Ces derniers temps, des opérateurs se plaignent de l’application d’une note numéro 145 au niveau des douanes. Le Directeur Général des Douanes, Eric Nary Rabenja nous en parle dans une interview.
Midi : Pouvez-vous nous parler de cette fameuse note N˚145 MFB/SG/DGD du 06/04/2016 dont DGD : Il s’agit, avant tout d’une note d’application et d’interprétation de l’Accord de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sur l’évaluation en Douanes ainsi que du Code des Douanes national.
Ces deux dispositions juridiques consacrent le principe de la Valeur Transactionnelle qui est définie comme le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination de Madagascar. Cette Valeur Transactionnelle est signifiée par la facture commerciale qui dispose d’une présomption simple de véracité qui peut tomber devant la preuve contraire. Par ailleurs, l’article 17 de cet accord consacre le droit de l’administration de s’assurer de la véracité et l’exactitude de tous les éléments de la déclaration avec une disposition spéciale qui n’est autre que le principe du renversement du fardeau de la preuve. En d’autres termes, même si ce sont les Douanes qui refusent la valeur déclarée, il revient à l’importateur de rapporter la preuve de la véracité de cette valeur contestée.
Nonobstant cela, les Douanes peuvent toujours, en cas de doute sur le bien-fondé de la valeur déclarée, rejeter ladite valeur. Et pour éviter toute décision arbitraire de la part de l’administration, les deux parties peuvent se concerter .pour dégager la base correcte de l’évaluation.
Que se passe-t-il si les deux parties ne peuvent pas dégager cette base correcte ?
Dans ce cas, l’usager dispose d’un droit d’ appel à deux niveaux. L’un devant un organe indépendant de la Commission de conciliation et d’Expertise Douanières (CCED), qui est un organe indépendant de l’administration et l’autre devant l’instance judiciaire. Toutefois, il est utile de rappeler que ce droit d’appel est limité par l’existence de preuves matérielles constatées par l’administration. Et c’est à ce niveau qu’il y a une certaine mauvaise interprétation de certains opérateurs. Il s’agira notamment des cas où l’administration constate qu’il y a une incohérence entre les mentions figurées dans les documents présentés (Bill of Lading ou Connaissement, factures, liste de colisage, déclaration d’exportations …). Il peut exister aussi des cas où l’importateur et l’exportateur sont liés et que le prix a été influencé par ce lien. Bien évidemment pour ces cas, l’administration va constater, de plein droit, l’infraction par rapport à ces preuves matérielles et l’opérateur n’aura pas le droit de porter l’affaire devant la CCED.
Certains opérateurs parlent d’abus de la part des vérificateurs qui refusent ce droit d’aller devant la CCED ?
Comme je l’ai souligné tout à l’heure, en cas de doute et que l’opérateur n’accepte pas la position des douanes, ce dernier a parfaitement le droit de déposer une caution sur le droit compromis et emmener l’affaire devant la CCED pour décision. Toutefois, ce droit d’appel est limité par le même Code des douanes sur l’existence de preuves matérielles qui peuvent être constatées par le liquidateur. De ce fait, l’infraction est constatée d’office par le liquidateur lui-même et il a tout à fait le droit de refuser l’arbitrage à la CCED.
Il faut remarquer que ce droit d’appel à la CCED est parfois utilisé par certains importateurs comme manœuvre dilatoire pour échapper au paiement immédiat des taxes encourues et des amendes malgré des preuves évidentes d’existence de sous-facturation. En tant que protecteur de l’intérêt du Trésor public, l’administration des douanes se doit de sécuriser au maximum les recettes au niveau des frontières même lorsqu’ elle constate avec des preuves matérielles qu’il y a une fausse déclaration.
