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dimanche, mai 18, 2025
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Voyage : Andranovelona, le village des « sans nom de famille »

En plein cœur du village d’Andranovelona, la femme de Raymond au premier plan.

L’histoire du « toaka gasy », ou rhum artisanal et traditionnel, est sur le point de connaître un grand tournant politique et économique. Des villages comme Andranovelona, à la limite du district d’Ambohidratrimo en produit depuis des décennies.

« Raymond… cela suffit », jette le septuagénaire d’Andranovelona, le regard oblique et perçant. « Pas besoin de nom de famille, cela suffit ». Dans ce village d’environ quinze toits, il est un peu le patriarche. Bien adossé au pied de sa petite toiture, surveillant nonchalamment la cuisson de la grosse barrique aux couleurs de goudron d’où émane une senteur lourde et mielleuse.

Raymond est fabricant de « toaka gasy », rhum artisanal malgache, un breuvage ancestral dont les traces historiques datent déjà du 19e siècle. « J’en produis 15 à 20 litres par jour », soutient-il. Avec la crise sanitaire, sa production a nettement diminué. Les commandes se font rares. « Bien sûr, quand il n’y a pas de retournements des morts, de circoncision… mon commerce est impacté. Vous savez, le rhum artisanal est consommé presque dans toutes les cérémonies traditionnelles, même si vous voulez planter un champ pour la première fois, le rhum est là ».

Andranovelona se trouve dans la commune de Marokibobo. Rural, dominé par une latérite rouge brune. Pour y accéder, il y a deux possibilités. Par la commune d’Ivato, « mais une partie de la voie est peu conseillée, surtout en voiture », soutient Mamy, un « guide » local. Le meilleur accès se fait depuis Ambohimanga, la colline sacrée, ensuite, Alatsinainy Imerimandroso, « le marché du lundi aux meilleures graines de la région ». Passant par Marokibobo. Et au détour d’un virage, apparaît une petite montée menant en plein milieu d’Andranovelona.

Raymond, le septuagénaire réputé pour son rhum au goût de miel.

Dahalo. La production du rhum local se fait toutes les semaines. « C’est ce que notre matériel et nos finances nous permettent. C’est ce qui nous a aussi permis de nourrir nos enfants », ajoute la femme de Raymond. Décidément, les noms et les prénoms sont du domaine du secret d’Etat dans le village. Comble de l’ironie, « mon fils est devenu un homme d’Eglise, il ne veut plus reprendre l’affaire », rigole quelque peu la dame. A 52 ans, elle a mis au monde dix enfants, suivis de treize petits-enfants et de deux arrière-petits-enfants.

La dame arrive encore à porter 20 à 40 litres de rhum, à « Ambato ». Encore plus au nord, sur la route des « dahalo », il y a un trajet qu’elle fait en quatre heures, d’hiver en été. « Mais je commence à vieillir », regrette-t-elle. C’est au crépuscule de sa vie qu’elle connaît enfin une certaine stabilité dans le commerce du « toaka gasy ». Au mois de juin, les députés adoptent une proposition de loi sur cette boisson. Une première victoire pour les défenseurs du « travail manuel malgache », comme le dit fièrement Raymond.

Depuis, le couple est plus calme. Cependant, les vieux réflexes sont restés. La peur des étrangers, les propos évasifs, le ton parfois menaçant… La femme de Raymond revient sur cette époque de la prohibition : « notre commerce a été marqué par des parties du chat et de la souris avec les forces de l’ordre. Comme nous vendions à Alatsinainy, au marché, ils nous traquaient sur place. Ensuite, nous nous débrouillions pour cacher nos marchandises. Quand nous revenions, des inconnus nous les avaient volés ».

Des bidons de rhum volés équivalent à une semaine de travail réduite à néant. « Cela comprend l’achat du sucre de vingt kilos, de l’Amberivatry, le ferment et de quelques autres ingrédients. Nous plantons nous-mêmes la canne à sucre. Cela comprend aussi les huit jours de fermentation, ensuite la cuisson pour tirer le nectar », fait savoir Raymond. Le gros bidon est acheté à Antananarivo, au marché d’Ambohimanarina à 60 000 ariary, voire plus, puis ramené à bicyclette à Andranovelona. Chez Raymond et sa famille, la marche fait partie du jeu, un acte logique pour accroître les bénéfices.

Insécurité grave. Ce mois d’août, Ryamond a eu toutes les raisons d’avoir peur. Il y a presque deux semaines, les « dahalo » sont venus faire une razzia dans son village et dans ceux aux alentours. Des morts, il y en a eu. Celle d’un homme découpé en morceaux devant sa femme « par pur plaisir », et dont les morceaux ont été soigneusement déposés dans une soubique. « La femme a depuis perdu la tête », regrette Mamy. Sans oublier les actes sadiques perpétrés sur un enfant de trois ans pour forcer la famille à sortir le butin. Ou encore l’arrogance des bandits, quand ils les menacent. « Restez chez vous, forniquez, nous nous occupons de vos zébus ! ».

Il faut dire que la région attire les convoitises. Ceux des voleurs de zébus en premier lieu, et ce, depuis des lustres. Mais aussi des « zaza mainty », une sorte de milice civile monnayant ses services pour protéger le village. « Leurs services coûtent assez cher. 200 000 ariary par personne par mois, il faut les loger et les nourrir. Par contre, ils ne laissent personne cuire leur repas. C’est eux qui cherchent le bois, qui cuisinent, qui lavent leur linge… Mais c’est sûr, ils donneront leur vie pour honorer le contrat », met en avant Raymond. Les « zaza mainty » sont passés à Andranovelona.

Ils étaient trois, tout de noir vêtus. L’un d’eux arborait un fusil. « Ils vont aller rejoindre la commune », ajoute Raymond. Apparemment, Andranovelona et les hameaux aux alentours souhaitent vivement recruter ces milices. De cette manière, le septuagénaire pourra protéger autant ses champs que son commerce de rhum artisanal. Dans les années 2 000, le couple a reçu une formation de la part d’un ancien du village. « Il nous a formés, quand il a commencé à ne plus pouvoir en produire. Et c’est là que nous nous sommes lancés », rappelle la dame.

Depuis, ils seraient deux producteurs dans le village. Plus loin, dans la localité d’Antsiriribe, un bourg réputé être l’un des plus grands producteurs de la région, la nouvelle sur l’adoption du projet de loi a été accueillie comme un triomphe. Par contre, faute de moyens, la quantité de production semble pour le moment stagner. Avec l’insécurité, la pauvreté et, pour l’instant, la Covid–19, Raymond n’envisage pas d’élargir son business. « Tant que nous pouvons seulement vivre, pas de problème ».

Maminirina Rado

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