Après un fastidieux trajet à bord d’un tout terrain double-cabine chargé de marchandises et de passagers, prompts à interpeller la providence à chaque inclinaison, Ambohimafana, fief d’Edmond Rakotomalala ou « Edmond Ed1 », apparaît entre les rizières et les montagnes brumeuses. Un immeuble tout gris au milieu de cette verdure luxuriante d’été, tel le domaine de ces richissimes voulant se retirer des mondanités de la ville.
« Je suis Rakotomalala Edmond Alfred, connu par beaucoup sous le pseudonyme Ed1, car j’ai inventé l’Ed1. J’habite ici, à Ambohimafana, fokontany Ambohimanamora, commune Miarinavaratra, district de Fandriana ». Une arme de poing, un pistolet à la ceinture caché sous un polo à l’écusson du « Departement of Defense – United States of America », Edmond Rakotomalala accueille fièrement ses visiteurs dans son bureau. Qu’il considère comme le saint des saints.
« J’y ai tous les secrets de mes remèdes », avoue-t-il. Pour un « druide », il est méfiant. « Mes deux gardes du corps (des gendarmes) sont allés se reposer », poursuit-il. Son domaine se trouve au pied d’une colline, plus haut au sommet, des locaux sont en voie de construction. Il y a installé une brigade, avec poste et baraquements. Pour se protéger au mieux, autant devenir voisin des gendarmes. Dans son bureau, il se lâche. Raconte son histoire, sa femme est présente en retrait, silencieuse.
« Jusqu’à mes trois ans, je ne pesais que trois kilos. Mes parents étaient désemparés. Un jour, alors que nous étions à la Croix Rouge pour prendre de la quinine, les mères présentes se parlaient. On a conseillé à ma mère d’aller chez un ‘’dadarabe’’, chacun sait ce que cela veut dire. Quand nous l’avons rencontré, il a dit que je suis né sous un jour puissant et qu’il fallait ensorceler ce jour. Il a ensuite demandé à mes parents de revenir un vendredi avec un poulet jaune et rouge. Alors que nous étions en chemin pour aller au rendez-vous, le guérisseur a perdu la vie », revient-il sur les premières années de sa vie.
Sur deux autres rendez-vous, deux autres guérisseurs ont subi le même sort. Finalement, le père a perdu tout espoir. Puis un jour, un pasteur était en tournée à l’église locale. Edmond Rakotomalala poursuit. « Mes parents m’ont bien emmitouflé et m’ont déposé sur l’autel et ont prié ainsi ‘’Dieu, nous ne soignerons plus cet enfant, mais nous vous le confions, s’il nous est destiné, guérissez-le, sinon nous vous le remettons’’. Après, le pasteur a prié pour moi. Depuis, je ne suis plus tombé malade, j’ai uniquement eu des petits rhumes et des maux de ventre. Et maintenant, je suis très gros».
Dans la douleur, comme une deuxième naissance, le bébé de trois kilos à trois ans, est un enfant miraculé. Dans un pays où les miracles sont devenus des « arguments marketing », l’histoire de Sieur Ed1 ouvrirait une brèche dans les doutes des cartésiens boostés d’esprit purement scientifique. Une preuve indéniable de ses capacités chez les « ultras » de la médecine traditionnelle. Pour ses soins et ses remèdes, Edmond Rakotomalala se garde de recourir à l’entremise des « esprits sacrés », il n’est habité d’aucun d’eux. « C’est à travers les songes », qu’il découvre les vertus de chaque plante. Uniquement les plantes.
Dans son genre, il est unique. Sa femme le confirme. « Nous n’avons eu que des filles. Mais aucune ne possède ces dons. Chez les petits-enfants, non plus pour l’instant ». Son mari ne fait donc pas partie de ces « guérisseurs » héréditaires ou lignagères. Jusqu’au jour où il a connu la notoriété avec son remède Ed1 durant l’épidémie de la Covid-19, il a commencé à être reconnu dans le milieu des initiés à partir de 2007. Des agents de la santé étaient venus voir, ou évaluer c’est selon, ces remèdes. Mais la pandémie a été la consécration ultime.
« J’étais convoqué dans la Capitale, devant des grands médecins et des professeurs, j’ai guéri des malades, certains des cas graves dans un des centres spécialisés. Je ne portais ni masque, ni combinaison, ni gants, pourtant j’étais en contact direct avec les patients, je les touchais », se souvient-il. A partir de là, avec un taux de guérison élevé, l’Ed1 trace enfin son destin. Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient. Le bouche-à-oreille propage les exploits du breuvage. Le petit guérisseur d’Ambohimanamora devient une multinationale de la pharmacopée.
« Il y a des étrangers, des Malgaches basés à l’étranger, qui viennent ici pour en acheter et rentrent chez eux après », concède la gérante d’une succursale de la « compagnie » à Antsirabe. Ville touristique, située à quatre heures de route du village d’Edmond Rakotomalala. Les Suisses seraient en train de lorgner le « druide » pour le faire venir chez eux sous ses conditions, moyennant rémunérations conséquentes pour qu’il signe toutes ses créations sous la bannière suisse. A entendre ses propos, le bonhomme commence à laisser une infime partie de ses perspectives se balader au pays des gruyères.