Des opérateurs se plaignent aussi de l’existence de contrat de performance au sein de l’administration, qui explique selon eux, l’augmentation des prix des produits importés sur le marché local
La culture de performance a été adoptée au sein des douanes malgaches depuis janvier 2016, et officialisée par la signature des contrats de performance entre des Inspecteurs des douanes de Toamasina-Port (au nombre de 15 inspecteurs pour 80% de recettes globales douanières) et le Directeur Général. Consciente du rôle et de la place des ressources humaines pour tout développement d’une organisation, les douanes ont mis en place des indicateurs de performance, axés sur l’efficacité des douaniers, leur efficience et leur performance, afin de réduire la corruption en augmentant les recettes douanières, en réduisant le temps de dédouanement des marchandises et en améliorant l’efficacité des contrôles effectué par l’Inspecteur au moment du dédouanement.
Ce contrat se base sur des études économiques appelées statistiques miroirs (comparaison des statistiques d’exportation des pays de départ et les statistiques d’importation à Madagascar). Ces études menées en 2015 ont pu démontrer qu’il existe un gap approximatif de 30% de manque à gagner sur les recettes douanières collectées. L’administration dans sa mission de collecte de recette se doit alors de trouver des solutions pour limiter au maximum ce gap au fil des années.
Chaque inspecteur s’est donc engagé à faire un suivi sur les indicateurs de performance suivants : les recettes recouvrées en moyenne, le temps de traitement des déclarations et l’efficacité des contrôles qu’il effectue. Ce contrat a permis ainsi d’améliorer l’efficacité des contrôles par une détection efficace des fraudes de la part de l’inspecteur. De ce fait, le redressement de la valeur de la marchandise n’est qu’une suite logique d’une fausse déclaration soit sur l’espèce de la marchandise, soit sur la quantité déclarée, soit sur la valeur facturée même de la marchandise. Cette fausse déclaration est constatée si l’importateur n’est pas en mesure d’apporter les justificatifs requis.
D’après ce que vous venez de dire, n’y a-t-il donc aucune incidence sur les prix par rapport à ce contrat de performance?
La mise en place de ces contrats n’influence en aucun cas les prix sur le marché intérieur. Au contraire, avec la réduction significative des temps de traitement des déclarations, le coût de dédouanement est réduit. Avec des contrôles plus efficaces, les douanes essaient en conséquence de réduire considérablement la concurrence déloyale. Depuis la mise en place du contrat de performance, le délai de dédouanement des marchandises au port de Toamasina est de moins de 24h pour 85% des déclarations en circuit jaune (contrôle documentaire). Les recettes douanières hors taxes pétrolières ont connu une augmentation moyenne de 25% et les redressements par rapport au contrôle effectué ont augmenté de 25 %. Nous avons pu constater depuis le début de l’année que suite aux efforts fournis par l’ensemble des Inspecteurs, l’administration gagne du terrain concernant la confiance des opérateurs. Ce qui implique l’augmentation du volume des importations depuis les six premiers mois de cette année. Parallèlement à l’efficacité du contrôle, on a pu constater aussi une augmentation au niveau des revenus moyens collectés par container.
Un mot pour conclure ?
Pour conclure, je dirai que la réforme des douanes malgaches a pris un essor particulier dont une plus grande attention est dédiée à la gestion des ressources humaines .Les résultats sont déjà palpables et bien visibles, car au niveau des recettes collectées, par exemple, un surplus de 69 milliards Ariary est observé en fin du mois de juin par rapport à la Loi de finance initiale.
L’administration est toujours à l’écoute des opérateurs dans le cadre de la mise en œuvre de ses réformes, des réunions ont été organisées avec des opérateurs par secteur pour discuter avec eux des informations de base que l’administration dispose par rapport à la valeur des marchandises sur le marché international. Evidemment, comme dans toutes réformes, certains opérateurs ont du mal à se conformer à ces nouvelles règles établies. Nous constatons aujourd’hui qu’une grande partie des opérateurs reconnaissent le bénéfice de ces nouvelles dispositions avec une concurrence plus saine entre eux.
Certains pays d’Afrique ont eu vent de ces réformes liées au contrat de performance. Récemment, ils ont invité l’Administration des douanes malgaches à participer à une conférence internationale pour un partage d’expérience sur la lutte contre la corruption. Nous pouvons affirmer que tout cela n’est que le début d’une série de réformes au sein des douanes malgaches, réformes visant toujours à mieux servir et toujours satisfaire les usagers.
Propos recueillis par R.Edmond