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jeudi, mars 28, 2024
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Rega Rakotonirina – Leader du rock–band « Rheg the gang » et magistrat : « C’est en ces temps–là, que l’on a commencé à pénaliser le silence» 

Rega Rakotonirina, figure du rock/métal dans la capitale et magistrat.

Rega Rakotonirina, « Zoky Reg » pour les intimes, est très actif sur la scène métal à Antananarivo. Enarque confirmé, magistrat de carrière, enseignant de renommée, pour des interrogations délicates liées à la dénonciation dans la culture politique malgache, ce fondateur du groupe de hard rock « Rheg the gang » a bien voulu répondre à quelques questions.

Dénoncer est maintenant devenu problématique. Emprisonnement, assassinat ou rapt, sont autant de menaces qui pèsent sur ceux ou celles qui osent ouvrir la bouche. Comment se positionne la dénonciation à Madagascar ? 

Notre culture politique a évolué au fil de l’histoire avec une mauvaise appréhension de la dénonciation. Pour avoir cantonné ce mot dans la sphère purement politique, la dénonciation est devenue synonyme de dénigrement, véhémence et invective. Alors on a toujours cru que dénoncer va uniquement dans ce sens. Ce sont les groupes d’opposants sans arguments majeurs qui ont utilisé la dénonciation comme arme de prédilection, le but étant de conquérir le pouvoir par tous les moyens. C’est ce genre de machiavélique qui a toujours conduit à la mauvaise compréhension de la dénonciation. Alors quelque chose de mal compris ne servira pas à grand-chose. 

Chez le peuple du quotidien, celui qui dénonce l’injustice, les abus, sera tout de suite légué au rang de paria, d’ennemi de la communauté, de celui qui se prend pour un parvenu et d’autres. Dès lors, autant garder son silence ? 

De telle fausseté va avoir un effet sur l’inconscience collective, on assimile ainsi celui qui dénonce à un malfrat, à un être antisocial qui à cause de son attitude directe et ostentatoire deviendra l’homme à abattre. 

En dehors de cette analyse purement politique. Le phénomène de l’abstention à dénoncer résulte de notre profond respect du « fihavanana ». Au nom duquel il serait tabou de parler d’autrui même si les agissements de ce dernier s’avèrent dangereux pour le reste de la communauté. Ce silence quasi hypocrite est donc inculqué depuis, cela au nom de la recherche de la paix et de l’harmonie sociale. Corroborée par un adage intemporel et quasi universel, comme quoi « toute vérité n’est pas bonne à dire ».

Telles sont les causes à mon sens de cette absence totale de la dénonciation dans notre culture. En outre, on pousse indirectement le peuple à valoriser la culture hilarante qui loue le ridicule et le grotesque. Sans pouvoir comprendre l’effet. Le peuple banalise tout au point d’admettre que rien ne sert de dénoncer. Cela ne servirait à rien, la conscience collective s’en fout pas mal. Certains estiment que dénoncer ne servira à rien et progressivement, cette culture s’effrite. 

Du temps de la royauté, est-ce que cette culture de la dénonciation existait ? 

Au fil de l’histoire, la culture de la dénonciation a toujours existé et a toujours été importante. En ces temps, la règle était claire « le roi ne peut mal faire ». Par conséquent, toute dénonciation va dans le sens de la protection du souverain contre les éventuels complots et conspirations malveillantes à l’égard du roi ou de la reine. C’est en ces temps–là, que l’on a commencé à pénaliser le silence. Ceux et celles qui sont au courant des projets de trahisons et de révolution naissantes sont obligés de dénoncer à temps pour éviter pilori et guillotine. A notre époque c’est la loi pénale qui condamne ceux qui s’abstiennent à dénoncer des crimes qui se préparent. 

Quelque part, la représentation actuelle des malgaches de la dénonciation n’est pas héritée de l’époque coloniale ?

Pendant la période coloniale, la dénonciation prend une autre dimension. Il s’agit de protéger l’administration coloniale contre toute révolte et projet de prise de l’indépendance par la force. En effet, la dénonciation ne profitait qu’aux colons. Du côté des nationalistes et patriotes qui luttaient pour l’indépendance, la dénonciation est synonyme de trahison. 

Pour en revenir au « fihavanana », ce concept n’est tout de même pas figé. Il se valorise et revalorise chaque jour ? C’est un effort perpétuel pour garder la paix sociale. 

Ça doit être ça mais c’est comme la lune, la face cachée existe. De peur de rompre le « fihavanana », on s’abstient de dénoncer. Combien de victimes de viol, de harcèlement et de toutes autres formes de sévices et injustices ont choisi de se taire. Au nom du « fihavanana ». 

Et la peur de se faire tuer ou se faire isoler pour celui ou celle qui dénonce, dans tout cela…

Est-ce que la culture de la dénonciation s’effrite à cause des peurs des représailles ? Oui et non. Voyons d’abord les cas des « dahalo ». On sait qui ils sont mais jamais on ne les dénonce. Voyons également le cas des gros poissons corrompus et les détournements en tout genre qui bénéficient de l’impunité totale faute de culture de dénonciation et d’engagement citoyen. Citons entre autres le cas des vols d’organes et affaires des albinos où les têtes pensantes ne sont jamais inquiétées faute de dénonciation. Mais il ne faut pas rester sur ce constat impuissant.

