
À l’approche de la fin de l’année 2025, le moment est venu de dresser un bilan. Pour Son Excellence Patrick Lynch, Ambassadeur du Royaume-Uni à Madagascar, cette année a été marquée par le renforcement des relations d’amitié et de partenariat entre les deux pays. Des liens solides, fondés sur des valeurs communes telles que l’humanité, la démocratie et la lutte contre la corruption. Entretien exclusif !
Midi Madagasikara (M.M.): Parlez-nous un peu de vous et de la vie qui vous a conduit à Madagascar, sur le plan professionnel et personnel.
Patrick Lynch (P.L.) : Avec plaisir. Je suis né en Écosse d’une mère originaire du Pays de Galles et d’un père d’Irlande du Nord. Ce sont trois régions du Royaume-Uni dont la culture et les valeurs sont très proches de celles de Madagascar : un fort sens de la communauté et de la famille, ainsi qu’un amour pour la musique et la convivialité. En Écosse, nous utilisons l’expression « itchy feet » pour décrire quelqu’un qui a toujours envie de voyager. C’était tout à fait mon cas en grandissant et j’ai toujours été intéressé par les questions qui divisent ou rapprochent les peuples et les pays à travers le monde.
Mon premier poste a été dans la résolution des conflits en Irlande du Nord et, pendant de nombreuses années, mon travail s’est concentré sur les questions de sécurité, avec des affectations en Afghanistan, à Abu Dhabi et à Washington DC. Mon premier rôle en tant qu’ambassadeur du Royaume-Uni a été aux Seychelles avant qu’on ne m’offre l’opportunité de servir à Madagascar.
Sur le plan personnel, j’aime passer du bon temps avec ma merveilleuse épouse et nos enfants. J’aime chanter et jouer de la guitare et, dans ma jeunesse, j’ai même travaillé quelque temps en me produisant dans des bars et des clubs. Je suis également un grand fan de football et un fervent supporteur de l’équipe nationale d’Écosse, sans aucun doute la meilleure au monde. Je souris encore après notre qualification pour la Coupe du monde 2026 le mois dernier. Mon grand souhait est que les Barea nous rejoignent à la Coupe du monde 2030.
M.M. : Cela fait un an que vous êtes à Madagascar. Quelles sont vos impressions sur le pays ?

P.L. : Je savais que Madagascar était un pays magnifique, et j’ai eu la chance de découvrir des paysages qui ont largement confirmé cette réputation.
Je suis également heureux de dire que mon expérience avec le peuple malgache a dépassé toutes mes attentes. L’accueil a été très chaleureux et plus convivial que dans les 10 autres pays où j’ai vécu. Il y a ici une gentillesse et un sens de la communauté dont beaucoup d’autres pays pourraient s’inspirer, et en tant que famille, nous en avons énormément bénéficié.
M.M. : Et comment s’est déroulé votre travail en tant qu’Ambassadeur du Royaume-Uni ?
P.L. : Je dirais que ma première année ici a réservé très peu de surprises. Notre priorité a été de nous concentrer sur des enjeux essentiels de développement, tels que la santé et l’éducation. Nous finançons également un large éventail de programmes environnementaux, en travaillant avec des experts locaux pour que les besoins et la vie quotidienne des communautés soient au cœur des initiatives sur la biodiversité et la lutte contre la déforestation.
Un moment fort a été notre engagement dans des actions concrètes et personnelles auprès des communautés. Cela inclut des activités avec des écoles pour enfants en situation de handicap, et je tiens aussi à souligner les excellents projets de promotion de la lecture menés par Teach for Madagascar, que nous sommes très fiers de soutenir.
M.M. : Comment le travail a-t-il évolué avec l’arrivée du nouveau Gouvernement à Madagascar ?

P.L. : Nos actions en matière de santé, d’éducation et de protection de l’environnement se poursuivent. Nous investissons plus de 42 millions d’euros chaque année dans plus de 50 projets à travers Madagascar, et nous constatons d’excellents résultats avec nos partenaires locaux. Malgré les défis croissants liés au financement international, nous prévoyons de maintenir ces efforts et de nouvelles initiatives voient le jour.
Ce qui a changé, bien sûr, c’est l’établissement du nouveau Gouvernement de la Refondation. Cela a apporté des priorités supplémentaires et un nouvel élan de soutien du Royaume-Uni, notamment dans la lutte contre la corruption, qui est un enjeu crucial.
Les changements de gouvernement sont inévitablement complexes. Ce qui est beaucoup plus simple, c’est le constat qu’un changement significatif est absolument nécessaire à Madagascar. Il est impossible de vivre ici sans arriver à cette conclusion. Je n’ai jamais entendu personne, y compris au sein des gouvernements actuel ou précédent, nier ce fait. Madagascar dispose de ressources naturelles abondantes et d’une population compétente. Pourtant, c’est l’un des pays les plus pauvres au monde, avec une population qui endure de grandes souffrances. Cela ne devrait tout simplement pas être le cas.
M.M. : Vous avez mentionné le soutien du Royaume-Uni à la lutte contre la corruption à Madagascar. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