Madagascar dans tout cela, deviendra consommateur comme tous les autres pays du monde, d’un « Ed1 » version helvète. L’industrie pharmaceutique mondiale a son œil et ses oreilles partout. Pour l’instant, le tradipraticien préfère s’enrichir et enrichir ses compatriotes. Grâce à lui, beaucoup ont flairé la bonne affaire à Fandriana. « Durant l’explosion des achats d’Ed1, j’ai revendu des fioles à 18 000 ariary, que j’achetai à 5 000 ariary à la source. J’achetais une dizaine, voire une trentaine de fioles, et j’allais à Antananarivo », confie une habitante active de la localité.
Ils et elles étaient nombreux à avoir réussi à se créer ce business provisoire. Maintenant, c’est une chasse gardée. A cause des nouvelles législations, le fils d’Ambohimafana a dû acquérir un genre d’autorisation légale de vente qu’il veut afficher à tout va sur ses étiquettes, les affiches et les banderoles. Sans celle-ci, toute vente est illégale. « Il faut aussi ajouter les compositions et la posologie en langue étrangère », soulève sa gérante d’Antsirabe. Derrière son bureau, il remet rapidement la casquette d’un « general manager ».
Un bureau où il affiche tous ses exploits. Un drapeau national où est apposé son visage poupin tout lumineux. Une assiette, avec la même tête. Un « mug », avec son effigie. « Ce drapeau a été offert par une haute personnalité en guise de remerciement pour mes loyaux services ». « Ce polo a été offert par un Américain ». Les récompenses et les reconnaissances ne manquent pas. Parce qu’à première vue, avant d’entendre ses explications, il laisse penser à un arriviste mégalomane. Avec en sus, toutes ses mesures de protection, son air de pistolero.
Pourtant, dans une partie d’une région la plus en sécurité et paisible de Madagascar. Maintes fois, il a essuyé des tentatives détournées de vol des analyses et des formules de ses travaux. Il y a eu des arnaqueurs, difficile à croire mais d’autres voulaient le kidnapper. D’autres le tuer, la Covid-19 a aussi fait bouillonner la concurrence. « Je suis une personne vitale pour ce pays actuellement », lance-t-il. Impossible de percevoir si c’est de l’orgueil ou de la crainte. Pour le moment, aucune personne n’a été arrêtée ou appréhendée.
Edmond Rakotomalala peut encore travailler en paix. Petit à petit, il transforme son domaine en un grand centre de guérison. Où il faut passer plusieurs étapes, car « toute la maladie est avant tout spirituelle », explique-t-il. Donc, deux bâtisses au moins, à part les baraquements de la gendarmerie, vont bientôt être érigées. L’un, entre autres, pour traiter l’aspect mental ou psychologique, l’autre pour l’aspect spirituel. A chacun de penser ou pas à un prémice de messianisme. Le processus se conclut par la prise des médicaments des fioles. Il y en a neuf en tout : Ed1, Ed2…Ed9. « Bientôt, il y aura un Ed10. Une combinaison de deux antibiotiques », annonce-t-il. Le potentiel médical de ce dernier serait énorme, même révolutionnaire.
Ses formules passent par un laboratoire de renommée de Madagascar. Pour garder ses secrets, il ajoute des subterfuges simples mais efficaces. Pour l’Ed1, il a camouflé les compositions dans une odeur mentholée dominant le reste des douze ingrédients. Il se reprend. « Je tiens toujours à préciser, nous sommes des tradipraticiens. Nous ne sommes pas en concurrence avec la médecine conventionnelle. Nous sommes en complémentarité ». Durant le premier mandat de Marc Ravalomanana, le pouvoir voulait régulariser ce métier.
Instaurant des types de tradipraticiens, incluant presque toutes les approches. Des textes ont été élaborés. Qui a abouti à la création de l’Association Nationale des Tradipraticiens de Madagascar dont « Edmond Ed1 » est un membre. A croire que Madagascar n’a ressenti les avantages de cette politique sanitaire qu’au temps de la Covid-19. Sa hantise est maintenant les faussaires. Entre celui qui prépare un soi-disant remède avec n’importe quelles huiles, et crée une fausse étiquette. Et celui qui achète un vrai « Ed1 », subdivise le tout dans plusieurs fioles et ajoute des essences semblables à l’odeur du remède de base.
Si des milliers de consommateurs ont trouvé bénéfices et guérisons avec la médication réelle, des centaines d’autres se font arnaquer. Bon gré mal gré, le tradipraticien continue de se former. « Quand j’étais encore gosse, quand quelqu’un venait à moi et se plaignait d’un quelconque mal. Je lui donnai une plante et je lui disais de la mâcher et il guérissait », rappelle-t-il. Ce savoir, en quelque sorte, n’est plus suffisant face aux enjeux de la pharmacologie à Madagascar et dans le monde. Pour pouvoir exercer dans le respect de la loi et quelque part être protégé, il a dû acquérir des connaissances quelque peu poussées, en travail de laboratoire par exemple.
Maminirina Rado