A mon sens le « fihavanana » est actuellement battue en brèche par cet individualisme envahissant et cela n’est pas mauvais en soi. Rendons-nous compte de l’importance des lanceurs d’alerte sur les réseaux sociaux qui contribuent à la résurgence de la culture de la dénonciation. 

L’individualisme qui à bien des égards s’est réalisé de par l’« occidentalisation du monde », Madagascar aurait–il raté l’occasion d’être en phase avec son époque ? 

Alors pour être en phase avec notre époque, admettons que la culture de la dénonciation prend de l’importance. Il nous reste à bien juguler car dénoncer ne devrait conduire à faire propager des supputations et suppositions sans fondement ni recoupement. Les gens s’expriment sans vraiment craindre. La société civile, l’église, les associations et fondations s’adonnent à la dénonciation qui d’après moi est bénéfique. 

Il faut plus d’engagement citoyen et plus d’activisme d’opinion, il faut inciter nos jeunes à bien comprendre les écueils, à éviter, aussi et surtout, l’effet catalyseur de la dénonciation. Il est plus qu’important de faire émerger la culture de la dénonciation. 

Sur le plan pragmatique, comment réveiller ou faire admettre par la collectivité cette culture de la dénonciation ?

Sur le plan pragmatique nous devons le savoir et le faire savoir. Que la dénonciation a toujours été utilisée par les organisations non gouvernementales. On peut citer entre autres « Green Peace » dénonçant à l’échelle planétaire toute atteinte à la nature. Celle-ci est l’équivalent de « Voahary Gasy » à l’échelle locale qui dénonce les exploitations illicites et tout autre défrichement de notre richesse naturelle. Mais cela ne doit pas rester au niveau des ces organisations. Il faut admettre que désormais la dénonciation est un droit et surtout un devoir. Si chacun prend ses responsabilités en osant dénoncer les agissements et actes répréhensibles des dirigeants et décisionnaires, on cessera de banaliser les crimes, les détournements ainsi que toute forme d’injustice sociale. 

Avec le temps, on l’aurait intégré dans notre culture politique, l’habitude de ne pas être indifférent par rapport à la vie de la nation. Il ne faut pas oublier que nos textes et réglementations à l’exception d’un pauvre article 62 du code pénal ne nous oblige à dénoncer quoi que ce soit. A l’heure où l’on discute, la dénonciation n’est qu’un devoir moral dépourvu d’effet et de conséquences. Si nous continuons dans ce sens et que la majorité reste silencieuse. Non seulement nous laissons les politiques dans une sorte de « Laisser faire, laisser aller ». Mais à long terme nous ferons du silence une tradition ancrée avec toutes les conséquences que cela engendre.

Il est temps pour nous de sortir de cette culture du mutisme en prenant nos responsabilités. Osons dénoncer sans offenser tout en faisant attention aux dérapages divers comme la propagation des fausses nouvelles ou le dénigrement et la diffamation et délit d’expression. Peut-être qu’on n’a pas compris que contre les actes de grand banditisme, la corruption et les atteintes graves aux droits de l’homme, la dénonciation a fait ses preuves comme un moyen efficace de changer les choses

Est–ce que la société malgache est prête à faire face aux conséquences ?

Notre société n’est jamais prête par rapport à quoi que ce soit. On sait que notre système de valeur est fondé sur la distance, l’indifférence et le mutisme. C’est ainsi qu’une minorité profiteuse marche sur les pieds de la majorité silencieuse.

Mais n’attendons pas que le pire n’arrive pour enfin réagir. Comme tout peuple qui à un moment donné de son histoire doit faire une révolution culturelle. Il faut rompre avec le mutisme. Des gens qui ont payé de leurs vies, est-ce que les Malgaches sont prêts pour cela ? La réponse est simple. Beaucoup de malgaches perdent déjà leurs vies en essayant de la gagner, alors on ne doit pas choisir parce qu’on n’a pas le choix.

Si on veut que le peuple évolue dans un contexte de transparence et que nous aspirons vraiment à plus de viabilité et de dignité. Osons dénoncer en faisant attention aux dérapages. Je tiens d’abord à préciser que la dénonciation ne nécessite en aucun cas ni législation, ni réglementation. Tout ce qu’il faut éviter, c’est de tomber sous le coup du droit pénal pour avoir ignoré les limites de notre liberté de parole et d’expression.

Quant aux limites de la dénonciation…

On ne doit pas utiliser ce droit de dénoncer pour des attaques personnelles et irréfléchies contre les dirigeants. On peut très bien y dénoncer l’opposition. On reste objectif car le but est d’ordre social. A mon avis, la culture de la dénonciation, si on arrive à la vulgariser avec tact, permet de faire baisser la corruption et les malversations en tout genre, l’inertie de l’administration, les abus au sein des entreprises privées et cercle religieux.

On doit rester optimiste et croire que malgré l’effet relativement insignifiant des dénonciations, tout se cristallise et explosera tôt ou tard. Ce que je ne souhaite pas personnellement mais l’histoire est là pour en donner la preuve. Une longue souffrance finira par une explosion sociale.

Recueillis par Maminirina Rado

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