P.L. : J’ai parlé de la pauvreté et des souffrances. Partout dans le monde, il existe un lien évident entre ces problèmes et la corruption à haut niveau. La corruption n’est pas un crime sans victimes : elle consiste en des criminels qui s’enrichissent en détournant les ressources de leur propre peuple.
Lorsque les mécanismes de lutte contre la corruption sont faibles, nous voyons des sociétés en difficulté, des communautés privées de services publics essentiels et des élites qui agissent pour leur propre intérêt dans une culture d’impunité. Nous constatons également un frein à l’investissement national et international et à la création d’emplois.
À l’inverse, lorsque ces mécanismes sont solides, nous observons une croissance économique et une amélioration des conditions de vie. Les avoirs d’origine criminelle sont restitués au public, les écoles et les hôpitaux sont mieux équipés, et ceux qui sont au pouvoir comprennent qu’ils sont là pour servir la population.
M.M. : Comment le Royaume-Uni a-t-il réagi ?

P.L. : Lors d’une réunion d’introduction, le Président du Gouvernement de la Refondation a présenté une vision claire pour une lutte efficace contre la corruption à Madagascar. J’ai également eu l’occasion de rencontrer le nouveau ministre de la Justice, qui a offert une analyse très claire des besoins.
Le Royaume-Uni a répondu rapidement à la demande d’assistance, et nous avons désormais une équipe d’experts internationaux travaillant en partenariat avec le ministère. Ils apportent une expertise considérable, avec de nombreux succès dans la détection, la saisie et la restitution des avoirs illicites au bénéfice des communautés.
J’ai pu constater personnellement l’expertise et la technologie de pointe que le Royaume-Uni peut déployer. Cela peut faire une énorme différence pour aider nos pays partenaires à transformer une culture d’impunité en une culture de dissuasion, où les criminels sont condamnés et les ressources volées sont restituées.
M.M. : Il semble y avoir une confusion concernant une enquête britannique sur Romy Andrianarisoa. Pouvez-vous clarifier ce qui s’est réellement passé ?

P.L. : Je ne commente pas en général les affaires criminelles spécifiques. Mais dans ce cas, j’apporterai volontiers des précisions, car une interview vidéo de madame Romy Andrianarisoa semble avoir semé la confusion. Madame Andrianarisoa a déclaré qu’elle avait été remise en liberté après son acquittement, ce qui n’est pas vrai.
Comme mon ambassade l’a précisé dans un communiqué publié en août 2024, Madame Andrianarisoa a été reconnue coupable d’avoir sollicité un pot-de-vin à des fins personnelles lors de négociations sur un contrat avec une entreprise britannique. Après sa condamnation, le procureur britannique a déclaré : « Romy Andrianarisoa est un fonctionnaire corrompu qui a choisi de s’enrichir dans l’exercice de ses fonctions publiques ». Madame Andrianarisoa a été libérée après avoir purgé 11 mois de sa peine dans le cadre du programme d’expulsion des criminels étrangers. Sa condamnation n’a pas été annulée et elle est interdite d’entrée au Royaume-Uni.
M.M. : Comment verriez-vous les prochaines étapes que devrait entamer le Gouvernement de la Refondation ?
P.L. : Encore une fois, cela relève du peuple malgache. Mais il est naturel que les pays démocratiques souhaitent obtenir l’assurance du Gouvernement de la Refondation sur la nécessité d’un calendrier clair pour la tenue des élections présidentielles. Nous savons qu’il reste beaucoup à faire en matière de réforme électorale, mais nous convenons que ces élections doivent avoir lieu dès que raisonnablement possible.
Nous sommes tout à fait favorables envers la nécessité de tenir des élections libres et équitables. Si un gouvernement n’a pas besoin de gagner une élection de manière équitable, il n’aura aucune raison de répondre aux besoins de son peuple. C’est le principe fondamental de la démocratie.
Au Royaume-Uni, nous nous plaignons parfois des changements récents de nos dirigeants. Pour moi, c’est le signe d’une démocratie qui fonctionne. Dès le premier jour, nos dirigeants savent que leur mission est de servir les besoins du peuple britannique. S’ils veulent rester au pouvoir, ils doivent travailler dur pour cela.
La démocratie est imparfaite, mais lorsqu’on compare la vie des populations dans des pays dépourvus de démocratie, il est évident qu’elle est la seule option pour bâtir des sociétés prospères et équitables, où les gens vivent dans l’espoir plutôt que dans la peur.
M.M. : Et qu’en est-il des relations internationales de Madagascar ?

