et de remettre en place un ordre constitutionnel plus démocratique et inclusif. Madagascar, en pleine période transitoire après la chute du régime autoritaire de Didier Ratsiraka, ne pouvait pas échapper à cette dynamique.
Les Conférences Régionales (9-16 Février 1992) : Un Préambule aux Grandes Concertations
Dans le cadre de cette transition politique, Madagascar a initié une série de Conférences Régionales, préparées et organisées par le FFKM (Fiombonan’ny Fiangonana Kristiana eto Madagasikara), l’Alliance des Églises chrétiennes, qui jouait un rôle crucial de médiation. Ces conférences ont été pensées comme des espaces de dialogue permettant de recueillir les opinions et propositions des citoyens sur les problématiques nationales urgentes, comme la Constitution, l’économie, les élections et les droits sociaux.
Les conférences, organisées entre le 9 et le 16 février 1992, ont été l’occasion de discuter des grandes réformes nécessaires à la reconstruction du pays après des années de gestion autoritaire. Le FFKM a fait preuve d’une grande sagesse et d’une organisation minutieuse pour que les opinions du peuple soient entendues à travers tout le territoire. Deux émissaires par fivondronana ont été envoyés pour sélectionner 16 délégués, chargés d’organiser les débats. Ceux-ci ont été choisis afin de refléter la diversité de la société malgache, incluant cultivateurs, étudiants, travailleurs, responsables d’églises, fonctionnaires et autres catégories sociales.
Les réunions se sont ensuite déroulées dans un climat relativement apaisé, malgré quelques tentatives de sabotage et de perturbations. Une fois les débats menés, les résolutions ont été préparées et affinées pour être remises aux experts du FFKM. Ces derniers ont eu pour mission de préparer des projets de textes concernant la Constitution, la loi électorale, la politique économique et sociale. Ces projets allaient servir de base pour les futures réformes constitutionnelles, avec l’objectif d’instaurer un cadre démocratique.
La Conférence Nationale : Un Moment de Tension et d’Adoption des Résolutions
La Conférence Nationale, ou Forum National, qui s’est tenue en 1992, marqua une étape décisive dans ce processus de transition démocratique. Elle s’est ouverte par un service religieux au Stade de Mahamasina, réunissant une large assemblée composée de militants politiques, de personnalités religieuses, de membres du gouvernement, des représentants de la société civile, ainsi que des diplomates étrangers. Après cette cérémonie d’ouverture, les participants se sont répartis en quatre commissions : Constitutionnelle, Économique, Sociale et Scolaire.
Cependant, l’organisation de cette conférence n’a pas été sans heurts. Des tentatives de sabotage ont rapidement fait surface. Des groupes d’opposants, menés par des figures politiques comme Monja Jaona et Laha Gaston, ont tenté de perturber les travaux en organisant des manifestations violentes. Des échauffourées ont éclaté, avec des jets de pierres et des explosions de grenades, et, en raison des troubles, la session finale prévue au Stade couvert a été déplacée au Cercle Mess de Soanierana.
Là encore, les manifestants ont tenté de pénétrer dans la salle où se tenaient les délibérations. Face à leur insistance, les militaires ont été contraints de faire usage de la force, ce qui a conduit à deux morts et plusieurs blessés. Mais malgré ces événements dramatiques, les discussions ont continué. Les dirigeants du Forum ont soumis les résolutions à un vote et, à la surprise de certains observateurs, celles-ci ont été adoptées à l’unanimité. Les résolutions adoptées comprenaient des projets de textes sur la Constitution, le Code électoral, la politique sociale et la loi économique.
Les Résultats des Concertations : un saut qualitatif pour la Démocratie
Les projets issus du Forum ont ensuite été remis au gouvernement de transition et aux experts du FFKM pour finalisation. Le Projet de Constitution et le Code électoral ont ainsi été examinés dans le cadre d’un référendum, tandis que les autres propositions étaient transmises à la Haute Cour Constitutionnelle pour validation. Bien que des opposants aient proposé un modèle de Constitution fédéraliste, celui-ci n’a pas été retenu.
En dépit de l’instabilité et des tensions politiques qui ont marqué cette période, les résultats des conférences régionales et du Forum national ont représenté un tournant majeur pour Madagascar. Non seulement ces réformes ont permis l’adoption de textes fondamentaux qui ont jeté les bases d’un cadre démocratique et républicain, mais elles ont aussi inscrit le pays dans un mouvement de démocratisation qui a secoué l’ensemble du continent africain à la même époque.
Les Concertations Nationales en Afrique : Un Phénomène Transversal
Madagascar ne fut pas une exception dans ce processus qui traversait l’Afrique. Les années 1990 ont vu une multitude de pays engagés dans des concertations nationales dans le but de tourner la page des régimes autoritaires et de remettre en place des constitutions démocratiques. Ces conférences, inspirées par la Conférence Nationale Souveraine du Bénin de 1990, ont servi de modèle à plusieurs autres pays du continent. Le Zaïre (RDC), le Mali et le Togo ont également tenu des forums similaires pour tenter de sortir de la crise politique, de mettre en place de nouvelles constitutions et d’instaurer le multipartisme.
L’Afrique du Sud, bien que dans un contexte différent, a également traversé une phase de discussions directes entre le Gouvernement et l’ANC, menant à la fin de l’apartheid et à des élections démocratiques en 1994. Ces conférences ont permis à plus de 35 pays africains de se tourner vers des réformes politiques profondes, marquant la fin des régimes de parti unique et donnant naissance à de nouveaux cadres constitutionnels.
Les résultats des concertations nationales ont souvent été spectaculaires. L’introduction du multipartisme, l’adoption de nouvelles constitutions et la mise en place d’une séparation des pouvoirs ont été des objectifs partagés par la plupart des pays. En conséquence, le nombre de régimes à parti unique a drastiquement chuté, de 29 en 1989 à seulement trois en 1994.
Une Nouvelle Ère pour Madagascar et l’Afrique
Les « Concertations Nationales » ont donc été un processus fondateur pour Madagascar, mais également pour de nombreux pays africains, dans leur quête d’un ordre politique plus démocratique. Si ces conférences ont été parfois marquées par des tensions et des violences, elles ont permis de poser les jalons de la démocratisation et de la réconciliation nationale. Aujourd’hui encore, elles restent un modèle de transition, un rappel que la démocratie est un chemin souvent semé d’embûches, mais qu’il est indispensable pour bâtir un avenir meilleur.
Dossier réalisé par Julien R.




