
L’Etat pensait certainement bien faire, en mettant en œuvre des mesures de protection de certaines activités pour favoriser la production locale par rapport aux produits importés. Et pourtant, ces mesures risquent fort de léser les consommateurs.
« Est-ce qu’on se soucie réellement du développement socio-économique du pays ? La politique actuelle de l’Etat tend actuellement vers un monopole privé ». C’est ce que nous a indiqué des représentants d’entreprises qui opèrent dans la production locale, tout comme dans l’importation de produits finis et semi-finis. En effet, l’Etat a pris plusieurs mesures de protection de certaines activités cette année, à travers l’ANMCC (Agence Nationale des Mesures). Cela concerne les mesures relatives aux luttes contre le dumping lié aux importations de lait concentré sucré originaire de Malaisie, la mesure de sauvegarde provisoire concernant les importations de savons à Madagascar, les importations d’huiles végétales alimentaires et margarines, la mesure de sauvegarde définitive sur les importations de couvertures à Madagascar et de détergents en poudre. Ces mesures prévoient également la perception de droits additionnels à titre de mesure de sauvegarde, selon les avis de l’ANMCC et du Ministère de l’Economie et des Finances.
Motifs. Selon l’Administration publique, ces produits concernés par les mesures ont été importés en quantités tellement accrues, à tel point que cet accroissement a causé ou menace de causer un dommage grave à la branche de production nationale de produit similaire ou directement concurrent au produit objet de l’enquête justifiant cette ouverture. En effet, une requête a été émise par les entreprises locales, incitant l’ANMCC à ouvrir une enquête qui durera neuf mois et prorogeable douze mois. Et dans l’immédiat, l’agence met en place une surtaxe sur les produits concernés, en appliquant un droit additionnel au droit de douane ad valorem. « A titre d’exemple, l’avis sur les huiles lubrifiantes est signé le 14 août 2019, l’application de surtaxe est effective le 1er septembre, c’est-à-dire 15 jours après la signature de l’avis. Sur le plan légal, l’on se pose la question si le pays exportateur est déjà au courant de cette mesure car normalement, Madagascar devrait les consulter et il se peut que des compensations soient accordées. L’Etat a-t-il bien respecté les dispositions de l’article XIX du GATT qu’il cite en préambule de chaque avis, sinon quels sont les risques pour le pays ? », ont indiqué les opérateurs œuvrant dans le secteur. A noter qu’il est bien spécifié au point 2 de cet article que « Avant qu’une partie contractante ne prenne des mesures en conformité des dispositions du paragraphe premier du présent article, elle en avisera les Parties Contractantes par écrit et le plus longtemps possible à l’avance. Elle fournira à celles-ci, ainsi qu’aux parties contractantes ayant un intérêt substantiel en tant qu’exportatrices du produit en question, l’occasion d’examiner avec elle les mesures qu’elle se propose de prendre ».
Douteux. « Dans le cas pratique, est-il logique de lancer une ouverture d’enquête et immédiatement appliquer des sanctions sans connaître son issu, à moins qu’on connaisse déjà les résultats ? » C’est ce qu’ont exposé les opérateurs concernés par les mesures de protection. D’après eux, la sanction est invariablement constituée par un droit additionnel au
droit de douanes. « Les droits de douanes sont fixés par une loi, il est logique que le droit additionnel doit être légiféré pour pouvoir être appliqué car un « Avis » n’a pas une force de loi. Par le passé, des collectivités décentralisées ont tenté d’instaurer ce genre de taxe à
partir d’un arrêté, mais le gouvernement a sommé d’annuler les textes y afférent », ont-ils avancé. Normalement l’enquête devrait se porter, en premier lieu, sur les requérants, si leurs moyens de production suivent la technologie actuelle ou déjà obsolète, si les coûts de production à Madagascar ne sont pas optimaux pour la fabrication de ces produits si la gestion de l’entreprise n’est pas dans les règles de l’art. Parallèlement l’enquête portera sur les origines des produits importés. C’est à partir de ces enquêtes contradictoires qui doivent être impartiales, que l’on devrait prendre des mesures objectives, selon les arguments soutenus par les opérateurs économiques concernés.
Lésés. « Qui seront finalement pénalisés par ces mesures ? Ce sera toujours le citoyen lambda dont le pouvoir d’achat est déjà très faible. Peut-être dirait-on qu’il a l’habitude d’encaisser », ont-ils avancé. « Actuellement, plusieurs gargotiers fabriquent eux-mêmes leurs pâtes alimentaires pour réduire leurs coûts et adapter leurs offres au pouvoir d’achat de leurs clients. Les producteurs locaux industriels de pâtes vont-ils aussi se retourner pour la suite contre ces fabricants artisanaux car ces derniers gênent leurs activités ? », ont poursuivi les opérateurs. Selon eux, dire que tels marchandises ont été importées en quantités accrues et
que cet accroissement a causé ou menace de causer un dommage grave à la branche de production nationale, est subjectif. Pour eux, les importateurs sont des opérateurs comme les industriels, les hôteliers, etc. Ils ne vont pas importer des marchandises plus que le marché ne demande pour constituer un stock mort, le seul souci de l’opérateur est de satisfaire ses clients en quantité, qualité, prix et délai de livraison. Pour ces opérateurs, tant qu’il y a un créneau, autant le saisir. « C’est la règle de l’entreprenariat », ont-ils souligné. Du côté de la population, la logique est simple. Le niveau de consommation est sensible à la variation de prix. Sur certains produits, ces mesures annihileront les actions du gouvernement en matière de santé publique, de nutrition, de prévention des accidents, de la protection de l’environnement, etc.
Questionnements. Par ailleurs, les opérateurs ont également remis en question le choix des branches d’activités concernées par ces mesures protectionnistes. D’après eux, rien ne dit que des impacts positifs sur l’économie pourraient justifier les sacrifices de la population. Les engagements des entreprises vis-à-vis de l’Etat en contrepartie de cette mesure de protection restent également à éclaircir. En outre, les opérateurs économiques ont également avancé qu’au lieu de parler de concurrence déloyale, il faut voir si ce n’est pas la branche d’activité qui n’est pas compétitive. Certes, des études sont nécessaires pour répondre à ces questions.
Recueillis par Antsa R.