P.L. : Le Gouvernement de la Refondation n’en est qu’à ses débuts, et je sais qu’il est en train de définir sa politique étrangère. J’ai deux grands espoirs.
Premièrement, je salue la reconnaissance du fait que 90 % des financements internationaux destinés à Madagascar proviennent de pays démocratiques. Lorsque Madagascar s’engage fermement dans l’intérêt de son peuple, ces financements peuvent véritablement transformer des vies et être encore plus efficaces.
Deuxièmement, le peuple malgache s’est mobilisé pour le changement et a clairement exprimé ses exigences en matière de liberté d’expression et d’élections libres et justes. Ces deux principes fondamentaux ont également été affirmés comme des valeurs par le Gouvernement de la Refondation. Il est donc naturel que des inquiétudes existent quant aux relations avec des pays ou des organisations qui s’opposent directement à ces valeurs.
À Londres comme à Antananarivo, nos citoyens ont le droit de manifester et de réclamer des élections libres et justes. Dans d’autres pays, y compris ceux qui cherchent à influencer Madagascar, de telles actions ne seraient pas tolérées.
Mon souhait est que le peuple malgache puisse prospérer sous la direction de gouvernements et de responsables politiques loyaux envers Madagascar et qui placent ses intérêts en premier. Partout dans le monde, nous voyons des politiciens ou des personnalités influentes agir pour des puissances extérieures. Madagascar n’échappe pas à cette réalité. Si ce pays veut prospérer, alors, comme dans toute démocratie, le peuple malgache devrait remettre en question toute personne qui agirait dans l’intérêt de gouvernements étrangers plutôt que dans celui de Madagascar.
M.M. : Madagascar devrait-il alors entretenir des relations uniquement avec des pays démocratiques ?

P.L. : Non. C’est une décision qui relève de Madagascar et de sa souveraineté. Je partage la déclaration du Président de la Refondation selon laquelle l’intérêt du Gouvernement malagasy doit être celui du peuple malgache. Il en découle qu’il doit explorer des opportunités, mais aussi rester vigilant quant aux objectifs que d’autres pays cherchent à atteindre ici.
Pour le Royaume-Uni, notre position est simple : le monde est plus sûr et plus stable lorsque davantage de pays sont démocratiques et prospères. Les fonds que nous investissons ici sont toujours utilisés en partenariat avec des experts locaux et de manière à bénéficier directement au peuple malgache. Tous nos financements sont des aides directes. Nous n’accordons pas de prêts qui devraient être remboursés par une population déjà en manque de ressources. La transparence est essentielle. Nous sommes très fiers de parler, en toute transparence, de notre travail, de nos objectifs, des personnes que nous rencontrons et de celles que nous refusons de rencontrer, avec nos partenaires. Nous souhaiterions vivement que le Gouvernement de la Refondation exige la même transparence de toutes les autres ambassades.
Je suis également d’accord avec nos partenaires locaux : les accords et arrangements hérités par le nouveau gouvernement devraient être examinés et discutés. Lorsque ceux-ci ne profitent pas au peuple malgache, il faut envisager des ajustements pour améliorer la situation.
M.M. : Et enfin, sur un plan plus personnel, pouvez-vous nous dire à quoi ressemblera Noël à la Résidence de l’Ambassadeur ?
P.L. : Dans notre famille, nous aimons célébrer un Noël très britannique. La tradition au Royaume-Uni veut que les enfants se lèvent très tôt le 25 décembre, mais nous espérons qu’en grandissant, ils nous laisseront dormir jusqu’à 8 heures du matin. Nous prévoyons d’aller à l’église pour chanter nos chants de Noël préférés. Ensuite, nous rentrerons à notre Résidence où nous recevrons des amis pour le déjeuner de Noël. Nous jouerons ensuite à des jeux de société et nous nous amuserons entre famille et amis.
Recueillis par Julien R.



